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Nathalie Laville
24 août 2019

Emmanuel Macron, avant le G7

Emmanuel Macron a présenté un discours à la presse présidentielle afin de faire un point sur les “affaires du monde” à la veille du G7. Nous étions présents lors de cet échange sur les relations internationales. Il y aborde les inégalités dans le monde, la crise de la démocratie, la responsabilité de la France dans […]

Emmanuel Macron a présenté un discours à la presse présidentielle afin de faire un point sur les “affaires du monde” à la veille du G7. Nous étions présents lors de cet échange sur les relations internationales. Il y aborde les inégalités dans le monde, la crise de la démocratie, la responsabilité de la France dans le monde actuel, l’importance du multilatéralisme, le risque d’effacement de l’Europe… Le Président parlera lors de ce G7 des sujets qui fâchent comme la question iranienne, l’Ukraine, la Syrie, le Yémen, la Russie, la Libye ainsi que des projets communs environnementaux.

« Je suis content de vous retrouver et j’espère que vous avez pu prendre quelques repos réparateurs. On va revenir je pense sur toutes les questions et je prendrai le temps qu’il faut pour répondre sur les différents sujets internationaux que vous avez évoqués, y compris ce qui sera discuté durant ce G7 pendant presque deux jours et demi à Biarritz mais je voudrais saisir l’opportunité de cet échange pour remettre tout cela dans un cadre, parce qu’au fond c’est un rendez-vous international. C’est une très grande fierté pour la France d’accueillir le G7 et de pouvoir ainsi regrouper ce cercle que la France a créé, je rappelle, en 1975 à Rambouillet. Mais très clairement nous le faisons dans un moment historique qui je pense suppose, impose même, d’avoir une réflexion qui remette tout cela en perspective. J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, dans un de mes discours à l’Assemblée générale des Nations unies, plus récemment à l’Organisation internationale du travail et c’est ce qui a progressivement aussi structuré l’action que nous menons sur le plan international, je pense que nous vivons une période absolument historique de l’ordre international qui est le nôtre. D’abord parce qu’on le voit partout en Europe et au-delà nous vivons une crise très profonde des démocraties. On pourra y revenir en commentant les situations dans tel ou tel pays mais il y a une crise du fonctionnement démocratique aujourd’hui qui est une crise à la fois de représentativité, d’efficacité. Nous l’avons vécu quelque part sous d’autres formes nous-mêmes. Elle impose une réflexion en profondeur mais je crois qu’il y a une crise d’efficacité de nos démocraties face aux grandes peurs contemporaines.

Quelles sont les grandes peurs de nos concitoyens ? C’est la peur climatique, largement environnementale — le réchauffement, la biodiversité, cette transformation du vivant — c’est la peur technologique, c’est la peur migratoire et ce sont ces grands phénomènes contemporains qui dépassent largement le cadre national, très souvent d’ailleurs la capacité à agir des Etats et qui supposent de nouveaux modes de coopération, d’action mais aussi une réponse efficace aujourd’hui qu’on a parfois du mal à apporter, en tout cas qui supposent de restructurer beaucoup de nos organisations contemporaines, j’y reviendrai.

Ensuite nous vivons une crise des inégalités qui est pour moi la crise du système capitaliste contemporain et ça aussi c’est quelque chose qui s’est décanté. Au fond c’est sans doute une des répliques sismiques de la crise de 2008-2010 mais on a une crise du capitalisme. C’est-à-dire qu’on a une organisation économique mondiale qui n’arrive plus à faire bien vivre les travailleurs. Qui a eu une efficacité pendant des décennies, elle a réduit dans le monde entier la pauvreté – il faut savoir regarder ça, on a réduit comme jamais durant les 50 dernières années la pauvreté dans le monde – mais aujourd’hui elle ne permet plus de répondre aux inégalités qu’il y a dans nos sociétés et qui deviennent de plus en plus intolérables et qui alimentent aussi ces fissures. Face à ces contestations, ces tensions, la contestation du système démocratique et du système capitaliste, on voit des formes de réponses nouvelles arriver : la démocratie illibérale et la fascination pour des régimes autoritaires qui arrivent au sein même de l’Europe dans des coalitions dans plusieurs pays, qui est un choix assumé, qui émerge comme une solution alternative à la démocratie dans l’ordre international. Il suffit de tourner la tête autour de nous aujourd’hui à la table du G20, aux Nations-Unies pour voir que la téléologie démocratique dans laquelle nous vivions il y a 20 ans n’est plus aussi évidente. Et donc la remise en cause de la démocratie est une tentation du monde contemporain dans laquelle on vit. Il y a une autre réponse qui est l’isolationnisme ou la décision en quelque sorte de sortir de l’ordre international, d’y répondre par la brutalité qu’elle soit militaire, géopolitique, commerciale, l’unilatéralisme et les formes d’hégémonie nouvelles. Et puis il y a dans nos sociétés la montée de formes de violence nouvelles qui, elles aussi, se recomposent et qui participent de ce malaise. Donc on voit que les problématiques que nous avons à gérer dans nos pays et sur le plan international sont intimement liées et que cette crise est pour moi très profonde. Quand j’ai fait référence l’autre jour au temps long, que j’assume, c’est que la recomposition qui est devant nous elle ne se réglera pas en un sommet ou une rencontre mais elle suppose de repenser en profondeur les organisations qui sont les nôtres, notre capacité à répondre à ces grands défis que j’évoquais et à apporter une réponse à ce que je viens d’évoquer.

