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Laura Mousnier
1 décembre 2021

Jean Arthuis : « Éveiller et renforcer le désir de mobilité »

Durant deux mois, le Journal des Français à l'étranger vous propose un grand dossier sur les nombreux aspects des échanges frontaliers, notamment en termes de possibilités d'emploi et d'étude. Aujourd'hui, entretien avec Jean Arthuis, ancien ministre et eurodéputé, aujourd’hui président de l’association Euro App Mobility.

Français à l’étranger (FAE) : Comment est né le projet Euro App Mobility ?

Jean Arthuis (J.A) : Le prélude est sans doute le projet pilote que j’ai lancé lorsque j’étais membre du Parlement européen et que je présidais la Commission des budgets. Nous avons constaté qu’Erasmus+ profite essentiellement aux étudiants de l’enseignement supérieur, mais que les apprentis en mobilité sont peu nombreux. Lorsqu’ils partent, généralement une ou deux semaines, le désir de mobilité peut naître, mais il n’y a pas de véritable immersion.

J’ai voulu comprendre quels étaient les freins et les obstacles à la mobilité longue des apprentis. Tel était l’objet du projet pilote que j’ai fait adopter dans le projet du budget de l’Union européenne (UE) de 2016 et qui a permis à la Commission de lancer un appel à manifestation d’intérêt pour des centres de formation d’apprentis (CFA) dans différents pays.

Pendant trois ans nous avons travaillé avec la Commission, nous avons suscité un consortium depuis la France avec des partenaires tels que les Compagnons du devoir, les familles rurales, les CFA… dans divers pays. Et nous avons tout de suite identifié les freins et les obstacles.

FAE : Quels sont ces freins et ces obstacles ?

J.A : Il y en a plusieurs. Les premiers sont de nature juridique puisque le contrat d’apprentissage n’est pas seulement un contrat de formation, mais aussi un contrat de travail. Ceci au sein de 28 pays – à l’époque – correspondant à 28 législations différentes. Les freins sont aussi financiers, notamment pour assurer l’autonomie financière d’un jeune pendant cette mobilité de plusieurs mois. Ils sont également académiques au moment de la délivrance du diplôme : est-ce-que le pays d’origine va reconnaître les acquis de la mobilité ? Ils sont aussi linguistiques : nous avons eu des candidatures de pays situés à l’est de l’Europe et qui n’ont pas abouti lorsque les jeunes ont constaté qu’aucun enseignement n’était dispensé en anglais dans les CFA qu’ils visaient. Enfin, les freins peuvent être également psychologiques dans la mesure où partir en mobilité pendant plusieurs mois amène à sortir de sa zone de confort. Étant en relation avec Emmanuel Macron lorsqu’il était candidat à la présidence de la République, j’avais pu suggérer d’inscrire dans son programme présidentiel « l’Erasmus des apprentis ». Par la suite, lorsque Madame Pénicaud a été nommée ministre du Travail, elle m’a confié une mission pour proposer les voies et moyens à mettre en œuvre pour lever ces freins et ces obstacles.

J’ai quitté le Parlement en juin 2019 et souhaité que nous mettions en place une équipe, une fondation pour entretenir le mouvement. Nous avons ainsi créé cette association – Euro App Mobility – dont les fondateurs sont, entre autres,l’Association ouvrière des Compagnons du devoir et du Tour de France, le Conservatoire des Arts et Métiers (qui nous héberge), le réseau des chambres de commerce et de l’industrie, les chambres des métiers de l’artisanat, lLes maisons familiale rurales, le GAN France (Global apprenticeship network) qui réunit entreprises et professionnels de la formation professionnelle, avec des établissements et des filiales dans la plupart des pays de l’Union européenne (UE). Ceci facilite les offres d’accueil de stagiaire et d’apprentis.

FAE : Quelles sont vos ressources ?

J.A : Notre équipe est constituée de quatre collaborateurs et notre budget s’élève à 600.000 euros par an, financé en partie par le ministère du Travail à hauteur de 400.000 euros. À charge pour nous de trouver des donateurs pour équilibrer nos comptes.

