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Français à l'étranger
20 janvier 2020

Philippe Chalon: « Nous n’avons vécu jusqu'à présent que le prologue du Brexit »

Le site Français à l’étranger, en collaboration avec le Cercle d’outre-Manche, lance un nouveau rendez-vous hebdomadaire au cours duquel des dirigeants français partageront leurs problématiques liées au Brexit. Philippe Chalon, secrétaire général du CoM et Directeur des relations extérieures chez International SOS, livre dans cette première interview ses observations.

Pouvez-vous nous présenter le Cercle d’outre-Manche?

Philippe Chalon : Le Cercle d’outre-Manche (CoM) a été fondé à Londres en 2004 par Arnaud Vaissié, PDG d’International SOS, leader mondial de la maîtrise des risques de santé et de sécurité à l’international, et Pascal Boris, administrateur de sociétés. Le CoM est un think-tank économique indépendant basé à Londres rassemblant 50 patrons français au Royaume-Uni, allant des start-ups aux grands groupes, et issus de nombreux secteurs d’activité (services, industrie, tech, finance, hôtellerie etc). Nous avons par conséquent un regard croisé sur l’ensemble des industries. L’ADN du CoM est de faire du benchmarking notamment entre la France et le Royaume-Uni en mettant en avant les meilleures pratiques des deux pays. Certaines des propositions faites dans nos publications ont fait l’objet de récentes mesures gouvernementales en France notamment sur la modernisation du droit du travail, la simplification des normes ou encore la mise en place d’un environnement plus favorable aux start-ups pour qu’elles puissent se développer rapidement afin de créer des emplois.

Le Brexit a-t-il changé votre positionnement ?

PC : Face aux incertitudes et aux inquiétudes liées au Brexit, nous sommes également un observatoire privilégié du Brexit au sein de la communauté d’affaires française présente au Royaume-Uni. Nous consultons régulièrement nos membres afin de comprendre et appréhender les conséquences présentes et futures du Brexit. Nous savons par exemple que 42% de nos membres n’ont pas réalisé au cours de ces 36 derniers mois les investissements qu’ils auraient dû faire au Royaume-Uni en raison de l’incertitude. Ces données sont particulièrement éclairantes pour les pouvoirs publics français et britanniques et elles expliquent en partie le ralentissement de l’économie britannique depuis 2016 (croissance de 2,5% en 2015 contre 1,2% en 2019). Le CoM a un rôle important à jouer aux côtés d’autres organisations patronales françaises au Royaume-Uni, comme la Chambre de Commerce et les Conseillers du Commerce Extérieur, afin de promouvoir la future relation post Brexit entre le Royaume-Uni et la France. Il est important de rappeler que le Royaume-Uni est un partenaire majeur pour la France en termes de politique de sécurité-défense et de politique commerciale notamment. Le Royaume-Uni est le premier excédent bilatéral de la France, en augmentation en 2018 avec 12 milliards € (contre 10 milliards en 2017) et largement devant Singapour (6 milliards €) et Hong Kong (5,5 milliards €).

Après plus de trois ans et demi d’incertitude et de rebondissements, quel est l’état d’esprit de la communauté française au Royaume-Uni aujourd’hui?

PC : Nous n’avons vécu jusqu’à présent que le prologue du Brexit. Il existe, et on peut le comprendre, un sentiment de grande lassitude au sein des ressortissants de l’Union européenne vivant outre-Manche comme au sein de la population britannique. Ces 43 derniers mois et les quatre reports successifs du Brexit (29 mars, 12 avril, 31 octobre 2019 puis 31 janvier 2020), ont été particulièrement éprouvants, avec l’inquiétude, à chaque nouvelle date butoir, d’une sortie sans accord. Fort d’une nouvelle majorité, le premier ministre britannique Boris Johnson vient de faire adopter au Parlement son accord sur le Brexit négocié avec les Européens. Cela lève dans l’immédiat le risque d’un Brexit sans accord ce qui est très positif. Toutefois, il est important de rappeler que le plus difficile reste à faire avec la mise en place du futur partenariat entre le Royaume-Uni et l’Union européenne que Boris Johnson souhaite signer avant le 31 décembre 2020.

Dans quelles conditions les ressortissants européens pourront-ils rester au Royaume-Uni après le Brexit ?  

