Actualités économiques
Brexit : un projet qui ne date pas d’hier
Si le Royaume-Uni et l’Europe ont officiellement divorcé début 2021, il faut remonter huit ans plus tôt pour retrouver la genèse de cette séparation lourde de conséquences pour les entreprises tout comme les citoyens, qu’ils soient ou non expatriés, de part et d’autre de la Manche.
Les prémices du Brexit remontent en réalité à début 2013. David Cameron, alors Premier ministre, subit alors une forte pression des eurosceptiques de l’aile droite et des souverainistes de son parti. Persuadé de sa victoire, sûr de lui, le chef du gouvernement britannique promet alors que, s’il est réélu en 2015, il organisera un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. Lui qui militait pour rester dans l’UE tient parole. Coup de théâtre : le 23 juin 2016, ce sont les partisans du « leave » (quitter) qui l’emportent avec près de 52% des voix et une participation record de 72,2 %. Le résultat provoque alors une onde de choc, au sein du pays comme auprès de ses alliés en Europe et au-delà. David Cameron démissionne et le Brexit est né, coup d’envoi d’une interminable période de discussions, d’incertitudes, d’avancées et de reculs. Ce choix de sortir de l’union douanière et du marché unique, de mettre un terme à la libre circulation des personnes, des marchandises et des services aura un impact que l’on ne mesure toujours pas exactement tant il est important sur les relations entre les entreprises de part et d’autre du Channel. Ce divorce concerne aussi les 140 000 expatriés inscrits au registre des Français de l’étranger du Royaume-Uni, sans compter les personnes, environ autant, qui ne se sont jamais enregistrées et qui vivent pourtant à Londres.
Promesse d’avenir florissant
« Lorsque David Cameron a organisé son référendum en 2016, il n’imaginait sans doute pas une seconde que les électeurs voteraient en majorité pour la sortie de l’Union européenne, estime aujourd’hui l’historien Frédéric Tristram, maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Mais quand on se replace dans une perspective plus large, ce mouvement de repli apparaît en fait assez compréhensible. Les Britanniques ont toujours entretenu des relations particulières avec le reste de l’Europe. » C’est donc Theresa May qui négocie le premier accord de sortie, mais la successeure de David Cameron fait face à une forte opposition entre travaillistes et conservateurs. Elle finit par démissionner à son tour en juin 2019. Elle est remplacée au 10 Downing Street par Boris Johnson. En 2016, pendant la campagne du référendum sur le Brexit, l’actuel Premier ministre promettait au Royaume-Uni débarrassé des « entraves » de l’UE un avenir florissant, où il contrôlera son immigration et récupérera les millions versés à Bruxelles pour les consacrer à son système de santé –un engagement basé sur un chiffre faux.
Une histoire sans fin
Après plusieurs reports et plus de trois ans de psychodrame politique, le Royaume-Uni avait finalement largué les amarres le 1er février 2020, tournant le dos à presque cinq décennies d’intégration. Un départ suivi le 1er janvier dernier, à l’issue d’une période de transition et d’un accord commercial négocié dans la douleur, d’une sortie définitive de l’union douanière et du marché unique européens. Certes, le fameux « no deal » (pas d’accord) a été évité. Bien sûr, Londres a quitté les institutions européennes mais le gouvernement de Boris Johnson n’a de cesse de contester les accords qu’il a signés, quand bien même ils ont été adoptés par les députés britanniques. Pour la première fois aussi depuis plusieurs générations, les Britanniques ne jouissent plus d’un accès libre au continent – et vice-versa: la libre circulation des personnes a pris fin et les échanges commerciaux entre les anciens partenaires ne cessent de chuter. Signe de la fracture qui persiste, un sondage publié cet été montrait que 51% des Britanniques voteraient pour rester dans l’UE si le vote avaient lieu maintenant et 49% pour la quitter. Cela n’a pourtant entamé en rien la détermination du gouvernement de BoJo de mener à terme son projet.
Nouvelles tracasseries
« Certains essaient d’intenter un mauvais procès à Michel Barnier (ex-négociateur en chef de l’Union européenne pour le Brexit, ndlr) en disant ” vous avez mal négocié “, alors qu’on a des gens qui sont prêts à ne pas mettre en place ce qu’ils ont signé, s’emporte Olivier Morel, avocat d’affaires à Londres et président des conseillers du commerce extérieur français au Royaume-Uni. Il faut un minimum de bonne volonté de la part et d’autre. Si le gouvernement britannique signe un traité et, quelques mois plus tard, le dénonce, c’est très compliqué à gérer. » D’autant que le Covid-19 s’est invité, gâchant la fête pour les uns, brouillant la donne pour d’autres. Il servira pendant longtemps encore de bouc émissaire à tenir responsable de tout ce qui ne va plus après le Brexit, de la croissance du chômage, des retards de livraison, des pertes d’emploi, des augmentations inévitables des impôts, même des nouvelles tracasseries pour les Britanniques aux frontières. « Tout s’est fait sur la base de promesses mensongères dont on paie aujourd’hui les conséquences, analyse Claude-France Arnould, spécialiste des relations internationales. Le problème, c’est qu’il reste bien d’autres sujets qui ne sont pas fixés dans l’accord: dans les domaines financiers, de la défense, spatial, sur le climat ou encore les conflits régionaux à nos frontières. » Le Royaume-Uni souhaite notamment renégocier le très sensible protocole nord-irlandais qui permet d’éviter le retour d’une frontière physique entre les deux Irlandes et de respecter l’accord de paix entre Dublin et Belfast.
Signes d’essoufflement
En dépit d’un accord commercial entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, le commerce de biens entre l’île et le continent a baissé depuis l’entrée en vigueur effective du Brexit. La sortie britannique de l’UE a aussi fortement compliqué la venue au Royaume-Uni de travailleurs européens, ce qui aggrave les pénuries de main-d’œuvre et les perturbations des chaînes d’approvisionnement dans le pays. La reprise montre en effet des signes d’essoufflement, pénalisée par la flambée des prix de l’énergie notamment. Ainsi Ryanair vient de quitter mi-décembre la bourse de Londres pour gagner celle de Dublin, en République d’Irlande. La compagnie aérienne à bas prix invoque un volume de transactions trop faible depuis le Brexit. Mais ce divorce ne signifie pas pour autant que tous les liens sont rompus entre les anciens partenaires. Au Royaume-Uni, 5,4 millions de ressortissants européens ont effectué une demande pour pouvoir continuer à y résider et conserver les mêmes droits de travailler et d’accéder à la sécurité sociale. Bien plus que les 3,4 millions auxquels s’attendait le gouvernement britannique.
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