Actualités internationales
Venezuela : «La crainte de l’ambassade est de se retrouver avec une vague de rapatriements»
En pleine crise diplomatique franco-vénézuélienne, le conseiller des Français de l’étranger, Guy Duffaud, entrepreneur binational qui a vécu toute sa vie à Caracas, témoigne des difficultés que traverse actuellement le pays.
Co-rédigé par Nora Litoussi
La résidence de Romain Nadal, l’ambassadeur de France au Venezuela, est bloquée depuis début mai. Sa rue serait ceinte par des barrages filtrants mis en place par la police politique, le Sebin. Pouvez-vous nous expliquer la situation ?
Guy Duffaud : Romain Nadal est un ambassadeur très médiatique. Il est devenu informellement le porte-voix des ambassadeurs européens à Caracas. Et cela ne passe pas avec le régime de Maduro. Tout est parti d’une rumeur selon laquelle, Juan Guaido, le chef de file de l’opposition au Venezuela, se serait réfugié à l’ambassade de France. Suite à cela, le service secret de la police a bloqué l’accès à la rue de l’ambassade. Sa rue est une voie sans issue dans un quartier très cossu de Caracas. Dans cette rue, il y a aussi la maison de l’ambassadeur d’Autriche, de l’ambassadeur d’Afrique du Sud, et de trois ou quatre autres personnalités importantes du Venezuela. Toutes ces personnes sont actuellement privées d’eau, d’électricité et de gaz.
Pour ce qui est de notre ambassade, elle reçoit uniquement de la nourriture, mais pas de camions d’eau pour remplir ses réserves. Il s’agit, selon moi, d’un sabotage délibéré. D’ailleurs, il y a quelques jours, un agent de la police se serait infiltré dans l’ambassade pour réaliser des vidéos. L’ambassade s’en est tout de suite aperçu et l’a fait évacuer. Ceci vous montre à quel point cette situation est ridicule puisque le gouvernement pourrait très bien faire voler un drone au dessus de l’ambassade. Cette action avait pour seul but de démontrer qu’ils peuvent nous infiltrer. C’est de la stratégie de pression psychologique qu’ils exercent sur le peuple vénézuélien et qu’ils pensent pouvoir exercer sur l’ambassade de France. En réalité, c’est l’ambassadeur qui est visé mais Romain Nadal ne se dégonfle pas.
A qui faites-vous référence lorsque vous dites « ils » ?
G.D.: Au Venezuela il y a plusieurs clans qui se distinguent entre autre en fonction des intérêts financiers et des intérêts politiques. Nous pensons que les auteurs de la soi-disante invasion et de ce sabotage appartiendraient au clan de Diosdado Cabello, qui pourraient le plus en bénéficier pour leur propagande. Le président Nicolas Maduro est au courant de ce qui se passe. Soit il ne peut pas l’empêcher, soit il est d’accord. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit de la police de sûreté de l’Etat, une fonction officielle, qui bloque cette rue.
Cette situation s’inscrit dans quel contexte au Vénézuela ?
G.D.: Le Venezuela est le premier pays pétrolier dans l’histoire qui n’a pas d’essence. Avec cette information, vous avez une idée de la gestion catastrophique du gouvernement vénézuélien depuis qu’Hugo Chavez est arrivé au pouvoir en 1999. L’essence était auparavant importée, mais, avec l’effondrement des prix du pétrole, le gouvernement n’a plus assez d’argent pour en acheter, ce qui a conduit à cette pénurie qui dure depuis deux mois.
A ceci s’ajoutent de nombreux autres problèmes. Le service électrique, par exemple, est complètement disjoncté. En dehors de Caracas, les coupures de courant durent en moyenne une demie journée, voire les trois quarts de la journée dans certains endroits. C’est particulièrement problématique ici au Venezuela car c’est un pays tropical. Se rafraîchir avec un ventilateur, ou ne serait-ce que conserver de la nourriture au frais, devient impossible.