C’est dans ce contexte que s’inscrit pour moi ce G7 comme un moment de ce qu’on a essayé de recomposer. Alors vous me direz dans ce monde-là quel est le rôle et l’impact de la France ? D’abord, nous, on tient. Ça nous donne une responsabilité, nous avons une solidité institutionnelle. Nous sommes dans un cycle politique qui est un peu différent des autres, dans un cycle économique aussi qui est un peu différent des autres et je pense que la France a une responsabilité toute particulière dans cet ordre international que je viens de décrire à grands traits. La conséquence de tout ce que je viens de dire c’est qu’il y a une remise en cause historique de l’ordre international. L’ordre international qui reposait sur un multilatéralisme des règles de droit, l’universalisation des valeurs occidentales qui est l’acquis si je puis dire de l’après Deuxième guerre mondiale a été, est en train, d’être profondément bousculé, parfois par certains garants de cet ordre international — c’est une partie de la stratégie américaine — par la montée de contre-pouvoirs, de nouveaux pouvoirs hégémoniques – c’est la conséquence de transformations chinoises en cours ou de la réinscription de la Russie dans cet ordre international sous de nouvelles formes depuis 5 ans. Moi, j’ai considéré que notre rôle par rapport à ça était d’essayer d’inventer si je puis dire des modalités nouvelles, une finalité nouvelle et de nous réinscrire aussi dans ce qu’est notre rôle historique et c’est comme ça que j’entends travailler sur ce G7. Au fond ce à quoi on assiste et qui est la conséquence de tout ce que je viens de dire c’est que l’on voit bien que le moment que nous vivons sans doute depuis le 18ème siècle est peut-être en train de s’effacer. Ce qu’on vit depuis le 18ème siècle c’est un ordre international qui reposait sur une hégémonie occidentale. L’ordre international c’était l’Occident qui le décidait : la France largement, avec un ordre occidental si je puis dire, des Lumières au 18ème ; le Royaume-Uni au 19ème par la révolution industrielle ; les Etats-Unis sans doute au premier rang durant le 20ème siècle par la puissance économique et la suite des deux grands conflits mondiaux. Cette hégémonie occidentale, elle est en train d’être profondément remise en cause parfois par la faiblesse des Occidentaux eux-mêmes, leurs erreurs- – on pourra y revenir dans les conflits récents depuis quelques décennies- , leur incapacité à réformer le capitalisme et l’émergence de nouveaux pouvoirs. Mais au fond on peut être les spectateurs de conflits qui montent, on peut décider d’être les opérateurs d’un nouvel ordre, et moi je pense que nous avons cette possibilité de le faire. D’abord en essayant de défendre pour le réinventer ce qu’est le multilatéralisme contemporain. C’est ce qu’on essaie de faire depuis 2 ans et je crois que ça a été l’implication constante de la France et de ses partenaires européens de défendre un multilatéralisme fort, de ne pas céder en quelque sorte à l’ensauvagement du monde contemporain et de dire “cet ordre de droit qui est notre acquis depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, on doit le défendre”, peut être le réinventer mais ne pas céder à des formes de conflictualité contemporaine ou en tout cas ne pas considérer que c’est une fatalité. C’est ce que je souhaite qu’on puisse réinscrire au cœur de ce G7, je vais y revenir dans un instant. Ensuite c’est considérer que la France a un rôle dans ce cadre qui est lié à son histoire, à son statut, c’est celle d’être ce que j’ai pu appeler cette puissance d’équilibre. Nous ne sommes pas un pays aligné, d’abord ça n’est pas notre tempérament, ce n’est pas notre moi profond et je crois très profondément quand bien même nous avons des alliés que nous devons préserver et redéfinir notre capacité à parler à tout le monde. C’est ce que nous faisons avec force sur le sujet iranien en Libye, avec la Russie, avec la Chine. On peut avoir des amis et des alliés mais pour autant les ennemis de nos amis ne sont pas forcément les nôtres et je pense que c’est important de rester comme ça parce que ça fait de nous une puissance de médiation. Je pense que dans un monde où le principal risque pour nous est une rebipolarisation dans une conflictualité nouvelle entre les Etats-Unis et la Chine et un monde dont le centre de gravité se rebasculerait vers l’Asie, le risque pour l’Europe c’est l’effacement. Le risque pour l’Europe c’est la perte de souveraineté profonde et c’est au fond d’avoir à choisir son camp, son allié mais dans un rôle qui ne serait plus défini que comme un rôle de vassalité. Je ne veux pas ça pour l’Europe et pour la France. C’est pour ça que vous m’avez aussi depuis deux ans entendu marteler le concept d’une souveraineté française, européenne et je pense que c’est au cœur du défi qui est le nôtre. Si nous voulons continuer à peser et avoir une autonomie stratégique, diplomatique dans ce monde qui est en train d’être fracturé, redéfinir ce qu’est un projet pour nous, il ne faut pas dépendre trop y compris de nos alliés et de nos amis et donc il faut une souveraineté militaire, stratégique, sur le cyber, sur l’espace et en matière technologique. L’appréhension de cette souveraineté indispensable nous conduit à repenser parfois beaucoup de nos fondamentaux parce qu’on avait abandonné ce concept, il faut bien le dire, pendant plusieurs décennies, ou plutôt on l’avait laissé aux souverainistes nationalistes. Or je pense que stratégiquement si nous ne savons pas redéfinir les termes de notre souveraineté nous ne pourrons pas défendre notre projet. Pour moi le cœur du défi qui est le nôtre dans cet ordre contemporain c’est de pouvoir réarticuler au niveau français, européen et international ce qu’est la civilisation européenne, c’est-à-dire un humanisme reposant sur des équilibres qui croit dans l’économie sociale de marché, où l’homme est au cœur du projet, où la technologie et le progrès scientifique sont toujours au service de l’homme et pas d’un rêve prométhéen qui le réduirait au second, où le collectif existe dans le fait national et les projets concrets, mais où l’individu n’est jamais soumis à un projet politique plus grand que lui comme on a pu le trouver dans des totalitarismes autres, dans des projets politiques qui soumettent l’individu à la règle du collectif ou dans des projets théologiques qui ont parfois dans certaines régions pu voir le jour. Donc ce rapport à la dignité de l’homme, à l’humanisme et au fond à ce qui fonde la civilisation européenne, c’est ça ce que nous avons inventé. Ne nous trompons pas, si l’ordre international continue à se démanteler de la sorte, si les démocraties sont remises en cause comme elles le sont aujourd’hui, si le capitalisme ne trouve pas ces nouveaux modes de régulation c’est la capacité à réarticuler ce projet européen qui sera elle-même remise en cause. Et donc pour moi la finalité de notre politique internationale, européenne et même nationale c’est de pouvoir redéfinir cet humanisme du 21ème siècle qui est au fond ce qu’est la civilisation européenne. Elle a des racines culturelles, religieuses parfaitement assumées mais elle a une démarche politique qui est celle de l’émancipation de l’homme et de la dignité de l’individu placé comme finalité première. Ce projet il est irréductiblement européen, il n’est pas une évidence et il n’a pas la même nature aux Etats-Unis ou sur le continent américain et il n’a pas du tout la même nature sur le continent asiatique. Notre capacité à traiter des peurs contemporaines, des changements, des fracturations, conditionne notre capacité à réussir ce projet européen et c’est ça la perspective que je crois nous devons donner à notre peuple et sur laquelle je veux aussi que nous travaillions, qui est pour moi le fil rouge de l’action nationale que nous menons. Alors ce G7 est pour moi un laboratoire de ce travail, est un point d’étape important dans le cadre de ce que depuis deux ans nous essayons de faire dans ce contexte. D’abord parce que je pense qu’il y a au cœur du G7 quelque chose qui participe de cette capacité de médiation et de puissance d’équilibre. Le G7, je le disais, a été pensé par le président GISCARD dans un contexte très différent parce qu’en 1975 les pays émergents c’était 30% de la richesse mondiale, aujourd’hui c’est 52 % de la richesse mondiale. Les pays autour de la table du G7 n’ont pas le même poids, ils ne peuvent plus dire “on est la majorité de la valeur créée dans le monde.” Mais il y a un fait qui continue, ça reste des grandes puissances économiques et industrielles qui partagent un certain rapport justement au progrès, au libéralisme économique et politique et aux valeurs, et c’est d’ailleurs ce qui distingue le G7 du G20.

