Les relations transfrontalières renvoient à l’origine des échanges humains. Avec l’avènement des frontières modernes, les empires puis les États ont formalisé ces limites géographiques. Aujourd’hui, l’Union européenne a conçu de multiples programmes de coopération qui visent à favoriser ces échanges. L’objectif de notre dossier va consister à vous les faire découvrir.
Avant cela, un bref retour s’impose avec l’année 1990, moment clé de l’histoire européenne. Nous sommes deux ans avant le traité de Maastricht qui va permettre de circuler et de résider librement dans les pays de la communauté, de concevoir par la suite une monnaie unique sous l’égide d’une Banque centrale européenne (le futur euro) et d’élargir considérablement les compétences de l’Union. Le Mur de Berlin vient de tomber deux mois plus tôt et cette décennie qui débute augure la fin du bloc de l’Est, rebattant les cartes de l’équilibre géopolitique mondial. Coïncidence ou non, c’est aussi en cette année 1990 que la Commission européenne commence à formaliser la première génération de programmes dits «Interreg» de coopération transfrontalière. L’objectif ? Financer des projets de coopération au sein et à l’extérieur de l’Union européenne. Ces programmes sont en fait une application concrète de la Convention de Madrid sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales signée le 21 mai 1981(1) qui, elle, ne contenait pas vraiment pas de dispositions opérationnelles.
Des rapprochements au sortir de la guerre
Bien avant cette période récente, l’Europe a dû bâtir des structures institutionnelles qui ont permis d’aboutir à ces programmes de coopération. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la priorité est de reconstruire et de poser les jalons d’une paix durable. Le Traité de Bruxelles – signé en mars 1948 par la France, le Royaume-Uni et les trois pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) – est une première qui tend à façonner une Union occidentale dans une optique de collaboration en matière de défense, mais aussi au plan économique, culturel et social.
En janvier 1949, la France, la Grande-Bretagne et les pays du Bénélux décident d’instituer un Conseil de l’Europe. Ils sollicitent le Danemark, l’Irlande, l’Italie, la Norvège et la Suisse pour les aider à en élaborer les statuts. Cette organisation européenne élargie, composée aujourd’hui de 47 pays membres, souhaite regrouper des États partageant les valeurs des droits de l’Homme, de l’État de droit et de la démocratie. Elle sera aussi la première organisation européenne à évoquer la notion de coopération transfrontalière.
Toutefois, le socle de cette véritable construction européenne multiforme – qui deviendra l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui – est posé par Robert Shuman. Dans sa déclaration de mai 1950, le Français propose la création d’une organisation européenne chargée de mettre en commun les productions française et allemande de charbon et d’acier. Cette initiative, portée également par six autres personnalités qui deviendront les «pères de l’Europe»(2), va déboucher sur la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), signée par la France, l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et Italie.
S’ensuivront d’autres étapes clés, notamment avec le traité de Rome de mars 1957 qui pose les termes d’un marché commun favorisant la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux, ce qui donnera naissance à la Communauté économique européenne (CEE), puis ensuite à l’Union européenne (UE). Rejoignant les six membres d’origine, d’autres nations sont venues progressivement s’agréger à l’édifice européen, au nombre de 15 en 1995, 25 en 2004 et 28 en 2013(3) jusqu’au retrait du Royaume-Uni le 31 janvier 2020.
La coopération territoriale européenne
Au sens large, la coopération territoriale européenne encourage les programmes en faveur de l’emploi, de l’environnement et de l’innovation. Ces actions de coopération sont soutenues par le Fonds européen de développement régional (Feder), doté d’un budget de 8 milliards d’euros pour la période 2021-2027, à travers trois types de coopération : la coopération transfrontalière – qui sera au cœur de notre dossier –, la coopération transnationale et la coopération interrégionale.
Selon les termes du Parlement européen(4), la coopération transfrontalière se définit comme un ensemble de programmes visant «à rapprocher les régions ou les autorités locales qui ont une frontière commune (terrestre ou maritime) pour développer les zones frontalières […].» Pour la période 2021-2027, la coopération transfrontalière et maritime se verra attribuer 72,2% du budget du Feder.
La coopération transnationale s’applique à «des territoires transnationaux plus vastes et vise à renforcer la coopération en s’appuyant sur des actions qui favorisent le développement territorial intégré entre les entités nationales, régionales et locales dans de vastes zones géographiques au niveau européen. […]». Pour cette même période 2021-2027 la coopération transnationale recevra 18,2% du Feder.
Enfin, la coopération interrégionale vise à «renforcer l’efficacité de la politique de cohésion en se fondant sur des actions qui favorisent les échanges d’expériences entre régions sur des questions comme la conception et la mise en œuvre de programmes, le développement urbain durable et l’analyse des tendances de développement sur le territoire de l’Union. […]». Ce troisième volet sera doté de 6,1% du budget du Feder 2021/2027.
Des acteurs pour faire vivre cette coopération
Ces grands axes de projets et d’échanges frontaliers supposent l’implication d’une multiplicité d’acteurs politiques, institutionnels, privés ou encore associatifs que notre dossier vous fera découvrir. C’est notamment le cas de l’État français, et particulièrement de son secrétariat d’État aux Affaires européennes. La Mission opérationnelle transfrontalière (MOT) est un autre acteur essentiel, regroupant au sein de son réseau de nombreux acteurs de ce type de coopération, avec plus de soixante adhérents issus de dix pays européens.
En termes d’emploi, le réseau européen Eures est bien sûr incontournable, tout comme Erasmus+, programme de la Commission européenne depuis longtemps plébiscité par les étudiants et qui offre aux jeunes de moins de 30 ans, avec ou sans diplôme, la possibilité de séjourner à l’étranger pour renforcer leurs compétences et accroître leur employabilité. En France, Pôle emploi/Mobilité internationale est également un allié précieux qui nous rappellera l’étendue de ses services.
Notre dossier couvrira aussi largement les compétences de la Grande Région, emblème de la coopération frontalière sur le plan politique, économique et social, avec des partenariats entre l’Allemagne (Sarre et Rhénanie-Palatinat), la Belgique (Wallonie), le Grand-Duché du Luxembourg et la France (Grand Est). La Suisse, autre destination frontalière essentielle pour les Français sera aussi au menu de notre dossier qui explorera également l’état de ce type de coopération plus au sud, avec l’Italie et l’Espagne. Puis le passage de la Manche nous permettra d’analyser l’état et les perspectives d’échanges frontaliers avec le Royaume-Uni, bientôt deux ans après le Brexit. Enfin, nous terminerons ce voyage de part et d’autre des frontières avec des exemples de voisinages maritimes ultramarins.
Les frontières, par-delà les territoires, ont toujours suscité l’attirance. Puisse notre dossier participer à entretenir cette curiosité.
(1) : Cette convention cadre a été ratifiée par 36 États membres du Conseil de l’Europe.
(2) : Konrad Adenauer (Allemagne de l’Ouest), Paul-Henri Spaak (Belgique), Joseph Bech (Luxembourg), Johan Willem Beyen (Pays-Bas) Alcide de Gasperi (Italie), Jean Monnet et Robert Shumann (France).
(3) : Royaume-Uni, Irlande, Danemark, Grèce, Espagne, Portugal, Suède, Finlande et Autriche viennent s’ajouter aux six membres d’origine en 1995. En 2004, ce sont Pologne, République tchèque, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, Lettonie, Lituanie, Estonie, Malte et Chypre. Puis Roumanie et Bulgarie en 2007, et Croatie en 2013.