Au terme de la réforme constitutionnelle, il y aura moins de députés et de sénateurs et une soixantaine environ seront élus à la proportionnelle. Deux changements qui concerneront également les Français de l’étranger dont le quota actuel de 11 députés et 12 sénateurs sera, en bonne logique lui aussi, diminué. Cette réforme en cours de préparation, attendue, murmure-t-on, pour le premier semestre 2019, ne se limitera pas à une simple soustraction. Elle aura des conséquences sur la nature même de la représentation politique des Français exilés volontaires. Un mille-feuille un peu complexe – mais pas plus que celui toujours en vigueur dans l’Hexagone – et qui échappe à certains de nos compatriotes. « J’ai entendu parler de députés et de sénateurs, mais pas de conseillers », confie un jeune professeur dans un lycée français d’Amérique centrale…
Les députés, en régime minceur, seront élus au scrutin de liste à la proportionnelle, qui plus est dans une circonscription unique, mondiale, et non plus dans les onze circonscriptions créées en 2012. Députés de la nation et non plus d’une zone géographique, ils ressembleront aux sénateurs, déjà élus dans une « circonscription monde ». « Ces nouveaux députés, craint le sénateur LR Christophe-André Frassa, seront élus comme nous, mais ils seront hors sol. Ce qui faisait la spécificité de leur mandat, la proximité, va disparaître dans cette circonscription monde. La baisse du nombre de parlementaires, déjà considérée comme un fait accompli, avant même que les débats n’aient eu lieu, relève d’un pur délire populiste et démagogique du président. »
Députée LREM, Anne Genetet ne remet pas en cause ce projet constitutionnel d’Emmanuel Macron, mais elle pointe elle aussi le risque que les futurs députés ressemblent aux sénateurs et « s’impliquent surtout dans les zones à forte population au détriment de celles moins peuplées. En fait, tout dépend, comme c’est le cas aujourd’hui, de la manière dont chacun exerce son mandat, son rapport au terrain, sa façon d’utiliser les outils magiques de la communication moderne ». Elle qui représente actuellement 49 pays et 10 fuseaux horaires parle d’expérience. « Les gens, assure-t-elle, comprennent fort bien. Pas de problème. » Les sénateurs des Français de l’étranger sentiront également souffler le vent macronien du changement. C’est leur mode d’élection qui sera très probablement modifié. Il l’avait déjà été en 2013 avec Hélène Conway-Mouret (socialiste), à l’époque ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères, chargée des Français de l’étranger. Dans sa réforme globale, elle avait élargi le collège électoral des sénateurs pour le porter à 534 grands électeurs, soit 443 conseillers consulaires, 68 délégués consulaires (dont l’unique fonction consiste à participer à cette élection), les 11 députés et 12 sénateurs. Une avancée démocratique pour les uns. Une magouille politique, pour d’autres, destinée à faire élire des sénateurs socialistes. « L’élection des sénateurs pose toujours un problème de démocratie, s’insurge Anne Genetet qui a transmis au gouvernement une note à ce sujet. On ne peut pas continuer à élire quelques sénateurs avec 443 voix ! »
Elle suggère, avec d’autres, d’agrandir le collège des grands électeurs : maintien des conseillers consulaires, suppression des délégués consulaires (« une invention diabolique, une catégorie hybride de gens qui n’ont plus aucune fonction après l’élection des sénateurs », peste Christophe-André Frassa) et une innovation : le tirage au sort d’un quota de 1 200 grands électeurs davantage représentatifs.
La proximité des conseillers consulaires
La future réforme devrait également revoir tout le reste du dispositif de représentation : conseillers consulaires, délégués et surtout l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), qui ne fait pas l’unanimité ! Le secrétaire d’État, Jean-Baptiste Lemoyne, ex-UMP et LR, qui a pris le train « en marche », avance d’une prudence de Sioux, mais sa concertation commencée en janvier conforte tous ceux, notamment chez les parlementaires, qui pointent les défauts du système. Complexité des scrutins, manque de lisibilité des élus, besoin de clarification des compétences, insuffisance des moyens. La liste des reproches est longue. Chacun y va de ses préconisations. Mais s’il n’y a pas de convergence pour un dispositif idéal, le secrétaire d’État notait tout de même, le 28 mars dernier lors de la 28e session de l’AFE, une certaine unanimité pour « conserver la représentation de proximité », en particulier les conseillers consulaires (CC). Les 443 actuels, élus en mai 2014 au suffrage universel direct dans le monde pour six ans, sont considérés désormais comme de vrais élus de terrain. Les électeurs se réfèrent en priorité à eux pour faire connaître leurs préoccupations. « Nous sommes à la fois assistantes sociales, psychologues, syndicats d’initiative, témoignait en mars Damien Regnard du groupe CIEL. Les consulats font tout et nous le reste : informations et conseils pour la Sécurité sociale, la santé, les retraites, l’éducation », ajoutait-il en reprenant la formule qui avait valu à Renaud Muselier le prix de l’humour politique ! Des conseillers parfois même au cœur des problèmes de sécurité comme l’ont prouvé les événements de Ouagadougou quand les trois CC ont assuré, avec le centre de crise du Quai d’Orsay, le contact avec la communauté française, à la place de l’ambassade.
