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Français à l'étranger
18 mars 2020

Gerard Tardy : Brexit - "La libre circulation des médicaments risque d’être interrompue"

Chaque semaine, Français à l’étranger, en partenariat avec le Cercle d’outre-Manche, discute du Brexit avec un dirigeant français actif au Royaume-Uni. Cette semaine, Gerard Tardy, partner du fonds d'investissement spécialisé dans la santé Mérieux Equity Partners, partage ses préoccupations pour l'industrie pharmaceutique suite au départ, notamment, de Londres de l'EMA.

Pouvez-vous vous présenter ?

Depuis 2010, je travaille pour le groupe lyonnais Mérieux, créé par la famille Mérieux, qui est depuis quatre générations un acteur majeur de la santé. Je suis Régional Partner du fonds d’investissement Mérieux Equity Partners qui investit dans l’innovation dans les métiers de la santé, en Europe et aux USA. Après avoir vécu au Royaume-Uni pendant 21 ans, j’ai quitté Londres en septembre et je vis désormais au Portugal.

Le Royaume-Uni m’est familier depuis près de 40 ans. Déjà dans les années 80-90, je travaillais pour les entreprises Citicorp Venture Capital puis Schroder Ventures, qui toutes deux avaient leur siège à Londres. A ce titre, j’ai vécu trois grandes périodes : la période des années 80 et 90 où la Grande-Bretagne était un pays européen comme les autres avec son lot de problèmes et une forte tension, déjà, entre les pro-européens et ceux qui étaient sceptiques quant à la poursuite de l’intégration européenne, puis la période entre 2000 et 2016 et enfin la période actuelle. Entre 2000 et 2016, l’économie britannique croissait plus vite que beaucoup de celles de ses voisins européens. Même après la sévère crise de 2008, le niveau de chômage était nettement inférieur à celui de la France. La société britannique paraissait capable à la fois de garder ses spécificités et d’embrasser la mondialisation. Londres en était le symbole. Après le référendum, nous sommes entrés dans une toute nouvelle période. La vision d’un pays apaisé et relativement uni s’est révélée fausse. De multiples et fortes tensions dans la société britannique nous ont conduits au Brexit.

Quel a été l’impact du Brexit sur votre entreprise ?

Mérieux Equity Partners, qui dispose de bureaux à Lyon, Paris et Boston, avait ouvert en 2014 un bureau à Londres. Un an après l’annonce du Brexit, nous avons considéré qu’il y avait trop d’incertitudes pour réaliser des investissements au Royaume Uni dans les prochaines années. Ceci dit, Londres reste un remarquable point d’observation.

Quelles sont les conséquences du Brexit pour le secteur de la santé ?

Suite au Brexit, l’Agence européenne des médicaments (EMA), qui était installée à Londres depuis 25 ans, a quitté le Royaume-Uni pour s’installer à Amsterdam. Ce sont 900 personnes qui ont dû déménager de Londres il y a quelques mois. Pour la petite histoire, cette agence doit cependant continuer à payer son loyer à Londres, les juges anglais n’ayant pas accepté que le Brexit soit une clause de rupture du bail.

Le départ de l’EMA aura, à mon avis, des conséquences importantes dans la mesure où l’agence, comme son nom l’indique, régule le marché des médicaments en Europe. Elle produit ou organise une partie des autorisations de mises sur le marché. La Grande-Bretagne ne faisant plus partie de l’UE, elle ne fera plus, par exemple, partie du système européen de pharmacovigilance. Une des raisons pour lesquelles beaucoup d’entreprises pharmaceutiques internationales avaient leur siège à Londres, c’était justement du fait de la proximité avec l’EMA. Celle-ci joue un rôle parallèle à celui de la fameuse FDA (Food and Drug Administration) à Washington. L’EMA accueille des milliers de réunions par an, chacun venant plaider sa cause auprès de l’agence. Ces derniers iront maintenant à Amsterdam et plus à Londres. Beaucoup d’entreprises pourraient aussi, à terme, choisir de déplacer en Europe leur centre de décision.

Du point des règles du jeu, pendant la période de transition jusqu’à la fin de l’année 2020, il ne se passera rien. Mais le Brexit est devant nous et la crise du coronavirus rajoute une incertitude majeure quant au calendrier. Si la Grande-Bretagne devait absorber à la fois le choc économique d’un hard Brexit et celui du virus, la facture risque d’être très lourde. Dans tous les cas, on ne pourra juger des conséquences du Brexit qu’à partir de 2021 ou 2022.

Que va-t-il se passer dans les prochains mois ?

Beaucoup va dépendre de l’accord en cours de négociation. Mais, s’il n’y a pas d’accord, nous reviendrons à la situation d’il y a quelques mois lorsque le gouvernement britannique demandait aux entreprises de faire des stocks de six à huit semaines de médicaments. La libre circulation des médicaments risque d’être interrompue.  Il n’y a pas de droits de douane sur les médicaments, mais il s’agit d’un secteur qui est très réglementé.

Si l’Angleterre sort des régulations européennes, sans que des règles alternatives aient été mises en place, nul ne sait dans quel environnement nous nous retrouverons. En matière de pharmacovigilance, par exemple pour vérifier qu’il ne s’agisse pas de médicaments de contrebande, nous ne savons pas si ses règles européennes s’appliqueront toujours au Royaume-Uni. La question se posera également pour les nouveaux médicaments. Il existe certes une agence nationale, la MHRA ( Medecine and Heathcare products Regulatory Agency ), mais les accords de reconnaissance mutuelle mis en place sous l’égide de l’EMA constituait jusqu’à maintenant l’armature du système européen.

Le divorce avec l’EMA est d’autant plus surprenant que les britanniques y jouaient un rôle extrêmement important, souvent critiqué d’ailleurs, parce qu’il se disait que l’agence était dominée par les anglais. Mais aujourd’hui, non seulement cette agence est partie, mais le gouvernement de Boris Johnson annonce ne pas vouloir se soumettre à des normes européennes.

Quel est votre regard sur la stratégie actuelle de Boris Johnson ?

Cette stratégie pose de multiples questions.

Autant le Royaume-Uni est un grand pays de recherche scientifique et d’innovation médicale, autour des grandes Universités, autant il est considéré par l’industrie pharmaceutique, comme un marché difficile, en comparaison des marchés français et allemands. Il est contrôlé par le NHS (le système national de santé publique) qui impose des prix bas. Les entreprises pharmaceutiques sont tentées de ne pas privilégier l’accès au marché anglais. Elles préfèreront, à la limite, que leurs produits ne soient pas distribués en Angleterre si le marché devient trop compliqué. Dans ses négociations alternatives avec Boris Johnson, les Américains exigeraient, quant à eux, l’accès plus libre au marché britannique, avec des prix américains. Compte tenu que les prix américains sont souvent trois fois plus élevés que les prix européens, la facture sera sévère pour le NHS.

Boris Johnson a vécu une période de “triomphe” suite à une victoire électorale sans appel, du fait de l’implosion du parti travailliste. Mais la crise actuelle a mis fin à cette période euphorique. Quand la réalité des conséquences du Brexit se fera jour en 2021-2022, le côté aventurier de sa politique apparaitra au grand jour.

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