L’Amérique latine et les Caraïbes ont franchi début septembre le seuil des 300 000 décès dûs au coronavirus et le Brésil, second pays le plus touché au monde derrière les Etats-Unis, vient de passer la barre des 5 millions de personnes infectées par le virus début octobre. Le continent, qui a fait face à un pic épidémique incontrôlable en juillet, peine à faire redescendre la courbe des contaminations.
> Des réponses variables
Les réponses nationales à la crise ont été très diverses entre les pays, entre la désinvolture apparente affichée par les gouvernements du Mexique ou du Brésil (le président du Mexique se disant protégé par ses amulettes, ou Jair Bolsonaro parlant d’une “gripette”) et au contraire le confinement très dur décidé par l’Argentine. De son côté, le Costa Rica a pu contenir la pandémie sans prendre de mesures drastiques de confinement à ce jour. Le pays a pour l’instant le plus faible taux de létalité d’Amérique Latine, grâce à une communication gouvernementale efficace. Néanmoins, de manière générale dans le sous-continent, deux constats émergent: les mesures sanitaires sont mal respectées et/ou insuffisantes et ne permettent pas d’enrayer la pandémie, et l’absence de filet de sécurité social durcit les conséquences de la crise.
Entre conséquences économiques et précarité sanitaire, les Français de la région connaissent des difficultés d’ordre divers. Hubert Maguin, référent de La République en Marche pour l’Amérique latine et les Caraïbes, installé à Sao Paulo, constate depuis le début de la crise les obstacles auxquels ses compatriotes sont confrontés: “la crise se fait particulièrement sentir dans les secteurs de la restauration, de l’hôtellerie et du tourisme. Sur le plan de la santé, les plus vulnérables sont les Français qui ne bénéficie pas de couverture maladie de bonne qualité, soit par leur assurance personnelle soit par leur entreprise, la santé en Amérique latine étant en grande partie l’apanage du secteur privé. Par ailleurs, l’Amérique latine est le continent où les lycées Français ont le plus enregistré de désinscriptions en septembre”.
Le constat est identique du côté de la député des Français de l’étranger Paula Forteza (EDS), qui constate cependant que cette crise à plusieurs échelles ne pousse pas les Français à rentrer en France: “La situation financière de certains de nos concitoyens s’est fortement dégradée ces derniers mois du fait de la suspension de leur activité sans compensations proposées par les Etats dans lesquels ils résident. Pour l’Amérique latine, nous avons principalement eu à gérer, avec les ambassades et les postes consulaires, le rapatriement de touristes en voyage et non de Français résidents. Il est vrai que nous avons reçu quelques demandes de Français souhaitant s’établir de nouveau en France, mais finalement ce sont des cas très rares car les Français établis dans cette région du monde sont attachés à la leur pays de résidence”.
> Des conséquences durables
Si le gouvernement français a mis en place une aide sociale exceptionnelle dédiée aux Français de l’étranger, seul un million d’euros sur les 50 millions prévus a été dépensé au profit de 6500 Français. Hubert Maguin attend donc des autorités françaises une plus grande implication auprès des Français d’Amérique latine: “j’aimerais que le dispositif soit reconduit l’année prochaine pour les pays d’Amérique latine. En effet, sur notre continent, la crise ne s’est pas arrêtée avec le dépôt du projet de loi de finances 2021… Plusieurs de nos compatriotes vont continuer à avoir des pertes de revenus en 2021, et, au regard des montants distribués, je pense que le coût de ce dispositif, d’autant plus s’il est mieux ciblé, serait relativement minime pour les finances publiques”.
Le sénateur Olivier Cadic (UDI) s’est entretenu mi-septembre en visioconférence avec 25 chefs d’entreprises français au Pérou, en plein désarroi face à la crise. Les frontières du pays ont tout juste rouvert le 5 octobre mais uniquement pour des liaisons avec des pays du sous-continent, les voyages en Europe restant interdits. “En mode survie, certains compatriotes ont obtenu un prêt dans le cadre du programme gouvernemental Reactiva Perú qui vise à répondre aux besoins de liquidités des entreprises, tandis que d’autres estiment qu’ils n’ont pas suffisamment de visibilité pour parer à des remboursements dès juin 2021. Ne pas ouvrir notre plan de relance aux entrepreneurs français de l’étranger revient forcément à ne traiter que quelques maillons de la chaine. Voilà pourquoi ceux-ci doivent trouver un accès à des financements. Ils contribuent indirectement, mais substantiellement, au développement du commerce extérieur de la France”, plaide le sénateur. Les solutions pour venir en aide aux entrepreneurs français à l’étranger restent encore à déterminer: la Banque Publique d’Investissement (BPI) ne soutient que les entreprises de droit français et la garantie d’Etat octroyée en juillet à l’AFD et Proparco ne sera pas mise en place avant la fin de l’année. Elle est de plus dédiée en priorité au secteur privé africain.
Selon les Nations-Unies, en raison des retombées économiques de la pandémie et des mesures de quarantaine, 45 millions de personnes pourraient basculer dans la pauvreté en Amérique Latine. L’impact de la crise sur les populations vulnérables, principalement les femmes et les enfants, aura donc des conséquences durables. Pour Paula Forteza, la France a un rôle à jouer dans l’avenir du sous-continent et son intervention dans ce contexte de crise sanitaire et économique doit la placer au premier rang des forces géopolitiques en présence: “la crise sanitaire pourrait faire reculer de 20 ans le développement de l’Amérique Latine, qui est à ce jour la région la plus inégalitaire du monde. Notre réponse au niveau international doit absolument passer par une solidarité accrue en faveur des personnes en situation de vulnérabilité, sur le plan sanitaire et économique. La France et l’Europe doivent venir en aide aux pays d’Amérique latine et des Caraïbes sans quoi ils pourraient voir les Etats-Unis mettre la main sur cette région du monde. De plus, l’enjeu est de prévenir un recul du développement de plusieurs années sur certains pays de la région déjà fragilisés. Les choix que nous ferons aujourd’hui dessineront les traits de l’Amérique latine et des Caraïbes de demain”.