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Français à l'étranger
17 février 2020

Pascal Boris: «Le Royaume-Uni a toujours été transactionnel dans son approche avec l’UE»

Chaque semaine, le site Français à l’étranger, en partenariat avec le Cercle d’outre-Manche, discute du Brexit avec un dirigeant français actif au Royaume-Uni. Cette semaine, Pascal Boris, business angel et ex-patron de BNP Paribas au Royaume-Uni, explore les relations, passés et futures, du Royaume-Uni avec l’Europe.

Pouvez-vous vous présenter?

Pascal Boris : J’ai une vision quasi continue de l’Angleterre depuis plusieurs dizaines d’années. J’ai été témoin, lorsque j’étais étudiant à la London Business School, de la grève des mineurs britanniques de 1974 qui entraîna la mise en place de la « Three-Day Week ». Je suis ensuite revenu à Londres en 1992 au moment même du « Black Wednesday ». L’annonce de mon arrivée chez Paribas dans le Financial Times est d’ailleurs passée complètement inaperçue alors qu’on s’inquiétait, ce même jour, du retrait de la livre sterling du mécanisme de change européen. Après 15 ans à Londres où j’ai été chargé de la fusion de BNP avec Paribas, j’ai ensuite rejoint BNP Paribas en Suisse en 2007. J’ai cependant toujours gardé un pied au Royaume-Uni où j’ai beaucoup d’amis et de relations professionnelles.

Depuis mon départ à « la retraite », nous avons décidé avec ma femme de revenir en Angleterre où je suis désormais business angel. J’aide des jeunes start-ups à grandir. Je suis administrateur de quatre d’entre elles, deux à Londres et deux en France, et conseiller d’une cinquième en Israël. Par ailleurs, j’ai été président de la Chambre de commerce française de Grande-Bretagne de 2001 à 2007 et en suis depuis le président d’honneur. J’ai également co-fondé en 2004 avec Arnaud Vaissié, le Cercle d’outre Manche (CoM). Je suis en outre, et j’ai toujours été, assez actif dans les milieux professionnels britanniques, notamment avec la CBI (Confederation of British Industry).

Le Brexit a-t-il eu des effets sur vos activités de business angel?

P.B.: Pour l’instant, il n’y a pas d’effet. Le Brexit a peut-être accéléré pour l’une d’entre elles l’ouverture d’un bureau à Bruxelles mais c’est beaucoup plus lié au plan de développement de la société et aux accords que nous avons signés, qu’au Brexit en lui-même. Parmi les quatre sociétés dont je suis administrateur, il y en a une seule où nous en parlons, où le Brexit peut avoir des conséquences sur son activité d’un point de vue règlementaire. Pour les autres ça a zéro impact aujourd’hui, puisque le Brexit n’a toujours pas eu lieu.

Pensez-vous que le Brexit pourrait avoir des conséquences sur la vie de tous les jours des Français au Royaume-Uni?

P.B.: Peut-être! Il y a un nouveau système qui s’appelle le « settled status ». Via ce système, les gens qui résident depuis plus de cinq ans au Royaume-Uni peuvent obtenir un permis de résidence permanent. Ceux qui résident depuis moins de cinq ans, obtiennent un « pre-settled status », avant d’avoir le « settled status » au bout de cinq ans. Ce statut est enregistré sur une base de données du Home Office (l’équivalent du ministère britannique de l’Intérieur).

Or, il n’y a pas de documents qui certifie cette autorisation de résidence et, même dans le courrier que j’ai reçu, on me dit que ce n’est pas une preuve d’autorisation. Pour avoir une preuve, il faut se connecter sur le site du gouvernement britannique sur lequel il y a un chapitre « viewing and proving your status » (voir et certifier son statut), rentrer son numéro de passeport, dire pourquoi nous voulons avoir cette preuve. Le site fournit ensuite un code, qui sera remis, par exemple, à son propriétaire, ou à son futur employeur. Celui-ci ira alors en ligne pour vérifier qu’on a bien le droit de vivre en Angleterre. Le système « settled status » oblige ainsi les propriétaires ou les employeurs à s’assurer que les personnes avec qui ils signent un contrat ont bien le droit de signer. C’est quand même une démarche assez lourde qui peut avoir des conséquences. Quand un propriétaire aura le choix entre un étranger ou un Anglais, ce sera plus sûr pour lui d’avoir un Anglais. Donc on perd quand même ce droit naturel qu’on avait, le même que celui des Anglais, de vivre en tant que citoyen européen. On l’a, mais de manière un peu réduite.

Comment percevez-vous le Brexit?