Le G7 du coup reste pour moi un format pertinent et nous avons voulu en garder la sève. C’est pourquoi j’ai décidé un changement de méthode qui est la fin du communiqué pré-négocié. D’abord, c’est pour vous faciliter la vie, ensuite c’est peut-être parce que dans une vie antérieure il m’est arrivé de négocier ces communiqués et au fond parce que le G7 était devenu une sorte de zoom sur les désaccords entre ces sept qui pesaient moins qu’avant sur ces valeurs-là et ça n’a plus aucun sens. Nous n’avions plus du coup de discussions qui était le cœur même du projet initial, la discussion informelle d’un club qui doit se dire les choses en vérité de temps en temps. Donc c’est ça ce que l’on va retrouver. Ce G7 de Biarritz j’assume pleinement son caractère informel, le samedi soir, le dimanche matin on va parler des grands sujets stratégiques de sécurité, de commerce et d’économie mondiale de manière très informelle pour se dire les choses — je vais vous dire où sont mes convictions — essayer de parler des grands conflits – on pourra y revenir dans le cadre des questions parce que je ne veux pas être trop long- et de ce qui structure l’économie mondiale. On verra s’il y a matière à faire des communiqués et des points de convergence. Moi je sais dire une chose aujourd’hui : où sont les grands risques, les tensions géopolitiques qu’on ne sait pas gérer. Principalement au Moyen-Orient avec l’Iran. On doit avoir une discussion entre nous sur comment on gère le sujet iranien et on a des vrais désaccords au sein du G7 : on a trois puissances européennes et le Japon qui ont une position assez claire, qui ont un rapport avec l’Iran totalement assumé et les Américains qui étaient signataires, initiateurs même de la négociation du JCPOA qui ont décidé de changer totalement de ligne.
La France a joué un rôle tous ces derniers mois et actif cet été, on pourra y revenir si vous le souhaitez puisque j’aurai dans les prochaines heures avant ce G7 de nouvelles réunions avec les Iraniens pour essayer de proposer des choses. Mais on aura une discussion là-dessus. On parlera évidemment d’Ukraine, de Syrie, du Yémen, de Russie, de Libye, donc tous les sujets de crise sur lesquels une position commune, je pense, permettrait de gagner en efficacité et d’asseoir aussi une plus grande crédibilité. Aussi parce que pour moi le G7 est le lieu où on peut de manière efficace envoyer un message clair sur ce qu’avec je trouve beaucoup de pertinence il y a quelques semaines David MILIBAND dans une conférence qu’il a donnée à Oxford a appelé “le nouvel âge de l’impunité”. Parce que cette fracturation du monde que j’évoquais nous fait beaucoup reculer sur un ordre international humanitaire et moi je souhaite que lors de ce G7 on puisse aussi avoir un message très clair sur les règles et valeurs qui sont les nôtres et le rappel du respect des valeurs humanitaires. J’ai commencé à le faire en marge, plutôt en introduction de la discussion avec le président POUTINE. Ce qui se passe à Idlib ne peut pas être tu autour de la table du G7 et je pense qu’il faut que nous ayons un message aussi très clair sur le respect du droit humanitaire et de la protection des populations civiles. Parce que quand on regarde la transformation des conflits contemporains ils sont de plus en plus violents, on a de plus en plus des guerres par proxy et de plus en plus des guerres qui touchent les humanitaires et les populations civiles.

