Depuis 2018, une cellule dédiée au projet de vote électronique a été mise en place au sein du Quai d’Orsay, en vue des élections consulaires initialement prévues en 2020. L’objectif était alors de mettre au point avec la société espagnole Scytl, qui avait remporté ce marché, une nouvelle plateforme de vote sécurisée. Cette plateforme avait été homologuée en janvier 2020 quelques semaines après deux tests grandeurs nature (TGN) effectués auprès d’un panel de plus de 12 000 électeurs. L’agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et des experts indépendants étaient également présents lors de ces tests pour en garantir la fiabilité.
Cependant, aujourd’hui, tout ce dispositif pourrait être mis en péril. Alors que les élections consulaires sont reportées à 2021, le prestataire du Quai d’Orsay, Scytl, vient d’être placé en liquidation judiciaire ce mois-ci d’après le quotidien catalan La Vanguardia. Et les déboires financiers de Scytl ne dateraient pas d’hier. D’après un autre média espagnol Vozpopuli, le géant de l’audit KMPG avait déjà lancé en 2018 l’alerte sur les difficultés de cette entreprise….
> Scytl, convoité par un fonds américain, cède son code source à la Poste suisse
En Suisse, son partenaire, la Poste Suisse, a déjà décidé de faire cavalier seul. D’après le quotidien helvète Aargauer Zeitung, la Poste suisse qui développait au côté de Scytl un nouveau système de vote électronique, a récemment récupéré la propriété intellectuelle du code source de la plateforme pour mener son projet en solo.
Parallèlement, Scytl a multiplié les contacts depuis plusieurs semaines pour trouver des investisseurs qui lui permettraient de sauvegarder son entreprise. Le fonds d’investissement américain, Sandton Capital Partners, s’est ainsi porté acquéreur pour redresser l’entreprise, en procédure accélérée face à la justice espagnole. Mais le juge chargé du dossier au Tribunal de commerce de Barcelone a pour le moment rejeté cette offre, préférant une procédure plus longue de mise aux enchères.
> Jean-Yves Le Drian interrogé sur Scytl par des sénateurs
Face aux difficultés rencontrées par Scytl, deux sénateurs des Français de l’étranger ont interrogé le Quai d’Orsay sur ce dossier épineux. « Quelles sont les conséquences d’une faillite de Scytl et comment le Ministre compte s’assurer que les Français de l’étranger puissent voter électroniquement aux prochaines élections des Conseillers des Français de l’étranger, à l’heure où la pandémie mondiale rend plus que jamais cette modalité de vote utile » a ainsi rédigé la sénatrice ASFE, Evelyne Renaud-Garabedian, dans une question écrite déposée le 25 mai au Sénat, sans réponse à ce jour.
Le sénateur centriste Olivier Cadic a, quant à lui, directement posé la question à Jean-Yves Le Drian en commission des Affaires étrangères au Sénat le 27 mai. En réponse, le ministre a assuré que le processus pouvait encore évoluer : « Les choses ne sont pas actées en terme constitutionnel », a-t-il répondu, tout en ajoutant, « le recours exclusif à ce mode de scrutin est un problème. On en reparlera en temps utile et on sera très vigilant sur les outils qui permettent d’assurer ce vote. Je suis bien informé de la situation particulière de l’entreprise espagnole »
> Un nouvel appel d’offre ?
Le marché de Scytl arrivant à échéance en 2020, le Quai d’Orsay pourrait-il envisager un nouvel appel d’offre pour les élections consulaires si la situation de l’entreprise devenait trop critique ? Ce qui est certain, c’est que le ministère prépare déjà une nouvelle procédure pour les élections législatives de 2022. Interrogé en mars dernier sur la question du vote électronique par le sénateur socialiste, Rachid Temal, le ministère avait déclaré : « le MEAE a décidé d’utiliser la procédure concurrentielle avec négociation pour ce marché qui sera attribué en 2020. La nouvelle plateforme de vote par internet qui sera développée pour les élections législatives de 2022 sera auditée et testée avant d’être homologuée. L’ergonomie et la robustesse du nouveau système de vote seront adaptées dans un contexte évolutif de la menace cyber».
> Qui est Scytl ?
Fondée en 2001 à Barcelone, la start-up Scytl est présidée par l’entrepreneur espagnol Pere Valles. Depuis plusieurs années, l’entreprise compte dans ses rangs plusieurs fonds d’investissements dont la société Vulcan Capital, créée par le défunt co-fondateur de Microsoft, Paul Allen.
En France, Scytl est un prestataire depuis plusieurs années du Quai d’Orsay. L’entreprise a aussi notamment remporté un marché pour le ministère de l’éducation en 2014. Son système de vote électronique a en outre été utilisé dans plusieurs états aux Etats-Unis lors des élections présidentielles de 2016.