Les exportations des entreprises agroalimentaires allemandes et italiennes ont dépassé ces dernières années celles de l’industrie agroalimentaire française, en crise permanente. Ainsi, l’année dernière, les exportations de produits agricoles allemands ont représenté 75 milliards d’euros dont plus de 75% ont été à destination des pays avoisinants européens. Et ce, malgré la baisse des exportations de blé, qui a cependant été multiplié par 2.5 au cours des seize dernières années. Les exportations françaises devraient quant à elles atteindre un peu plus de 62 milliards d’euros. L’excédent commercial agroalimentaire atteint un peu plus de 5,7 milliards d’euros, soit une diminution par rapport à l’année précédente. Cette évolution est la conséquence d’une croissance des importations (+ 2,7 milliards d’euros soit + 5% en valeur) supérieure à l’augmentation des exportations (+ 2,3 milliards d’euros par rapport à 2016 soit + 4 %). Analyse de Bernard Jomard.
> L’Allemagne de plus en plus présente en Inde et en Chine
Les Allemands, qui sont très orientés vers l’export, ont réussi à croitre leurs exportations à l’international grâce aux économies d’échelles, pour se faire une place en Chine et en Inde, pays où le niveau de vie a augmenté. Ainsi, si les exportations de porcs vers la Chine ont augmenté de plus 1 000% au cours des dernières années, l’Allemagne en a elle-même augmenté la production de 50% au cours des seize dernières années, pour produire aujourd’hui 50 millions de têtes. La production française a quant à elle reculé de 10% et est passée à 22 millions de têtes, notamment du fait des normes environnementales.
Le marché du lait et des fromages allemands est lui aussi en croissance de 16%, alors que la France ne progresse que de 5%. Les Britanniques ont eux-mêmes accélérés leurs exportations de fromages vers la Chine qui sont passées de près de 50 tonnes en 2017 à 800 tonnes en 2018. Les Britanniques exportent également vers les Etats-Unis, notamment la British mozzarella, qui a augmenté de 43%.
Deux axes stratégiques ont permis en particulier de favoriser la croissance des exportations du secteur agricole allemand. D’une part, la méthanisation : certaines exploitations génèrent aujourd’hui plus de revenus grâce à cette activité qu’avec leurs propres productions agricoles. D’autre part, l’Allemagne est devenue plus compétitive grâce à la très forte utilisation de travailleurs détachés d’Europe de l’Est.
> Salon du vin allemand ProWein versus le salon français Vinexpo
Le salon ProWein, organisé en mars à Dusseldorf en Allemagne, dépasse désormais le salon Vinexpo qui se tient lui en juin. L’excellence de l’organisation allemande à laquelle s’ajoute un coût inférieur de 50% pour les exposants expliquent certainement le fait que ProWein annonçe aujourd’hui 6.600 exposants et près de 60.000 visiteurs. Vinexpo n’attire lui que 2.300 exposants et seulement 40.000 visiteurs. Cette fréquentation était en baisse de 15% lors de la dernière édition. Autre élément déterminant, les visiteurs de ProWein sont très centrés sur les affaires tandis que ceux de Vinexpo profitent également du salon pour visiter les châteaux avoisinants et faire des dégustations, en oubliant parfois les affaires.
> Le pari réussi des italiens sur le marketing et le bio
L’Italie a, pour sa part, compris que le marketing était l’outil à développer dans ce secteur d’activité. Le secteur agro-alimentaire italien continue sa progression à l’international avec une croissance de 7% des exportations, soit près de 42 milliards d’euros. Près des deux tiers de ses exportations agroalimentaires touchent les pays de l’Union européenne (UE). Les Etats-Unis, avec 4,03 milliards d’euros, est pour sa part devenu le principal marché agroalimentaire italien hors des frontières de l’UE, et le troisième après l’Allemagne et la France et avant la Grande-Bretagne.
L’Italie est également le deuxième exportateur mondial de produits bio avec plus de deux milliards d’euros de revenus. Ces exportations de bio ont elle-mêmes explosé de 600% en 10 ans. Les 16% des terres cultivées en mode biologique, génèrent aujourd’hui un chiffre d’affaires global de six milliards d’euros. Ce secteur représente actuellement 65.000 entreprises productrices et 18.000 entreprises de transformation.
