Actualités politiques
Diminution des effectifs au Quai d’Orsay : les syndicats sonnent l’alarme
Le 26 novembre, les organisations syndicales vont se réunir avec le ministre Jean-Yves Le Drian à l’occasion de leur comité technique bi-annuel. Face à une activité à flux tendu depuis des mois, les syndicats veulent à tout prix éviter une nouvelle vague de suppression de postes prévue d’ici 2022.
La crise sanitaire a-t-elle mis en lumière les limites de la politique de diminution des effectifs au sein du ministère des Affaires étrangères ? C’est en tout cas ce que laisse penser une note de la Direction générale de l’administration et de la modernisation (DGAM) du Quai d’Orsay, transmise début octobre à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE).
Dans ce document, l’administration a en effet pour la première fois remis en cause officiellement cette stratégie en notant que « la contribution du ministère (…) pour faire face à la crise sanitaire a mis en évidence les risques associés à la poursuite d’une diminution de ses effectifs ». Un discours qui tranche largement avec celui de ces dernières années, qui visait à promouvoir le programme de réforme intitulé Action Publique (AP) 2022, lancé par l’exécutif en 2018, dont l’un des principaux objectifs est la réduction de 10% des effectifs entre 2019 et 2022…
Gel des suppressions de postes en 2021, quid de 2022 ?
Face à la crise sanitaire, les syndicats s’attendent ainsi à ce que le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, annonce le gel des suppressions de postes pour 2021 lors du Comité technique du 26 novembre. Mais rien ne leur garantit encore qu’il en sera de même l’année suivante.
Franck Laval, chargé de la communication à la CFDT, le plus important syndicat au Quai d’Orsay, s’insurge : « C’est vrai que pour l’année 2021, il ne devrait pas y avoir de suppression d’effectifs. Cela étant, il y a toujours théoriquement en cours l’exercice AP 2022. Nous voulons bien prendre le ministre au mot et entendre que pour 2021, on va arrêter le massacre… Simplement, on a tellement joué les bons élèves qu’on a déjà supprimé 80% des emplois qu’on s’était engagé à supprimer. Ce qu’on voudrait c’est qu’il annonce qu’il renonce au programme AP 2022, qu’il est enterré, qu’il est caduc ».
A la CFTC, l’objectif 2022 inquiète également : « Pour l’instant l’objectif 2022 est loin d’être enterré et je pense qu’il est urgent que nous discutions pour savoir quelles sont nos ambitions » déclare le président du syndicat, Cyprien François, tout en ajoutant « Il n’est jamais bon de se fixer un objectif qui est en fait un moyen. En France, on est habitué à la technique du rabot où on réorganise sous la contrainte parce qu’on n’a pas le choix. Il faudrait rentrer dans des véritables assises de la diplomatie, avec un livre blanc…»
Frank Laval plaide lui aussi pour une réflexion autour des missions du ministère. Celle-ci est essentielle, selon lui, si l’on souhaite maintenir un objectif de réforme : « Le monde et les façons de travailler évoluent. A la CFDT, nous avons toujours demandé de commencer par une revue des missions. Or ici, cette réforme est purement comptable. Et, cette revue des missions, on la fuit comme la peste, car elle reviendrait à deux choses : à réaliser que si on maintient l’ensemble de ce qu’on fait à l’étranger, notamment, en matière consulaire, on ne peut pas sabrer dans les effectifs, parce qu’on a besoin de tout le monde. A contrario, si on décidait que certaines missions à l’étranger étaient inutiles, par exemple les passeports, en les sous-traitant, alors l’administration se retrouverait à faire face aux élus des Français de l’étranger qui eux-mêmes, dans leur circonscription, devraient faire face à des protestations phénoménales». Franck Laval conclut : «Ainsi, l’idée aujourd’hui est de conserver les missions mais, en mode dégradé. Et on fait passer cela sous l’angle de la modernisation ».
Des agents exténués
Pour la CFTC comme pour la CFDT, la crise sanitaire a en outre accéléré les problématiques pour les agents au sein des postes diplomatiques, qui travaillaient déjà auparavant à flux tendu. « Cet épisode a mis les agents en souffrance, mais surtout il a mis en lumière le fait qu’aujourd’hui on est sous-staffé pour assurer nos missions à l’étranger», déclare Cyprien François.
