Actualités internationales
Jean-Pierre Pont : “Les Français de l’étranger sont plus nombreux et méritent plus de considération”
A l’occasion des 20 ans de la carte des “Français dans le monde”, le directeur de la publication Français à l’étranger, Jean-Pierre Pont, revient sur les débats qui entourent cette carte et, plus globalement, sur la place de la communauté française à l’étranger.
Fin mars, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a reconnu que le nombre de Français établis à l’étranger s’élevait à 3,5 millions de personnes, comme vous l’avancez depuis des années. Le site diplomatie.gouv.fr continue pourtant d’inscrire sa précédente estimation de 2,5 millions. Pourriez-vous revenir sur l’historique de cette estimation ?
J’ai racheté en juin 1997 le premier magazine dédié aux Français de l’étranger, créé en 1990. Le Ministère des Affaires Étrangères annonçait alors une population de 1,6 million de Français résidant hors de nos frontières. A l’époque, la DFAE (Direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire) publiait des chiffres pays par pays. Les consulats donnaient le nombre d’inscrits et des estimations des non-inscrits, avec l’appui d’un statisticien de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques).
La carte des “Français dans le monde” était alors éditée sous format papier, les premières cartes servant de calendrier. C’était un outil de travail, qui permettait d’un côté de visualiser la présence des Français dans le monde et d’un autre d’en observer la croissance. Mais la collecte des informations s’est ensuite compliquée en 2007 avec le départ du statisticien de l’INSEE de la DFAE. Nous avons, pour notre part, décidé de continuer d’évaluer par nos propres moyens le nombre de Français dans le monde. A partir de 2013, nous avons d’ailleurs pu de nouveau nous appuyer sur l’INSEE pour publier cette évaluation. En complément de l’INSEE, l’OCDE dispose également d’une base de données fondées sur les recensements des populations des 35 plus grands pays du monde.
En 2004, le ministère des Affaires étrangères (MAE) dénombrait environ 1,3 millions de Français inscrits, pour un total de 2,2 millions de Français à l’étranger en incluant les non-inscrits. Si nous prenons les chiffres présentés actuellement par la DFAE, la population aurait seulement augmenté de 300 000 personnes entre 2004 et 2020, ce qui est peu vraisemblable. Ces données ne sont donc plus fiables. Ceci est lié au fait que le ministère des affaires étrangères ne travaille plus avec l’INSEE.
Le nombre de Français de l’étranger est ainsi aujourd’hui sous-évalué. Les parlementaires ont été les premiers à nous faire confiance. Le Président de la République Emmanuel Macron m’avait lui aussi confié, lorsque je me suis entretenu avec lui à Saint-Louis au Sénégal le 3 février 2018, qu’il prenait en compte l’estimation de l’INSEE de 2013, comprise entre 3,3 et 3,5 millions, pour estimer le nombre de personnes résidant à l’étranger.
Quels sont les véritables enjeux derrière la reconnaissance officielle de cette estimation de l’INSEE ?
La population des Français de l’étranger est plus importante que celle des départements et territoires d’Outre-mer de 2,7 millions de personnes. Or, il existe aujourd’hui une ministre des Outre-mer. Le Secrétaire d’Etat Jean Baptiste Lemoine, est quant à lui chargé des Français de l’étranger, mais aussi du tourisme, du commerce extérieur et de la francophonie, quatre portefeuilles. Les Français de l’étranger se voient donc seulement accorder la disponibilité d’un quart de Secrétaire d’état et de sa petite équipe !
Parmi les différents Secrétaires d’Etat des Français à l’étranger qui se sont succédés, seule l’actuelle Vice-Présidente du Sénat, Hélène Conway-Mouret, a été ministre à plein temps des Français de l’étranger sous François Hollande. Pour mémoire, à l’époque du président Nicolas Sarkozy, celui-ci avait également un conseiller chargé des Français de l’étranger à ses côtés à l’Elysée. Il faudrait qu’il y ait de nouveau un ministre ou un secrétaire d’Etat intégralement consacré aux Français de l’étranger.
Au fil des parutions de la carte, avez-vous identifié des tendances démographiques ?
En 2013, 197 000 personnes nées en France ont quitté le pays contre 138 000 en 2006 (source : CCI Paris Île-de-France). La progression annuelle a toujours été entre 3 et 6 %. D’après l’INSEE, la communauté de Français établis hors de France connaît une croissance significative depuis le début des années 2000. Les principaux pays accueillants ces Français sont par ordre d’importance le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Belgique, la Suisse, le Canada, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, Israël et le Maroc.
Il y a aussi la question des inscrits au registre des Français qui a évolué. Si le nombre de Français dans le monde est passé de 2,2 millions en 2004 à 3,5 millions aujourd’hui, ce n’est pas seulement dû à l’augmentation de la population française résidant à l’étranger mais aussi au fait qu’il y ait plus d’inscriptions. Être inscrit permet de faire des démarches administratives (délivrance de passeports ou de cartes d’identité). Cela donne aussi la possibilité pour ceux sujets à des problèmes financiers d’obtenir des bourses scolaires ou des allocations de solidarité. Dans tous les pays difficiles, les Français ont intérêts à s’inscrire au consulat aussi bien pour les prestations que pour leur sécurité. Les années 2000 ont par ailleurs connues de nombreux évènements – le 11 septembre aux Etats-Unis, les évacuations de Côte d’Ivoire, du Congo, du Liban ou les attentats de Bruxelles. A chaque fois qu’un événement de ce type s’est produit, il y a eu une augmentation sensible des inscriptions. Avec la crise sanitaire, le nombre d’inscriptions sur les registres des Français à l’étranger risque d’ailleurs d’évoluer fortement, en particulier pour les Français résidant hors de l’Union européenne (UE).
La population des Français de l’étranger a aussi changé. Beaucoup considèrent toujours les Français de l’étranger comme uniquement des « expatriés ». Mais les expatriés sont les personnes qui partent généralement hors d’Europe avec un contrat d’une entreprise internationale. Aujourd’hui, ces expatriés sont proportionnellement beaucoup moins nombreux qu’en 1997 quand nous avons commencé à éditer le magazine et ils représentent aujourd’hui moins de 10% de la population.
Que pensez-vous de l’aide accordée aux Français de l’étranger pendant la crise sanitaire liée au coronavirus ?
Jean-Yves Le Drian et le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, ont annoncé des aides conséquentes, 220 millions d’euros. Une première pour nos compatriotes. Mais des questions restent en suspens: aurons-nous des tableaux de bords pour vérifier quand et comment cet argent sera dépensé, consulat par consulat, et ses résultats ?
Pensez-vous que la crise va avoir un impact sur la mobilité des Français ?
Oui, je pense qu’après la crise, les Français vont chercher la sécurité et donc se focaliser sur l’Europe. Dans l’Union européenne, les Français peuvent circuler librement, transposer leurs droits de chômage, percevoir des retraites de plusieurs pays de l’UE, bénéficier d’une carte européenne d’assurance maladie, du programme Erasmus, du réseau EURES de l’emploi… Tout ceci représente des atouts extraordinaires.
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