P.B.: Si on revient en arrière, les Anglais ont quand même toujours été très transactionnels dans leur approche vis à vis du monde et de l’Europe. Au XIXè siècle, le ministre des affaires étrangères Lord Palmerston disait “L’Angleterre n’a ni amis éternels ni ennemis permanents, elle n’a que des intérêts éternels et perpétuels”. Quand Winston Churchill a fait son discours à Zurich en 1948, il disait que la Grande Bretagne se trouvait au milieu des trois cercles concentriques, l’Europe, les Etats-Unis et le Commonwealth. D’ailleurs, il disait toujours que s’il avait le choix entre l’Europe et le grand large, il choisirait toujours le grand large. Le Royaume-Uni ne voulait pas alors avoir à faire avec l’Europe parce que ça ne marchait pas très bien. En 1957, les Britanniques ne voulaient pas participer au Traité de Rome, de la même manière que les clubs de football anglais ne voulaient pas participer à la coupe d’Europe de football parce qu’ils considéraient que les clubs européens n’étaient pas assez bons.

Ensuite, quand ils ont finalement voulu rejoindre la CEE parce que son économie était prospère, le président français Charles de Gaulle a mis un premier véto en 1963, puis un second en 1967. Le Royaume-Uni est finalement entré dans l’Europe en 1973, parce que l’Angleterre n’allait pas bien et le gouvernement britannique voulait vraiment aller vers quelque chose qui fonctionnait mieux. C’était transactionnel. Mais, dès 1984, la première ministre britannique Margaret Thatcher a demandé le fameux rabais. L’Angleterre a toujours eu des « opt-out », des options de retrait. Le pays a toujours été un acteur réticent, avec des opt-out dans le domaine social, il n’a pas voulu rentrer dans l’Euro. C’était un acteur réticent mais qui néanmoins a eu des contributions positives, le marché unique avec Margaret Thatcher, la libéralisation du droit du travail, des régulateurs indépendants et la lutte contre la bureaucratie.

C’est vrai que le Royaume-Uni était un acteur particulier de l’Union européenne (UE) mais l’UE doit quand même se poser des questions. Aujourd’hui on est dans une situation « lose-lose », personne n’y gagne. L’Europe perd une puissance économique importante, 66 millions d’habitants, 16% de son PNB. C’est un divorce, un divorce, c’est un constat d’échec. Mais ce serait trop facile de dire que c’est uniquement parce que les britanniques sont les britanniques. L’Europe doit aussi se demander pourquoi les gens ont envie de la quitter, qu’est-ce qui ne va pas? Aujourd’hui, et depuis des années, l’UE est considérée comme un bien en soi, auquel il faut adhérer avec foi, Mais aujourd’hui, les gens, dans leur quotidien, ne voient pas ce que l’Europe leur apporte. Tant que vous avez un produit « Europe » dont les gens ne voient pas l’intérêt, vous avez un risque qui se manifeste,  exacerbé avec le Brexit, mais qui peut revenir à tous moments dans d’autres pays, que les gens se soulèvent pour dire « à quoi sert l’Europe ?». L’Europe doit prouver ce qu’elle apporte quotidiennement comme bien-être, comme pouvoir d’achat,  comme sécurité. Il faut faire de mauvaise fortune bon coeur, faire que ce divorce soit une occasion de redéfinir les avantages de l’Europe pour les citoyens européens.

J’ai une anecdote, un jour, j’ai dit à un de mes vieux amis qui a été responsable du patronat britannique, ministre et membre de la Chambre des Lords : « Ecoute, moi, je regrette vraiment que la Grande-Bretagne quitte l’UE, elle pouvait tant contribuer à améliorer l’Europe ». Il m’a regardé d’un air totalement interloqué, en me disant “Mais, améliorer l’Europe, ça ne nous intéresse pas. Pour nous, c’est ce qui peut améliorer la Grande Bretagne qui nous intéresse”. Donc la vision que peuvent avoir les Français ou les Allemands, qui, tout en essayant de préserver leur propre intérêt, essaient de créer quelque chose en Europe, n’est pas du tout celle des Anglais.

Que pensez-vous de la stratégie actuelle du premier ministre britannique Boris Johnson?

P.B.: On ne peut jamais savoir avec Boris Johnson. Derrière son côté très grandiloquent, on ne peut pas savoir si c’est un discours dur, qui lui permettra ensuite de faire des compromis, en déclarant que c’est lui qui a gagné. Il est imprévisible. Il a une soif de pouvoir. Il a clairement l’intérêt de son pays à coeur mais il a aussi son propre intérêt d’être premier ministre le plus longtemps possible. On peut tout lire. On peut lire à la fois un homme politique qui pourrait devenir un nationaliste à la Trump, prêt à faire des coups de force, à créer des conflits, en se tapant sur la poitrine pour montrer que c’est un chef, ou, comme on l’a vu avec l’Irlande du Nord, un homme politique qui, derrière un discours très dur, a, en fait, créé une frontière en Mer du Nord en prétendant qu’il ne l’avait pas fait. Et tout le monde est à dire « bravo, quel grand homme ».