PC : Les semaines et les mois qui ont suivi le referendum du 23 juin 2016 ont généré une très vive anxiété au sein des ressortissants de l’Union européenne et des 300 000 ressortissants français en particulier. La préoccupation majeure était en effet de savoir s’il pourraient rester vivre et travailler au Royaume-Uni et, si oui, dans quelles conditions. La mise en place en janvier 2019 par les autorités britanniques d’un statut de résident permanent « settled status »pour les ressortissants européens et les membres de leur famille résidant au Royaume-Uni a globalement dissipé les inquiétudes. Ce statut doit en effet permettre à ses bénéficiaires de continuer, après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, à travailler, étudier et accéder aux prestations sociales et services du pays dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. Les Français vivant outre-Manche ont jusqu’au 30 juin 2021 (en cas d’accord) pour le demander et il est essentiel de le faire. Les démarches se font via un smartphone ou une tablette Androïd et cela prend entre 20 et 30 minutes. J’ajoute que le Consulat de France à Londres fait un travail d’information remarquable auprès de la communauté française. A ce jour, 100 000 Français ont déjà fait la démarche, il faut donc poursuivre ce travail d’information pour que l’ensemble des Français du Royaume-Uni puissent résider légalement au Royaume-Uni après le Brexit.

Qu’en est-il des entreprises ?

PC : Les entreprises redoutent l’incertitude et le Brexit génère toujours une insécurité puisque la future relation et l’accord de partenariat économique entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ne sont pas encore connus. Les entreprises évoluent dans un monde où la compétition est de plus en plus rude et où tout doit aller vite. Bon nombre d’entreprises n’ont pas pu faire le choix d’attendre et elles ont pris les devants au cours de ces deux dernières années en réduisant une partie de leurs activités outre-Manche notamment dans le secteur financier et automobile.  Par conséquent, l’impact est important sur les investissements au Royaume-Uni. Un grand nombre d’entreprises ont soit repoussé, soit annulé, les investissements qu’elles avaient prévus de faire avant le vote en faveur du Brexit. Le manque d’investissement sur une période donnée ne se rattrape pas. Il n’est donc pas surprenant que les investissements directs étrangers (IDE) au Royaume-Uni aient enregistré ces deux dernières années leur plus bas niveau depuis près de 10 ans. Les grands groupes ou les secteurs très exposés comme les laboratoires pharmaceutiques ont, pour la plupart, déjà mis en place des plans B en diversifiant leur voie d’approvisionnement par exemple. En revanche, cela est plus difficile pour les PME qui n’ont pas forcément les ressources nécessaires pour appréhender le Brexit dans les meilleures conditions. Aujourd’hui, les entreprises souhaitent que l’Union européenne et le Royaume-Uni concluent un accord de partenariat économique global et ambitieux, permettant d’éviter, à l’issue de la période transitoire, une perturbation ou une dégradation significative des échanges avec le Royaume-Uni.

Quel est votre regard sur le Royaume-Uni de Boris Johnson?    

PC : Sur le plan économique, rappelons que le Royaume-Uni demeure un grand marché de 65 millions d’habitants et la 2e économie européenne derrière l’Allemagne. Le pays maintient toujours aujourd’hui ce qui a fait sa force au cours de ces vingt dernières années avec un marché du travail fluide.  Cet avantage compétitif permet au Royaume-Uni d’être en situation de suremploi avec le taux de chômage le plus faible des grandes économies européennes (3,8%). Sur le plan politique, Boris Johnson et son gouvernement ont reçu un mandat clair et limpide de la part du peuple britannique ce qui constitue à ce jour une force indiscutable en vue des prochaines négociations avec l’Union européenne. La capacité du parti conservateur à capter une grande partie de l’électorat anciennement travailliste a été l’un des grands enseignements lors de cette dernière élection. Pour la première fois de son histoire, le parti conservateur, traditionnellement libéral et pro-business, doit répondre à des attentes très fortes en termes de redistributions sociales. Créer de nouvelles richesses et mieux les redistribuer, voilà les deux jambes sur lesquelles Boris Johnson devra s’appuyer. « Never let a good crisis go to waste » disait Winston Churchill, faire du Brexit une crise qui permettra au Royaume-Uni de sortir par le haut tout en maintenant l’intégrité du Royaume: l’enjeu des années à venir.

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