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Pierre-Yves Le Borgn’ : “Le monde qui vient”

TRIBUNE. Pierre-Yves Le Borgn, ex-député des Français de l’étranger pour l’Europe de l’Est, l’Europe centrale et les Balkans, livre ses impressions sur la crise actuelle et sur ses impacts sur le futur.

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Plus de 100 000 morts, 3 milliards de femmes et d’hommes confinés, une crise économique et sociale dont la magnitude dépasse celle de 2008 et bientôt celle de 1929. Et partout ce mélange de souffrance, de peur, de colère, de ressentiment et de deuil. Le traumatisme créé par le coronavirus ne connaît pas de frontières. Il est profond et il durera. Les inégalités et les fractures sociales sont jetées sous une lumière crue. Hommage aux premiers de tranchée, à ceux qui, dans les hôpitaux et les EHPAD, dans les supermarchés et dans la rue (les éboueurs, les forces de l’ordre), se battent pour nous. La crise expose les carences les plus insupportables de notre société. Lorsque le confinement prendra fin, il faudra s’y attaquer car elles portent en elles le germe d’une explosion sociale dévastatrice. Le monde qui vient sera invivable si aucune leçon n’est tirée, s’il s’agit toujours de trimer plus, si c’est « circulez, il n’y a rien à voir », si en clair la réponse relève du déni de souffrance. 

Le monde qui vient devra être différent. Protéger n’est pas un vilain mot, c’est une nécessité. Et c’est aussi un devoir. La mondialisation n’est pas un totem. Il doit être permis de la critiquer et de l’améliorer. Je crois aux vertus du libre-échange, mais aussi à celles de nos préférences collectives en matière sanitaire, sociale et environnementale, incarnées par des standards et normes de qualité, y compris si ces préférences doivent conduire à des hausses de prix des marchandises importées. Le commerce international ne peut se résumer au nivellement par le bas des protections, au désarmement des volontés, à l’effacement du citoyen derrière le consommateur. La mondialisation ne disparaîtra pas. Elle est une réalité nécessaire, mais elle devra évoluer. Qui prendra demain le risque de dépendre d’un seul pays ? La diversification des approvisionnements et la régionalisation des productions seront une réponse pour les chaînes de valeur de nombre d’entreprises.

Il faut sauver les entreprises et l’emploi. Des mesures d’une ampleur considérable, totalement inédite même, ont été décidées par les gouvernements, les banques centrales et les organisations internationales, en particulier l’Union européenne. C’est heureux et à la hauteur de l’enjeu. Il s’agit de relancer l’économie. Seule une croissance économique forte conduira au rebond nécessaire. C’est aussi la croissance qui permettra également de rembourser les montagnes de dettes légitimement créées. Mais de quelle croissance parle-t-on et au bénéfice de quelle économie ? A l’évidence, ce ne peut être la simple reproduction du monde d’hier. L’économie de la reconstruction sera d’abord le numérique. Et, souhaitons-le de toutes nos forces, l’économie verte et décarbonée aussi. Car les sommes et garanties mises à dispositions sont telles qu’elles offrent dans notre malheur une opportunité unique d’accélérer décisivement la transition écologique. Il faut la saisir.

Il n’est plus question de reproduire l’erreur de 2008-2009, lorsque les plans de relance avaient conduit dès 2010 à un pic d’émissions de CO2. Il ne tient qu’aux autorités nationales et européennes d’orienter les budgets de relance vers l’économie décarbonée, dans un double souci de sobriété et de solidarité. C’est le moment de mettre le paquet sur le déploiement à vaste échelle des énergies renouvelables, sur le stockage de l’énergie, sur la modernisation des réseaux de transport et de distribution d’électricité, sur l’isolation thermique des bâtiments, sur le développement des transports en commun, sur la voiture électrique, sur le fret ferroviaire et fluvial, sur le vélo. C’est aussi le moment de conditionner certaines des aides à la transition écologique, notamment dans le secteur aérien. Jamais une telle opportunité ne se représentera, alors que la crise climatique s’aggrave, de mobiliser de pareilles sommes pour atteindre la neutralité carbone au mitan du siècle.

Courant le long de la mer chez moi en Bretagne l’été passé, je ressentais comme un goût d’éternité. L’air était pur et l’océan scintillait. Ce goût d’éternité, je veux pouvoir le retrouver bientôt. L’été prochain, je l’espère. Parce que la crise sanitaire sera pour l’essentiel derrière nous et que nous aurons fait collectivement les efforts nécessaires à cette fin. Et parce que nous aurons investi dans les choix et les productions d’avenir, pour protéger la vie, pour protéger les nôtres, pour protéger ces paysages et ces lieux qui nous sont chers, pour transmettre nos racines comme un témoin. Le monde qui vient doit être partagé. Le faire vivre et prospérer, c’est écouter, s’ouvrir, accepter les angoisses et les colères, entendre les espoirs et les propositions d’où qu’elles viennent. C’est un lien de confiance qu’il faut nourrir, encourager, peut-être aussi ressusciter. Le plus grand défi est de construire, le plus beau est de le faire ensemble. Nous y parviendrons.

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2 Comments

2 Comments

  1. Nathalie

    19 avril 2020 at 14 h 00 min

    Le capitalisme vert est un oxymore.
    Le probleme est le premier terme : croissance à tout prix, spéculation sur les biens dont le plus vitaux l alimentation, privatisations des biens communs , financiarisation improductive .
    Il faut vraiment être aveugle pour ne pas voir ce qu il se passe : auj pandémie , demain la sécheresse pour ceux qui n en souffre pas encore .
    On va vivre comment en plein désert avec 7 b de personnes à nourrir ? Car en dehors de l extinction des especes, c est bien de désertification de la planete dont il s agit. Pas besoin d être un-e- terroriste écolo pour s’en rendre compte. On y est !
    Désolée, mais il va falloir revoir la copie . Parce que si on ne change pas notre logiciel de vision du monde , on est mal barré.

    • Pierre-Yves Le Borgn'

      19 avril 2020 at 20 h 07 min

      Bonsoir, je ne partage pas votre prévention à l’égard de l’économie de marché. Je crois que c’est la rencontre de l’offre et de la demande qui permet le mieux de dynamiser l’innovation, la recherche et le progrès. Dès lors que cette liberté va de pair avec la reconnaissance de nos préférences collectives dans le commerce international. Il ne faut pas associer l’économie de marché à la spéculation ou à l’exploitation des biens communs. La spéculation n’est pas fatale. Elle doit être prévenue. Dans le domaine des énergies renouvelables, que je connais bien, il faut de la croissance pour réussir à produire les panneaux solaires et les éoliennes dont la transition énergétique a besoin. C’est un champ immense d’activités et de création d’emplois. J’espère de tout cœur que les plans de relance et le Green Deal européen bénéficieront aux entreprises, centres de recherche, femmes et hommes qui ont fait du chemin vers la neutralité carbone et le sauvetage de la planète leur vie professionnelle et quelque part aussi leur mission.

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