On parlera évidemment des sujets économiques et commerciaux et pour moi il y a deux sujets clés : est-ce qu’on sait pacifier le commerce international ? Ce qui aujourd’hui détruit le plus de valeur c’est en quelque sorte la tentative de réponse de certains autour de la table qui consiste à dire : réponses aux déstabilisations contemporaines c’est l’isolationnisme ou la guerre commerciale. Je pense c’est une erreur de raisonnement et donc il faut qu’on ait une vraie discussion sans naïveté sur ce qu’est la protection de la propriété intellectuelle dans le commerce international, la restauration d’équilibre et de protection légitime mais en même temps la pacification du commerce international. On aura aussi des discussions, on pourra y revenir dans le cadre des échanges, sur l’activité numérique et la bonne taxation de l’ordre international contemporain, ce qui est un élément essentiel d’un capitalisme plus juste et plus régulé. Et on aura évidemment aussi des échanges sur la croissance internationale, on ne peut pas ne pas échanger entre nous sur ce point. Là-dessus je voulais juste dans ce propos liminaire attirer votre attention sur le fait que sur ce point aussi on atteint à mes yeux en tout cas un moment où il nous faut repenser des dogmes dans lesquels nous vivons depuis plusieurs décennies. On a géré une crise historique il y a maintenant un peu plus de dix ans, on l’a gérée avec beaucoup de conséquences sur les classes moyennes de nos pays et beaucoup d’inégalités produites par les décisions prises en 2008-2010 que ce soit d’ailleurs dans le système anglo-saxon comme dans le système d’Europe continentale. Ce sont les classes moyennes qui ont payé soit par la faillite et la restructuration de leur dette, soit par les restructurations faites dans les pays qui ont conduit à des réformes d’une violence inédite sur le plan social. Et on a eu une politique monétaire qui à côté de ça a permis de maintenir un niveau de croissance. Cette politique monétaire nous a amené à des niveaux de taux qui sont aujourd’hui nuls, c’est-à-dire qu’elle est à la frontière technologique de son efficacité et donc comment on maintient, on relance la croissance internationale dans l’ordre actuel. Alors on peut la relancer avec une politique d’innovation, avec une politique de commerce, ce que j’évoquais, ce qui n’est pas la tendance actuelle. Mais on doit se poser la question pour les pays qui en ont la capacité, les espaces géographiques qu’ils portent, de la pertinence d’une relance budgétaire. Certains économistes ont commencé d’ailleurs à mettre sur la table ce sujet, c’est un sujet qui est posé à l’Europe — pas à la France qui n’a jamais lâché ce levier mais à l’Allemagne et à d’autres pays — et en tout cas nous avons aussi je pense une interrogation profonde sur ce qu’est la croissance et les leviers de croissance internationaux pour les années à venir. Ça c’est pour moi l’un des aspects importants de cet échange et des grands enjeux de ce G7. Et donc je ne sais pas vous dire aujourd’hui quelles en seront les débouchés concrets parce que j’assume pleinement le caractère extrêmement stratégique et informel de la discussion que nous devons avoir mais il est clair que j’attends beaucoup de nos partenaires européens et américains pour m’aider à avancer sur ces points.