Jean-Louis Duris, secrétaire général adjoint de la CFDT au ministère, renchérit : « Du fait du manque d’effectifs, les agents sont sur le pont depuis le début de l’année. Avec la forte diminution du nombre d’agents, il n’y a plus de fond de roulement. Je crois que là, nous avons atteint les limites du possible. On n’a plus de marge de manoeuvre. Cela va être extrêmement difficile à gérer en plus. Du fait de la crise, la plupart des agents n’ont pas pu prendre de congés. Imaginons un peu le nombre de congés qui ont été cumulés depuis le mois de mars dernier, qui n’ont pas été pris… A un moment donné, il va bien falloir que ces agents prennent leurs congés. On arrive à une situation aberrante».
Et, d’après les syndicats, les effets de ces conditions de travail commencent de plus en plus à se faire sentir sur les agents. « Les risques psychosociaux augmentent de manière constante. Il y a des gens qui craquent» alerte Cyprien François. Une inquiétude partagée par Jean-Louis Duris : « On se retrouve face à des agents avec des comportements inhabituels. La pression et la fatigue sont telles qu’ils ne sont plus à même, pour quelques-uns, d’analyser correctement les choses et d’agir d’une manière rationnelle ».
Des stratégies de modernisation efficaces ?
Dans cet objectif affiché de diminution d’effectifs, le Quai d’Orsay a lancé une série de réformes tendant à “moderniser” l’exercice des fonctions des agents consulaires. Parmi ces changements, figure le transfert des services d’état civil des consulats européens au service central de Nantes. A l’initial prévu pour 2022, ce transfert, qui concerne l’intégralité des postes européens, devrait finalement avoir lieu, au mieux, d’ici cinq ans. Seuls la Suisse, Monaco, le Luxembourg et le Liechtenstein ont pour le moment été transférés. Varsovie et Berlin sont prévus pour 2021.
Pour Claire Lefebvre, conseillère syndicale de la CFDT qui s’est chargée dès 2018 du transfert de ces activités, cette stratégie pose question : « Le but est de gagner en efficacité mais, en réalité, cela ajoute aussi énormément de lourdeur. Le gain que l’administration pensait faire en nombre de postes se retourne aujourd’hui contre elle avec un allongement des délais et une lourdeur administrative qui vient peser sur les démarches que les usagers ont à faire ».
Pour cause, d’après Claire Lefebvre, le délai d’examen des dossiers pour la transcription d’état civil des personnes résidant en Suisse prend désormais près de deux mois et demi, loin des 15 à 20 jours de délais lorsqu’ils étaient réalisés dans les consulats helvètes. « Outre les délais de traitement, explique Claire Lefebvre, vous avez un autre effet, c’est que le service de transcription consulaire est devenu payant car les usagers doivent désormais non seulement affranchir à l’international leur envoi à l’aller, mais aussi fournir une enveloppe pré-affranchie pour un envoi retour. Par ailleurs, pour les pays non-francophones, les usagers vont en outre devoir présenter une traduction d’un traducteur assermenté pour tous les documents produits en langue étrangère. Cela a un coût considérable ».
Claire Lefebvre conclut : « Le problème de cette politique c’est qu’elle ne cherche pas à améliorer un service rendu aux usagers. Sous couvert de modernisme, on est en train de créer un système de service public à double vitesse. Ça c’est inadmissible. Sur les transcriptions d’état civil, je ne comprends pas la logique qui vise à dissocier une activité consulaire. Par exemple, pour des personnes qui résideraient à Monaco, et qui ont un premier enfant, ils ne peuvent plus se rendre directement à l’ambassade à Monaco pour faire toutes les démarches. Ils vont se retrouver face à un agent qui va leur dire qu’ils peuvent faire leur carte d’identité ou leur passeport mais, qu’avant ça, il faut écrire au service central d’état civil. Réfléchi comme cela, cela parait complètement déconnecté de la réalité des Français de l’étranger ».
Et cette politique est d’autant plus problématique, d’après Franck Laval, qu’elle est, prématurément, accompagnée de suppressions de postes : « On gage des emplois sur des économies qu’on n’a pas encore constaté. Le registre électronique d’état civil, il ne sera pas opérationnel avant cinq ou six ans. Et pourtant on commence déjà à dire « on peut supprimer des emplois, puisqu’on va gagner des postes »».
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