La secousse n’a même pas duré une minute, mais elle a détruit toute la ville de Port-au-Prince comme un château de cartes. Ce soir-là, Jacques Marie est chez lui, sur les hauteurs de la capitale. “La maison a commencé à trembler comme dans un shaker ou un hélicoptère, témoigne-t-il. Le plus terrible, c’était les cris de mort de tous les habitants qui hurlaient. Leurs voix montaient jusqu’à nous à chaque petite secousse.”
Dix ans après, tout reste à faire, ou presque
“Il n’y a pas eu beaucoup de reconstruction, constate M. Marie, plusieurs ministères, quelques petits immeubles mais on voit toujours les stigmates du tremblement de terre : des maisons fissurées et des ruines dans lesquelles les gens vivent. Il n’y a pas eu de plan. Le palais national non plus n’a pas été reconstruit.”
Le plus grave, renchérit Milena Sandler, c’est qu’on n’a absolument pas tiré les leçons du drame qui a fait autour de 300 000 victimes : “90 % des constructions post-tremblement de terre l’ont été sans permis de construire ! Le gouvernement n’a mis en place aucune surveillance, ni aucune supervision. Il faut que quelqu’un empêche ça. C’est la faute de l’État mais aussi de chaque Haïtien qui n’apprend pas et n’a pas de mémoire.”
Directrice d’une agence de communication, mariée à un Haïtien, la Française organise depuis 14 ans le festival international de jazz de Port-au-Prince, dont Dee Dee Bridgewater fera l’ouverture la semaine prochaine, le 18 janvier. Répartis dans 12 lieux différents, 85% des 40 concerts sont gratuits.
Squelette de pierre
En 2010, la communauté internationale avait promis ou versé des milliards de dollars pour reconstruire Haïti. Beaucoup se demandent où est allée toute cette aide.
“Comme dans les catastrophes naturelles, l’argent arrive, les ONG se sont multipliées à outrance, mais cela n’a pas été suffisant pour sortir la population de son état de délabrement. Beaucoup d’argent a disparu dans les poches de personnes qui ont profité de leur position pour se faire des fortunes personnelles”, estime Jacques Marie.
Après plusieurs mois de paralysie totale des activités, l’économie haïtienne est entrée en récession en 2019, selon le FMI. Fait inédit, entre fin août et début décembre, les écoles du pays ont même fermé pendant plusieurs mois.
“La gouvernance est difficile à mettre en place, analyse Jacques Marie. La plupart des élus ne sont pas formés pour faire de la bonne politique et prendre en main le destin du pays. Il faudrait une tutelle. Tous les efforts des États-Unis et de la France n’ont pas porté leurs fruits.”
Gangs armés à Port-au-Prince
Alors que le tourisme avait commencé à redécoller jusqu’en 2017, Haïti s’enfonce depuis dans la violence, avec des gangs armés qui tiennent les quartiers de Port-au-Prince.
“Il faudrait qu’on arrête d’avoir autant de corruption, suggère Milena Sandler. Dans un pays où les gens n’ont pas à manger et pas de travail, avec autant d’injustice et de différence de traitement, c’est normal d’en arriver là. C’est catastrophique.”
10 ans après le séisme, le nouvel hôpital de Port-au-Prince est toujours en construction et les ruines de la cathédrale Notre-Dame restent un squelette de pierres, éventré, ouvert à tous les vents. Difficile de trouver de quoi nourrir l’espoir. La population haïtienne est réputée accueillante et sympathique, mais cela ne suffira sans doute pas à remettre le pays debout.
Écrire à Jacques Marie : jacq.marie@gmail.com
Écrire à Milena Sandler : milena@papjazzhaiti.org