Ensuite en méthode, au-delà du retour au caractère informel de ce G7, j’ai souhaité aussi qu’on puisse élargir et innover dans la méthode pour avoir une action utile de deux manières. D’abord en associant ce que j’appelle les puissances de bonne volonté, et donc on a mis autour de la table des pays qui ne sont pas du G7, qui pour certains sont du G20, mais qui partagent nos valeurs, sont des démocraties et souhaitent avancer avec nous. Quatre tout particulièrement : l’Inde, l’Australie, l’Afrique du Sud et le Chili avec des implications sur le commerce, sur le numérique et autres et qui évidemment ont un poids tout particulier dans différents espaces géographiques. Cet échange qui sera actif sur le numérique, sur le climat, sur la croissance avec eux est une vraie innovation de ce G7 pour aussi construire des coalitions nouvelles. Deuxième point, on va mettre l’Afrique au cœur de ce G7. C’est pour moi une manière de répondre au sujet des inégalités que j’évoquais. L’Afrique ne sera pas l’invitée du dernier déjeuner dans ce qu’on appelait les outreach de ce G7, nous avons conçu tout l’agenda de ce G7 avec nos partenaires africains. Ils seront présents dès la deuxième journée sur l’ensemble des séquences et il y a une séquence qui sera totalement dédiée à l’Afrique avec plusieurs initiatives très fortes en matière d’aide au développement : développement de l’entreprenariat féminin avec une action très structurante que nous menons avec la BAD et plusieurs autres pays, initiative dite AFAWA, et avec une initiative très forte en matière de sécurité et de stabilité au Sahel où nous allons — là je pourrai répondre à vos questions, je ne veux pas non plus être trop détaillé — avec l’Allemagne en particulier prendre une initiative nouvelle en matière de sécurité et de stabilité en Afrique, tout particulièrement Sahel, Lac Tchad, Golfe de Guinée avec là aussi de nouvelles initiatives. En méthode ce que nous allons aussi faire c’est associer davantage la société civile avec dès vendredi plusieurs sessions qui se tiendront toute la journée, qui seront partie intégrante de ce G7. Nous avons en effet fait travailler la société civile je dirais au-delà de ce qui est fait d’habitude. On a gardé l’innovation canadienne du Conseil consultatif pour l’égalité femmes hommes dont les recommandations seront présentées devant les leaders le dimanche midi, mais avec des vraies innovations, là aussi j’y reviendrai, sur le fond. Mais au-delà de ça on a associé le One Planet Lab, donc des entreprises, on a construit des coalitions pour une croissance plus inclusive en faisant travailler d’ailleurs sous l’égide d’Emmanuel FABER plusieurs entreprises françaises, internationales avec la constitution d’un fonds de 300 millions d’euros et le développement d’engagements de grandes entreprises et de fonds d’investissement pour justement un capitalisme plus inclusif, ce qui est au cœur de cette recomposition que j’évoquais tout à l’heure c’est-à-dire la possibilité de définir de nouvelles règles du capitalisme et comment des entreprises, des investisseurs s’engagent aussi à mieux respecter en leur sein l’égalité femmes-hommes, des règles de rémunération justes, la prise en compte des objectifs de biodiversité et de climat, la soutenabilité de leur modèle financier, ce qui pour moi est un élément important parce que c’est comment réinternaliser dans le fonctionnement économique et du capitalisme les éléments clés que les gouvernements avaient jusqu’alors à gérer seuls. Pour la première fois dans l’histoire du G7 nous avons réussi à faire signer un texte commun entre les ministres, les responsables patronaux et les responsables syndicaux des sept pays il y a quelques semaines qui a permis aussi d’acter cette volonté de transformer le dialogue social et les règles du capitalisme en notre sein, et nous avons comme ça plusieurs initiatives qui sont prises. Donc voilà en méthode l’innovation aussi de ce G7.