« À côté des députés aux très vastes circonscriptions et des sénateurs à l’échelle planétaire, confie Hélène Conway-Mouret, j’ai voulu compléter la gamme en offrant de la proximité aux Français de l’étranger avec la création de ces conseillers. Élus locaux, ils apportent les informations administratives utiles, par exemple sur les cotisations, le droit aux bourses etc. À part de rares nostalgiques, il y a un consensus pour juger que les CC sont nécessaires et jouent un rôle important. »
Une lacune de la réforme 2013 cependant, pointée par le député Frédéric Petit (Modem) : les conseils consulaires sont définis, mais pas le conseiller lui-même. De quoi nourrir la future réforme qu’au fond chacun appelle de ses vœux, bien que personne n’y mette le même contenu. Moins par clivage politique traditionnel, même s’il reste vif au plan national, qu’en fonction des expériences de chacun : « On se retrouve souvent sur les questions concrètes. On tire dans le même sens », observe le sénateur Richard Yung (LREM). Alors, quid de l’avenir de ces conseillers ? Puisqu’ils font la quasi-unanimité et que le Président a reconnu le rôle de ces « élus de la République », leur sort ne devrait pas être en jeu. Mais des évolutions et améliorations de leur fonctionnement sont probables. « Il y a des ajustements à faire car c’est vrai que le fonctionnement global du système n’est pas parfait », admet d’ailleurs Hélène Conway-Mouret. Certains ne verraient pas d’un mauvais œil une réduction de leur nombre, mais ce sont surtout, souligne Frédéric Petit, des « incohérences dans la définition des circonscriptions qui prouvent que la représentation territoriale n’est pas achevée ». « Leur répartition devrait être plus juste, dit Anne Genetet. Par exemple, deux suffiraient à Singapour alors que l’Inde aurait besoin de deux de plus. » De plus, certaines circonscriptions ont été taillées « à la va-vite » et conduisent à des incohérences qui sèment une certaine confusion, par exemple sur la question des bourses dans telle ou telle zone.
Pour ne rien simplifier, une partie seulement des CC siège à l’AFE, alors qu’avant ils y siégeaient tous. Une différence de statut qui aggrave d’autant plus le manque de visibilité que les compétences mêmes des conseillers ne sont pas claires. D’où l’idée de bon nombre, de Christophe-André Frassa à Richard Yung, de mettre fin à cette division à deux niveaux. Moins de conseillers, mais tous à l’AFE. Quant aux délégués consulaires, appelés seulement pour le vote des sénateurs, les uns prônent leur suppression, d’autres leur intégration à l’AFE !
L’AFE sur le gril
En fait, à examiner les propositions multiples et variées de nouvelle réforme adressées au secrétaire d’Etat, c’est l’AFE qui recueille les avis les plus contrastés. Assemblée représentative des Français « du dehors », elle est composée de 90 conseillers consulaires élus qui se dotent d’un président – actuellement et jusqu’en 2020 Marc Villard –, de 2 vice-présidents, d’un bureau de 9 membres, d’un bureau élargi aux présidents des 4 groupes politiques (« Français du monde, Écologie et Solidarité », Alliance, Cil, et non-inscrits) et des présidents des 6 commissions permanentes. L’AFE, qui a pour mission de défendre les intérêts des Français en matière d’enseignement, de protection sociale, de fiscalité, de sécurité, se réunit deux fois par an et fait profiter de son expertise et de ses avis gouvernement et Parlement, pour peu qu’ils la sollicitent !
Maintien, adaptation, suppression ? Hélène Conway, qui aurait préféré la transformer en un think tank de gens travaillant collectivement à l’élaboration d’une politique globale pour les Français de l’étranger, ne croit pas aujourd’hui à sa disparition : « Je ne vois pas ce que le gouvernement y gagnerait. Les membres de l’AFE ont leurs compétences et une valeur ajoutée que l’administration a finie par admettre. Cela ne me choque pas qu’ils veuillent exister. Mais, au lieu de passer trop de temps sur le règlement intérieur et son propre mode de fonctionnement, l’AFE peut faire plus et mieux pour améliorer son efficacité. » Elle suggère avec d’autres une mise à plat des blocages, par exemple dans ses contacts avec les députés.
