Depuis l’annonce début août qu’Alassane Ouattara sera candidat à sa propre succession pour un troisième mandat lors du prochain scrutin présidentiel prévu le 31 octobre, la vie politique ivoirienne connaît un nouvel épisode de troubles. Plusieurs manifestations contre la légalité de cette nouvelle candidature ont émaillé le territoire mi-août et ont fait six morts.
> Vigilance nécessaire
Malgré ces heurts, les violences et l’insécurité restent limitées ce qui n’empêche pas les Français de Côte d’Ivoire de demeurer vigilants. La conseillère consulaire Yvonne Trah Bi, par ailleurs présidente de l’Association française de bienfaisance en Côte d’Ivoire, en a vu d’autres, après 40 années passées dans le pays. Si elle se veut rassurante, elle encourage néanmoins ses compatriotes à la prudence: “je ne pense pas que l’on coure un risque majeur pour l’instant. Je pense que la majorité des Ivoiriens ont en mémoire tout ce qu’ils ont traversé et n’ont pas envie de recommencer. Il y aura surement des jours de manifestations où l’on sait qu’il ne faudra pas sortir de chez soi. J’encourage les gens à conserver des réserves alimentaires à la maison, ça fait partie des précautions qu’on a gardé depuis la crise de 2004, au cas où l’on ne puisse pas sortir pendant deux ou trois jours”.
Après avoir sévèrement réprimé les manifestants et procédé à de nombreuses arrestations, le gouvernement ivoirien a décidé le 19 août d’interdire les manifestations sur la voie publique, jusqu’au 15 septembre. Pour Jackie Bertho Andoh, dirigeante d’une PME et présidente de l’association Français du Monde-ADFE en Côte d’Ivoire, la situation pourrait dégénérer quand la Commission électorale ivoirienne aura arrêté la liste définitive des candidatures retenues pour la présidentielle, dans la deuxième quinzaine de septembre: “quelques manifestations ont été fortement réprimées, il y a même des femmes qui ont été arrêtées, les peines sont lourdes, c’est fortement désagréable et préjudiciable. Le pouvoir actuel s’enferme dans un discours autoritaire donc nous sommes préoccupés. La communauté expatriée n’est pas visée mais il ne faut pas prendre de risque, il ne faut pas se mêler de politique, il faut rester neutre”. Une neutralité qui fait consensus au sein de la communauté française de Côte d’Ivoire qui espère surtout que le gouvernement français n’interviendra pas dans le processus électoral ivoirien et ne s’impliquera pas officiellement.
Le sénateur des Français établis hors de France Jean-Yves Leconte (PS) est attendu vendredi 11 septembre à Abidjan, où il restera trois jours pour prendre le pouls de ses administrés: au programme, visite du consulat, tournée des associations françaises et rencontres avec les élus consulaires et l’Agence française de développement (AFD).
> Une situation économique préoccupante
Plus encore que les actuels troubles politiques, les Français de Côte d’Ivoire – qui représentent avec 18 000 inscrits au registre consulaire la deuxième communauté de Français la plus importante d’Afrique subsaharienne- s’inquiètent de la situation économique du pays. Nombre d’entre eux ont été durement touchés par la crise liée au nouveau coronavirus et ont perdu leur emploi et vu leurs ressources financières s’épuiser. Yvonne Trah Bi a constaté l’ampleur des conséquences de cette crise inédite: “avec la société de bienfaisance, pour la première fois nous avons fait des distributions alimentaires. Les gens ne se faisaient pas prier. Nous avons aussi fait des distributions de vêtements. Economiquement, tout est en attente. Certains me disent qu’ils n’en voient pas le bout. La période de rentrée scolaire est difficile puisque les résultats des bourses scolaires ne sont pas sortis. Les parents se demandent comment ils vont acheter les livres et les fournitures car ils ne savent pas combien ils vont toucher”. La Société de bienfaisance traite chaque année environ 900 dossiers de demandes de bourses scolaires et elle vient de bénéficier d’une rallonge de son budget par le ministère français des affaires étrangères afin de venir en aide à des familles en difficulté.
Pour les Français entrepreneurs, la situation s’est aussi considérablement dégradée. Jackie Bertho Andoh a été contrainte de rendre le pas de porte de sa boutique spécialisée dans l’installation de panneaux solaires. La plupart de ses contrats ont été suspendus et malgré les annonces du gouvernement ivoirien, les difficultés à monter un dossier pour obtenir des aides sont dissuasives: “Je n’ai pas monté de dossier de demande d’aide pour mon entreprise. Les méandres pour présenter un dossier d’aide sont tels que ça vous dissuade de le faire. Parmi les PME françaises en Côte d’Ivoire, je ne connais personne qui a monté son dossier jusqu’au bout. Je serre les dents en attendant que la crise du Covid-19 et la crise politique passent et que le soleil se lève à nouveau”. Les députés français ont voté en juillet le déblocage d’une aide de l’Etat français aux PME d’Afrique qui passerait par l’AFD et sa filiale Proparco. Mais à ce jour, le dispositif n’a pas encore été mis en place et les PME doivent surmonter seules leurs difficultés, ou couler.