Le système d’eau a aussi ses problèmes. La ville de Caracas est située à 900m d’altitude mais tous les lacs qui l’alimente en eau sont situés à 100 ou 200 m d’altitude. Il faut donc pomper cette eau pour alimenter une ville de plusieurs millions d’habitants. Sans électricité, c’est très compliqué. De plus, on m’a rapporté que l’eau qui arrivait à Caracas était très sale et avait une odeur désagréable. Par manque de moyens pour acheter le chlore qui doit traiter l’eau, les autorités enverraient de l’eau non-potable dans les tuyauteries.
Quant à la situation sanitaire, elle était très grave il y a deux ans puisqu’il n’y avait pas de médicament. Maintenant, la vente de médicament en dollars est autorisée. Les médicaments de routine sont disponibles un peu partout, mais ils sont impayables avec un salaire minimum vénézuélien de quatre euros par mois.
Pouvez-vous nous présenter la communauté française au Venezuela ? Comment est-elle affectée par cette situation ?
G.D.: Je pense qu’aujourd’hui il doit y avoir autour de 3200 Français inscrits au registre consulaire. Il y a six ans, nous étions un peu plus de 4 000. Depuis, ce nombre a commencé à baisser car beaucoup ont décidé de rentrer. L’ambassade et les entreprises privilégient des personnes célibataires ou des personnes qui ont leur famille en dehors du Venezuela. La situation est très risquée à cause des problèmes d’insécurité, de violence… L’ambassade ne veut pas être responsable des problèmes familiaux.
Les problèmes sont nombreux. Ici, même fixer une date pour organiser les élections consulaires est absurde. Si elles devaient avoir lieu demain par exemple, les Français ne pourraient pas voter. Ils n’utiliserait pas des litres d’essence pour venir voter à l’ambassade et Internet marche très mal. Le vote en ligne n’est pas une solution ici.
Comment a évolué la situation au Venezuela pour les Français depuis le coronavirus ?
G.D.: Il y avait au début de la crise un certain nombre de Français au Vénézuela, des Français qui rendaient visite à leur famille, et notamment des Français partis faire du kitesurf. Certaines personnes y sont allées en dépit des recommandations de l’ambassade qui déconseille le Venezuela car c’est un endroit très dangereux. Ces Français se sont retrouvés bloqués et il a fallu les évacuer via le Mexique ce qui a été très compliqué. Pour éviter que le coronavirus ne se répande, le Venezuela a été un des premiers pays à fermer toutes ces frontières à cause de son système médical qui est complètement en ruine…
Mais la crise au Venezuela était présente bien avant le coronavirus, avec l’insécurité, les violences et les trafics de drogues. Aujourd’hui, face à l’amplification des difficultés, la principale crainte pour notre ambassade est de se retrouver avec une vague de Français à rapatrier en France, parce qu’ils ne tiennent plus.
Les trois quarts des Français au Venezuela sont des binationaux et beaucoup ne parlent même pas français. Il n’y a presque plus d’expatriés puisqu’il n’y a presque plus d’affaire avec la France, ni même avec de nombreux autres pays d’ailleurs. Les seules affaires du Venezuela se font avec la Russie, l’Iran et la Chine.
Comment l’Etat français et l’ambassade aident-ils les Français ?
G.D.: L’ambassade de France s’est démenée pour offrir le maximum d’aide aux Français du Venezuela. Nous les aidons à trouver des médicaments, à organiser les rapatriements. Nous nous occupons aussi des aides sociales et des bourses. Le gouvernement français, à travers son ambassade, a été à la hauteur et ce, depuis déjà plusieurs années. En ce moment l’ambassade essaie d’obtenir davantage d’aides de la part du gouvernement français car cela coûterait quand même moins cher à la France d’envoyer de l’aide mensuelle que de rapatrier ces personnes en France. Dans ce pays, une famille peut manger avec 300 euros par mois, c’est une aide qui est donc non négligeable.
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