Six propositions
« C’est vrai qu’il y a une réelle division entre l’AFE et les députés », constate le sénateur centriste Olivier Cadic. La dernière réforme a créé, dit-il, « un choc de complications » à tous les niveaux. Il formule six propositions. 1-La création d’une structure qui associe tous les élus des Français de l’étranger, délégués consulaires compris. 2-Elle organiserait un congrès annuel, rendez-vous des pouvoirs publics sur le modèle du congrès des maires de France. 3- Élection du président du conseil consulaire « pour affranchir les conseillers de la tutelle de l’administration, incompatible avec l’esprit républicain ». 4- Pour l’élection à l’AFE, retour au scrutin direct en augmentant le nombre d’élus pour garantir une meilleure représentativité des territoires. 5- « Un juste montant d’indemnités pour permettre aux élus consulaires d’assurer leur mandat ». 6- Création d’un haut comité au vote électronique qui « est une nécessité ».
LREM et Modem : « réflexions » radicales
Les députés LREM et Modem ont remis leurs « pistes de réflexion » au secrétaire d’État en février. Leur constat de la situation actuelle est sans concession : manque de lisibilité du système avec ses deux étages : CC « terrain » et CC « membres AFE ». Le rôle des CC est mal défini. Des circonscriptions sont inégalement dotées et parfois sans logique territoriale. Des élus de terrain sont méconnus, voire inconnus, bien que quelques-uns fassent un excellent travail malgré l’absence de moyens. Lien insuffisant et fragile entre l’État et les citoyens. L’AFE, malgré l’expertise de certains membres peine à se faire entendre. « Antichambre du Sénat, elle emmène dans son sillage des élus partisans et fortement politisés. » Le corps électoral de grands électeurs est trop petit. Déséquilibre au regard de la Constitution entre le nombre de sénateurs et de députés.
Les députés recensent ensuite les besoins. Réinscrire les Français à l’étranger dans le destin national. Sortir du clivage entre Français de métropole et de l’étranger. Refléter la réalité de ces derniers en changeant de paradigme : ils ne sont plus seulement « établis », ils sont « mobiles ». Les élus doivent donc refléter cette mobilité à travers notamment le mode de scrutin. Le nombre total d’élus doit être inférieur ou égal à l’existant. Dans chaque circonscription, des élus « en nombre raisonnable et suffisant, visibles et accessibles, formés aux missions clairement définies et aux moyens renforcés ». D’où les pistes de réforme suivantes qui séparent la représentation des Français de l’élection sénatoriale. 1-Conserver un seul niveau d’élus de terrain, plafonnés à trois ou quatre par circonscription, en redéployant les postes supprimés sur des zones dépourvues. Circonscriptions redéfinies en fonction des enjeux géographiques et en cohérence avec les circonscriptions législatives. 2-Renforcer le rôle des élus de terrain : charte des droits et devoirs, salle de réunion dans les postes diplomatiques, mention sur les sites internet des postes, adresse email, réunions régulières avec les ambassadeurs et consuls, formation initiale et continue, voix délibérative dans les instances scolaires, et voix au chapitre pour les plans de sécurité. 3- Cadrer leur mission : réduire la durée du mandat en calant l’élection sur une élection nationale. Démission d’office en cas de radiation du registre local ou de départ, d’absences aux conseils (plus de trois). Changer leur appellation pour éviter la confusion avec les consuls et affaires consulaires.
Enfin, l’idée suivante qui siffle comme un adieu aux oreilles de l’AFE, qui serait remplacée, si l’on comprend bien, par une association nationale des conseillers élus (comme celle des maires de France) avec pôles d’expertise identifiés, plateforme digitale d’échanges entre eux et avec les Français de leur zone. Assises de la mobilité internationale, une fois par an à Paris, autour d’une thétique prédéfinie pour faire un diagnostic et des propositions concrètes, réunissant conseillers, parlementaires, exécutif, acteurs nationaux (régions, chambres de commerce…).
Par ailleurs, l’élection sénatoriale serait déconnectée de tout ce nouvel édifice de la représentation des Français de l’étranger et promise, elle aussi, à réforme : il s’agirait de tripler le corps électoral des grands électeurs avec deux profils : élus nationaux et de terrain (environ 500) et un corpus de 500 à 1 000 électeurs citoyens désignés trois mois avant l’élection soit par tirage au sort, soit au suffrage universel direct à la proportionnelle pour des listes de citoyens candidats (ex. : Conseil de Paris), soit désignés par les postes consulaires.
