Le Cned, déjà bien connu de celles et ceux qui optaient pour l’enseignement à distance pour leurs enfants, a été un acteur très important dans la gestion de la crise du Covid-19. Immédiatement opérationnelle, cette vieille institution se sera mise au service de tous les élèves de France, sans oublier les Français de l’étranger, avec une incroyable rapidité. Retour sur « Ma classe à la maison » avec le directeur du Cned, Michel Reverchon-Billot.
– Comment est née cette plateforme, « Ma classe à la maison » ?
– Michel Reverchon-Billot : La plateforme n’a pas été créée pour le covid-19. Nous étions régulièrement sollicités pour répondre à des états de crise (l’ouragan Irma, des fermetures d’établissements pour désamiantage, les troubles sociaux à Mayotte…). Fin 2019, nous avons pensé qu’il ne fallait pas toujours être dans l’urgence, nous avons donc imaginé un dispositif activable en 24 heures. Le ministère a financé ce projet que nous avons mis sur place en 4 semaines. Sa particularité : il est complètement automatique, il ne nécessite pas d’accompagnement humain. Nous avons été rattrapés par l’actualité, contacté par l’AEFE lors de l’arrivée du coronavirus en Chine début février, puis au Vietnam. Nous l’avons activé à ce moment-là. Quand le ministre nous a dit que la France allait être touchée, nous l’avons d’abord déployé sur l’Oise puis sur l’ensemble du territoire.
– Comment les familles et les enseignants se sont-ils emparés de cette plateforme ?
– Michel Reverchon-Billot : Nous ne nous attendions pas à une telle ampleur. Ce sont au total plus de 2,5 millions de familles inscrites, dont 40 000 familles à l’étranger. Ce qui est beaucoup car nous avons tout juste 30 000 élèves à l’étranger. Les élèves avaient ainsi un lien de continuité avec leur établissement. Nous l’avons couplé en France avec une plateforme de classe virtuelle. L’enseignant devait pouvoir rester connecté avec ses élèves et leur faire classe de la façon la plus proche possible de ce qu’il connaissait. Il était important que ce lien social et affectif perdure et il a été très utilisé pour les petites classes. Cela a permis aux enfants de se voir entre eux. Le numérique n’est pas forcément déshumanisé, la dynamique sociale a été très forte.
Finalement, beaucoup d’enseignants n’ont utilisé que la classe virtuelle ce sont 2 millions d’élèves qui assistent tous les jours à une classe virtuelle, avec près de la moitié de lycéens.
– Cela a-t-il été simple techniquement de mettre en place cette plateforme ?
– Michel Reverchon-Billot : C’est une vraie réussite. Nos systèmes n’ont pas souffert, il n’y a jamais eu d’interruption de service. Au tout début, les confirmations d’inscription ont été un peu longues, mais cela a rapidement été corrigé. Nous ne nous adressons pas aux geeks, nos solutions doivent être simples d’utilisation. Notre système n’est pas sophistiqué, mais ça marche. « Ma classe à la maison » est très ergonomique. Nous avons opté pour le pragmatisme, et si les connexions pour les élèves sont difficiles, ils peuvent imprimer nos cahiers d’activité. D’ailleurs, je défends l’idée qu’il ne faut pas être devant l’écran toute la journée !
Cette aventure a bousculé le Cned pendant des semaines sans que cela impacte nos autres services, car il fallait que nos élèves soient pris en charge comme d’habitude, que nos autres classes virtuelles fonctionnent (240 000 inscrits à l’année). Nous avons des personnels dédiés pour la plateforme, qui travaillent sur l’extraction de nos cours traditionnels en les contextualisant différemment. Nous avons pu rapidement être opérationnels car nous n’avons pas dû réécrire tous nos cours, nous avions déjà toutes les bases.
– Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
– Michel Reverchon-Billot : Tout s’est bien passé. Une difficulté néanmoins renvoie à la formation des enseignants au numérique. Même si j’ai été impressionné par la façon dont les enseignants se sont mobilisés pour garder leur lien avec leurs élèves, assurer leur mission. Sur les contenus, on a pu nous reprocher le niveau un peu trop élevé, mais c’est un reproche que l’on fait au Cned en général. Pour autant, nous avons créé 3 parcours différenciés pour que les élèves suivent un parcours adapté à leur niveau en fonction de leur évaluation.
– Quel bilan tirez-vous de cette opération ? Et après le 11 mai, serez-vous toujours présent ?
– Michel Reverchon-Billot : Quoiqu’il en soit, nous avons prévu nos programmes jusqu’au 11 mai déjà. Nous nous tenons prêts et nous attendons de voir comment le déconfinement va se passer. Si il le faut, nous continuerons à suivre des élèves, il faudra peut-être imaginer un suivi plus souple, peut-être sous la forme de la classe inversée. Nous étudions plusieurs scénarios qui pourraient varier d’une région à l’autre.
Cette aventure a été très positive. Le Cned est arrivé là où on l’attendait pas, avec une véritable expertise. Son image en est sortie renforcée, modernisée. Viendra le temps de l’analyse plus fine, je voudrais savoir comment cela a été utilisé dans les classes (l’autonomie des élèves, quels moyens pour aborder des notions différentes, quelles disciplines ont été plus utilisées que d’autres…). Pour ce qui concerne la formation des enseignants, nous échangeons avec le réseau Canopé qui en est en charge. Eux travaillent sur des formations en présentiel, tandis que notre particularité est justement d’apprendre à travailler à distance. Cette expérience qu’auront vécu tous les enseignants va probablement modifier leurs pratiques pédagogiques, car c’est très différent d’accompagner les enfants sans être physiquement proche d’eux, de gérer une classe virtuelle. Les outils aussi sont nouveaux, d’ailleurs il faut faire attention à utiliser ceux qui assurent la protection de vos données personnelles. Pour finir, nous savons que certains élèves ont été « perdus ». Pourtant, le numérique peut permettre d’aider les élèves « décrocheurs », notamment en les détectant plus facilement. L’enseignement à distance, avec l’usage des outils numériques, permet l’acquisition de plus d’autonomie, de méthodologie pour les élèves. Cette expérience a redonné des lettres de noblesse à l’enseignement à distance.