Enfin plusieurs actions à la fois présentées vendredi 23 et autour des leaders à Biarritz qui marquent aussi cette volonté de rebâtir un ordre plus juste, plus démocratique, plus efficace avec des actions très concrètes pour l’égalité femmes-hommes, le bouquet législatif, pour l’entrepreneuriat féminin – je l’évoquais – la reconstitution du Fonds mondial que la France aura à présider au mois d’octobre – et nous allons commencer à préparer cela – le capitalisme plus inclusif – je l’évoquais à l’instant – et avec ensuite deux axes forts que seront climat/biodiversité et numérique. Là-dessus j’ai souhaité aussi qu’on puisse innover avec des actions extrêmement concrètes et structurantes. C’est-à-dire plutôt que de négocier des déclarations d’essayer d’avancer sur des coalitions d’actions. Donc en matière climatique nous signeront d’abord tous la charte biodiversité qui a été agréée à Metz par les ministres et qui est unique, qui est la conséquence du travail de l’IPBES qui avait été remis il y a quelques mois, qui est le premier engagement en matière de biodiversité pris à ce niveau. Ensuite nous allons prendre plusieurs actions concrètes. On sait qu’il y a un rendez-vous important en septembre avec le sommet climat aux Nations Unies donc je veux faire du rendez-vous du G7 l’engagement des grandes puissances développées pour préparer cela. Et donc nous aurons à annoncer nos engagements pour la reconstitution du Fonds vert pour le climat, ce qui est un élément important. Je souhaite pouvoir finir de convaincre tous les partenaires qui seront là, y compris ceux qui sont non formellement du G7, du relèvement de leur niveau d’ambition, et l’Inde est un partenaire à cet égard essentiel. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire engager tout le monde sur une coalition neutralité carbone 2050 qui est un élément essentiel de notre trajectoire. Vous le savez, la France avait pris cette initiative en Europe il y a quelques mois, on était deux, au sommet de Sibiu on était huit, on a réussi à convaincre de plus en plus d’Européens, je pense qu’on va réussir à changer les choses. Au G20 d’Osaka on avait continué à convaincre, au G20 d’Osaka on avait réussi à ramener les Chinois sur cette trajectoire. Maintenant avec l’Inde je souhaite qu’on puisse passer une nouvelle étape sur ce volet-là. Et puis on va mettre en place des coalitions d’acteurs assez inédites qu’on a préparées dans le cadre des One Planet Summit sur les gaz des climatiseurs, les gaz dits HFC, qui sont extraordinairement nocifs en termes d’émissions (leur pouvoir réchauffant et jusqu’à 14 800 fois supérieur à celui du CO2). La lutte contre le HFC elle est absolument vitale. Et là on a réussi à engager des entreprises qui vendent ces climatiseurs très polluants et engager un pays comme l’Inde, c’est toute la discussion que j’aurai demain avec le Premier ministre MODI, est essentiel parce que l’Inde est un des pays qui non seulement en consomme le plus mais en produit le plus, et donc là c’est une coalition d’acteurs, si on arrive à la mener, qui est structurante. Sur le transport maritime on a réussi à structurer une coalition d’acteurs parce que le transport maritime est très polluant, et de la même manière sur la mode et le textile, ce qui peut vous surprendre, mais c’est l’un des secteurs les plus émetteurs de CO2 : 17 à 20 % de la pollution industrielle de l’eau au monde, 8 % des émissions de gaz à effet de serre au monde, jusqu’à 35 % de la pollution plastique dans les océans sont dues au secteur du textile. Donc là-dessus pour la première fois on a mandaté un des dirigeants de ce secteur, il a pris son bâton de pèlerin et il a bâti une coalition qui s’engagera formellement et donc nous suivrons à chaque fois ces engagements. Et puis en matière de numérique c’est le même esprit, conformément à ce qu’on avait fait par exemple sur l’appel de Christchurch, que nous poursuivrons avec d’abord un partenariat Information et démocratie auquel vous serez sensibles pour avancer dans la lutte contre les manipulations de l’information, et là-dessus nous nous appuyons en particulier sur ce qui avait été préparé par Reporters sans frontières et toutes les initiatives concrètes menées en la matière. On va aussi bâtir une charte pour un Internet libre et ouvert avec la poursuite du travail de Christchurch contre les contenus haineux en ligne et on poursuivra le travail lancé au Canada sur le projet de groupe d’experts internationaux en matière d’intelligence artificielle qui est un élément clé si on veut mettre de l’éthique sur ce sujet d’innovation.