Le président de l’AFE riposte
« Il y a des gens qui parlent sans savoir, et je mets LREM dans le lot, réplique depuis le Vietnam Marc Villard, président de l’AFE. Ceux qui ont des opinions si tranchées ne se sont jamais intéressés à notre assemblée. Qu’ils regardent et interrogent les administrations ( impôts, retraites, enseignement, protection sociale…) avec lesquelles nous travaillons. Réduire le nombre de conseillers, les mettre tous à l’AFE, avec une réunion par an, c’est ridicule. Autant tout arrêter. Nous risquons de perdre les contacts privilégiés que nous avons avec ces divers services de l’Etat. Ce n’est pas avec des assises d’une semaine annuelle que l’on peut préserver ce genre de relations. »
L’administration consulaire, elle, n’est pas épargnée par l’AFE à en croire le compte rendu de sa rencontre du 31 janvier avec le secrétaire d’État. Elle considère que « l’échec relatif de la réforme et du dispositif mis en place est en grande partie dû à l’administration qui, lors de sa préparation, n’a eu de cesse de raboter les prérogatives des élus, aboutissant à des conseillers sans structure de rattachement, sans support administratif ou logistique, dont les compétences sont limitées à la seule participation aux conseils consulaires. Par la suite, de nombreux postes consulaires n’ont pas joué le jeu ou l’ont joué à minima ». « Cela fonctionnerait mieux si les postes consulaires commençaient à appliquer les textes », affirme donc l’AFE, tout en concédant que « les élus que nous sommes ne sont pas non plus exempts de tout reproche ». Mais plus qu’un chamboulement de tout l’édifice, elle se prononce pour des aménagements. « C’est vrai, concède Marc Villard, que certains Français ne s’y retrouvent pas et ne comprennent pas le rôle de l’AFE et des conseillers consulaires dont le nom prête à confusion avec les consulats. »
Autre lacune, le manque de liens entre conseillers consulaires et membres de l’AFE. De même avec les parlementaires, le manque de complémentarité est un sérieux handicap. « Avec quelques députés comme Anne Genetet nous travaillons sur des dossiers concrets, se félicite le président de l’AFE, mais nous n’avons pas établi de contacts très efficaces avec nombre de députés qui, faute d’informations, semblent voir en nous des rivaux potentiels. Quant aux sénateurs, ils sont vexés de ne plus être membres de droit de l’AFE. D’où un certain éloignement. »
Face aux rumeurs de remaniement en profondeur, l’AFE s’est donc fendue de propositions médianes dans l’espoir de « sauver les meubles », confie l’un de ses responsables. Ainsi la commission des lois plaide-t-elle, dans sa résolution n°1, pour le maintien des conseillers consulaires en tant qu’élus de proximité, issus du suffrage universel direct, pour que l’ensemble des conseillers consulaires constituent l’Assemblée des Français de l’étranger, et pour le maintien des deux sessions annuelles de l’Assemblée des Français de l’étranger à Paris afin de pouvoir assumer pleinement le rôle de l’AFE comme force de proposition, de synthèse et de dialogue avec le gouvernement, la représentation nationale et l’administration.
Paroles présidentielles
En attendant les actes, c’est-à-dire la énième réforme de leur représentation politique, nos compatriotes disséminés dans le vaste monde ont droit aux paroles. Celles d’abord, au plus haut niveau, du président Emmanuel Macron qui les a assurés, en octobre 2017, qu’ils ne seraient pas les oubliés de la République. « La France n’est à la hauteur de son Histoire et de son destin que lorsqu’elle se vit justement au contact du reste du monde. Les Français de l’étranger participent de ce destin Français. » Et devant les conseillers consulaires, reconnus comme « élus de la République », il avait constaté « qu’ils représentent des femmes et des hommes qui portent un bout de France à travers le reste du monde ». Il avait pris quelques engagements. L’AFE ? « Elle est l’interlocuteur du gouvernement et des assemblées parlementaires sur les questions relatives à la situation de nos compatriotes qui vivent à l’étranger… Ses crédits seront préservés à partir de 2018. » Les dispositifs fiscaux et sociaux ? « Je souhaite, avait déclaré le Président, que certains dispositifs que les Français de l’étranger considèrent comme trop complexes, parfois vexatoires, soient regardés avec attention. » C’est l’objet du rapport d’Anne Genetet, remis début juin. « Pour que les Français n’aient plus l’impression d’être oubliés, confie-t-elle, il faut mener un gros travail d’explications des dispositifs qui leur sont propres. Mais il faut dire certaines vérités. D’abord que la France est sans doute celle qui fait le plus pour ses ressortissants à l’étranger. Ensuite qu’elle ne peut pas tout. Partir comporte une part de risque. Il faut prendre des précautions et ne pas attendre tout et n’importe quoi. Qui veut la même chose qu’en France, y reste ! »
Xavier PANON