La “tomate industrie” reste aussi un point fort des exportations italiennes, avec près de cinq millions de tonnes exportées par an. L’Italie est le deuxième producteur mondial derrière les Etats-Unis, et loin devant l’Espagne, le Brésil, le Portugal et le Chili.
> Le succès du nouveau salon Eataly
Les Italiens ont par ailleurs lancé en novembre 2017 le parc d’attractions “Eatalia-Eataly” entièrement dédié au “Made in Italy” agro-alimentaire. Ce salon permet d’explorer le parcours des principales spécialités italiennes du champ jusqu’à l’assiette. Eatalia est le projet de l’ambitieux Oscar Farinetti, fondateur de la chaîne de distribution mondiale Eataly, qui depuis 2004 a fait de la gastronomie italienne la clé de son succès. Eataly ou Eatalia était dirigé depuis 2015 par Andrea Guerra un homme qui a commencé sa carrière au sein de Marriott International. Il a ensuite été directeur général de 2004 à 2014 du numéro un mondial de l’optique Luxottica, qu’il quitta pour devenir conseiller de Matteo Renzi. Andrea Guerra vient d’être débauché par LVMH
En parallèle de ce salon, Eataly a également réalisé un parc d’attraction agro-alimentaire à Bologne, Fico Eataly World, en prolongement de l’Exposition universelle de Milan de 2015. Avec ses dix hectares, il s’agit du plus important parc d’attraction entièrement consacré au secteur de l’agroalimentaire. Financé à hauteur de 120 millions d’euros par une fondation dédiée, réunissant acteurs publics et privés, Fico Eataly World a permis la création de plus de 700 emplois locaux directs et 3.000 indirects.
> Comment redresser l’agroalimentaire français?
Depuis 2007, la France est le seul pays d’Europe dont la valeur ajoutée du secteur a baissé de 14.7%, alors qu’elle progressait de 14% dans l’ensemble des autres pays. Cela s’explique par une pression fiscale record due en partie à l’accumulation de taxes sur les boissons sucrées, les bières et les spiritueux. A cela s’ajoutent une hausse des matières premières et une concurrence féroce entre distributeurs. Les exportations françaises ne progressent en moyenne que de 3%. De ce fait, malgré un chiffre d’affaires de près de 175 milliards d’euros (15% du PIB), le secteur n’investit plus depuis 2013. Les exportations de l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, affichent quant à elles des progressions de 5 à 7%. Le résultat : deux entreprises agroalimentaires françaises sur 10 exportent alors qu’elles sont 8 sur 10 en Allemagne, en Italie et en Espagne. L’agroalimentaire français se caractérise aussi par la petite taille de ses entreprises, 21% de PME et 78% de toutes petites entreprises.
Concernant les produits Français, seuls deux secteurs semblent tirer leur épingle du jeu, les spiritueux et la boulangerie. Les points forts des exportations françaises se retrouvent également dans des produits tels les céréales, la mélasse etc. La France a par ailleurs d’excellentes capacités de stockage. Elle détient en outre le marché d’intérêt national de Rungis, ou « Ventre de Paris », qui est certainement le plus grand marché agro-alimentaire du monde. L’Etat possède d’ailleurs 33.34% des parts de la société qui exploite ce marché, Semmaris, qui pourrait cependant prochainement être cédées à un groupe Chinois….
Afin de relancer le marché agro-alimentaire français, les professionnels du secteur réclament de cesser le « food bashing », la mise en cause des produits alimentaires ou de leurs ingrédients, très présente dans les médias. Il faudrait aussi accepter une augmentation des prix. Redonner de l’oxygène à tout les acteurs, 1% de plus, c’est seulement 50 centimes par mois par français, très loin de l’augmentation du gazole. L’alimentation, qui représentait 20% des budgets des Français il y a peu, est aujourd’hui tombée à 10%. Payer le juste prix est important, car en en acceptant la destruction de valeur, c’est toute l’industrie agro-alimentaire qui risque de disparaitre. Les enseignes de leur côté, qui pèsent 30% du marché, s’allient pour acheter leurs produits en commun et faire pression sur les prix, endommageant ainsi le secteur agro-industriel.