Donc vous le voyez de manière très concrète sur chacun de ces sujets l’agenda à la fois des chefs d’Etat et de gouvernement, des entreprises, des ONG etc. c’est de mettre les pierres de ce nouvel ordre démocratique et économique qui répond aux peurs initiales que j’évoquais, et de montrer de manière très concrète comment on répond à la peur technologique, à la peur climatique, et comment on recrée de l’efficacité dans le système en engageant les acteurs à agir ensemble. Voilà le cœur de ce qui se jouera au G7, et donc vous le voyez bien, pour conclure, j’en fais un lieu de la poursuite de notre action menée depuis deux ans, qui ensuite se construira à travers nos rendez-vous aux Nations unies, le Fonds mondial sida en octobre à Paris et les différentes initiatives que nous aurons à conduire.

Au fond, je veux en faire un G7 utile pour la défense des biens communs, la lutte contre les inégalités, vous l’avez compris, plus largement, pour qu’il y ait une prise de conscience collective du défi qui est le nôtre que, dans la recomposition contemporaine, la France et l’Europe puissent jouer toute leur part. Pour moi, ce qui se joue dans ce G7 mais au-delà, dans les années qui viennent, c’est bien notre capacité d’une part à préserver la stabilité du monde et d’éviter l’embrasement des conflits, qu’ils soient géopolitiques ou commerciaux, mais c’est, plus profondément, de savoir réinventer le projet civilisationnel européen qui, j’en suis convaincu, est une réponse à la stabilité internationale et une réponse à l’aspiration de nos peuples, je crois un projet positif que nous avons apporté. Pardon d’avoir été un peu long, mais c’était le cadre que je voulais redonner. »

Emmanuel Macron

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