Les Anglais ont plus à perdre que nous, mais, il ne faut pas se leurrer, si nous avons un divorce désagréable, cela créera des tensions même au sein des pays européens. Un divorce peut être un divorce sans faute, mais là ça a l’air d’être un divorce dans lequel les gens vont se bagarrer. Je n’ai pas l’impression que ça va être un divorce facile. D’un autre côté, il est peu probable que tout se termine avant la fin de cette année. La période de transition, rappelons le, était basée sur le fait que ça durerait un an et demi après la sortie du Brexit. Là, il y a une période de transition qui est plus courte. On aurait pu imaginer que la période de transition dure un certain nombre de mois après la date effective du Brexit.

Par ailleurs, dans toutes négociations, tout le monde essaie d’abord de sortir son pistolet et de tirer très fort, mettre plein d’exigences et, ensuite, la négociation s’installe . Il y a deux Boris Johnson, il y a un Boris Johnson qui permet de faire croire qu’on peut être optimiste, et puis il y a un Boris Johnson qui est prêt à infliger des dommages économiques pour avoir l’apparence de la souveraineté.

Que pensez-vous qu’il va advenir des relations franco-britanniques?

P.B.: Il y aura des petites tensions mais comme il y en a toujours eu. Comme, par exemple, quand le Président Mitterand était venu au Royaume-Uni accompagné de ses gardes du corps et que la police anglaise les avait arrêtés et désarmés. Ça avait fait un petit scandale. Mais fondamentalement nous sommes des faux jumeaux, depuis toujours en concurrence et souvent en guerre. Nous sommes deux Etats nations millénaires, contrairement à l’Allemagne et l’Italie, qui étaient constitués de royaumes et de principautés, et qui ont été unifiés au XIXème siècle. Nous sommes des anciennes puissances coloniales et des puissances nucléaires avec un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Nous avons une vision mondiale de notre rôle, la même population, le même PNB grosso modo, le même déclin de l’industrie. Nous nous tapons dessus chaleureusement, comme ça se passe en famille.

Dans tous les cas, je pense qu’il y a une vrai volonté, en tous cas du côté français, de tout faire pour maintenir une bonne relation, mais une bonne relation ça ne veut pas dire céder sur les points fondamentaux. La France continuera d’ailleurs d’avoir avec le Royaume-Uni des rapports en matière de sécurité et de défense. Il y aura naturellement des anicroches. Maintenant, je pense qu’il y a trop d’intérêts communs pour se permettre d’avoir un divorce qui soit une rupture définitive.

Pensez-vous que le Brexit va résoudre les problèmes de la Grande-Bretagne?

P.B.: Les questions liées à l’immigration ont eu un rôle important dans le vote. La chancelière allemande, Angela Merkel, avait alors fait venir grand nombre de réfugiés syriens d’un seul coup. Le parti UKIP en avait alors profité en disant  «Il y aura des millions de Turcs qui vont rentrer dans notre pays, ça va être terrible », en jouant sur la peur de l’immigration. Mais, à l’origine, le fait qu’il y ait beaucoup d’étrangers en Angleterre a été une volonté du gouvernement de Tony Blair, qui avait ouvert grand les portes, au moment de l’adhésion de pays comme la Roumanie et la Bulgarie, parce que les Anglais ont un gros problème de productivité, et de mauvais niveau d’éducation des cols bleus.

Les Anglais ne sont pas des gens qui investissent dans le long terme, comme le montrent les nombreux problèmes d’infrastructure dans le pays. De la même manière, former du personnel n’est pas une priorité. Or, ce problème de mauvaise productivité, ce n’est pas la sortie de l’UE qui va le résoudre. Tous les problèmes qu’a la Grande Bretagne – mauvaise productivité, niveau d’éducation faible, large inégalité – elle pouvait les résoudre en étant au sein de l’Europe. Par ailleurs, dire que le Royaume-Uni va exporter énormément en se libérant des chaines de l’UE, semble peu probable. Regardez les Allemands, qui sont une machine à exporter, ils sont au sein de l’UE. On peut dire qu’ils sont entrés dans l’euro à un taux de change favorable, mais, fondamentalement, ils ont su faire les réformes qu’il fallait et savent exporter. Les Anglais n’ont pas les mêmes capacités à exporter, comme les Français d’ailleurs.

Tous ces problèmes que Boris Johnson est censé résoudre avec des investissements dans les infrastructures, dans la santé, dans l’éducation, rien, en tant que membre de l’Europe, ne les empêchait de le faire. C’est le paradoxe.

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