FAE : Quels sont les prérequis à la mobilité internationale des apprentis ?

J.A : Lors de nos états généraux, nous avons adopté un manifeste qui a été approuvé à l’unanimité. Celui-ci précise cinq prérequis. Le premier est la création d’un poste référent mobilité dans des CFA ou lycées professionnels volontaires à l’international, avec une inscription dans les programmes et une définition des moyens pour y parvenir. Le deuxième serait une cellule de développement de la mobilité des apprentis à l’international, à l’échelon régional. Le troisième s’intéresse à la reconnaissance systématique des acquis de la mobilité. En ce sens, le modèle des ECTS (European Credits Transfer System, système de «crédits» d’apprentissage destiné la comparaison des programmes d’études dans les différents pays européens, Ndlr) doit être étudié pour faciliter cette reconnaissance. Le quatrième prérequis est que nous puissions encourager les entreprises qui souhaitent accueillir des apprentis et les inciter à nommer au sein de leurs équipes une « tuteur de la mobilité ». Enfin, le cinquième prérequis tend vers un statut unifié de l’apprenti en mobilité, en attendant que soit créé un statut unique de l’apprentissage en Europe.

FAE : De quelle manière s’exercent vos actions ?

J.A : Elles s’exercent auprès des pouvoirs publics pour faire évoluer les législations, mais aussi auprès des entreprises, et surtout des CFA pour les accompagner, éveiller, renforcer le désir de mobilité. Nous sommes en train de construire une plateforme de rapprochement des offres et des demandes de stages de mobilité en Europe. Opérationnelle au début de l’année 2022, elle sera accessible aux jeunes désireux d’accomplir une mobilité dans leur cursus de formation professionnelle, ainsi qu’aux maîtres d’apprentissage des entreprises et des établissements de formation (CFA et lycées professionnels). Pour enclencher le processus, nous mettons au point un dispositif spécifique de financement des référents mobilité dans les CFA volontaires pour inscrire la mobilité internationale dans leur projet pédagogique.

FAE : La pandémie vous a-t-elle impacté ?

J.A : Il n’était pas facile de parler de mobilité pendant la période de confinement. Ceci a privilégié une période de réflexion pour préparer le rebond. Tous les constats que nous avons pu faire convergent vers l’idée selon laquelle la mobilité internationale est une valeur ajoutée extraordinaire dans le cursus de la formation professionnelle. Nous avons organisé au mois de septembre les états généraux de la mobilité des apprentis en Europe. Ils ont rassemblé de nombreux participants issus de différents pays et plusieurs membres du gouvernement, présents physiquement ou virtuellement via des messages vidéos, nous ont prodigué leurs encouragements. Le président de la République lui-même nous a accordé son haut patronage et nous a livré un message très volontariste pour développer un espace européen de l’apprentissage, ceci à la veille de la présidence de la France à l’UE.

FAE : Justement, qu’attendez-vous de cette présidence française de l’Union européenne ?

J.A : Notre espoir est qu’elle puisse favoriser l’avènement d’un espace européen de la formation professionnelle et de l’apprentissage, comme il existe un espace européen de l’enseignement supérieur. Nous attendons qu’une volonté politique s’exprime au niveau des chefs d’État et de gouvernement. Il faut que le mouvement soit déclenché par les acteurs de terrain, par les jeunes, les CFA, chefs d’entreprises, maîtres d’apprentissage.

Compte-tenu des témoignages que nous avons entendus, nous pensons que le gouvernement français s’y prépare. Emmanuel Macron semble déterminé à donner une impulsion décisive. Il nous paraît important de susciter le désir de mobilité.

FAE : Quelle coopération est envisagée avec le Royaume-Uni en dépit du Brexit ?

J.A : Nous ne posons pas de barrière et nous pouvons aller au-delà de l’espace de l’Union européenne. Nos relations avec Londres font partie des négociations en cours pour assumer les conséquences du Brexit. Je pense que les autorités britanniques auront le souci de maintenir une participation au programme Erasmus+ et que nous pourrons ainsi poursuivre les différents échanges. Il en va de l’intérêt général.

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