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Didier Bras
5 janvier 2022

Noëlle Versaveau-Gautier : « Faciliter les démarches de mobilité transfrontalière »

Suite de notre série sur le travail transfrontalier vers Monaco et l'Italie. Aujourd'hui, entretien avec Noëlle Versaveau-Gautier, correspondante régionale Europe & Relations internationales à la Direction régionale Pôle emploi Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Français à l’étranger (FAE) : Notre récent article sur le marché du travail à Monaco fait état d’un chiffre assez saisissant : le nombre de travailleurs frontaliers semble plus important que la population monégasque elle-même…

Noëlle Versaveau-Gautier (N. V-G. ) : Oui, mais ce chiffre est tout de même à relativiser car l’emploi dans la Principauté recouvre des réalités différentes. Dans l’hôtellerie-restauration et le tourisme par exemple, on trouve bon nombre de travailleurs saisonniers qui exercent essentiellement durant la période d’été.

(FAE) : Quels travailleurs sont considérés comme transfrontaliers dans vos services ?

(N. V-G. ) : Ce sont avant tout les personnes issues des Alpes-Maritimes. Ainsi, dans nos diagnostics territoriaux internes, nous n’avons pas coutume d’intégrer les chercheurs d’emploi en provenance de l’agglomération Aix-Marseille, et plus globalement des Bouches-du-Rhône.

(FAE) : Cela semble logique…

(N. V-G. ) : De moins en moins car nous observons un nombre croissant de travailleurs issus du Var, de la région marseillaise ou d’autres régions françaises qui rejoignent Monaco pour y travailler. À ce propos, il faut souligner l’impact du télétravail qui s’affranchit de la notion géographique. Cette combinaison du travail chez soi et d’un ou deux jours hebdomadaires de l’autre côté de la frontière devient possible lorsqu’on est issu de ces régions au-delà des Alpes-Maritimes.

(FAE) : Finalement, la notion de travailleur frontalier est plutôt extensible…

(N. V-G. ) : Selon les instances européennes, elle désigne tout travailleur salarié qui exerce son activité professionnelle au moins une fois par semaine sur le territoire d’un Etat membre frontalier, tout en résidant sur le territoire d’un autre Etat membre. Ces déplacements professionnels peuvent être quotidiens, comme c’est souvent le cas au niveau de la région Grand Est, ou plus intermittents, à l’image par exemple d’artisans ou travailleurs du bâtiment frontaliers italiens qui œuvrent trois jours sur un chantier et regagnent ensuite leur domicile au-delà de la frontière.

(FAE) : Les déplacements professionnels quotidiens vers Monaco sont-ils nombreux ?

(N. V-G. ) : Oui, très conséquents. Ils se heurtent toutefois aux possibilités de transport en commun qui sont assez limitées. L’usage de la voiture est très répandu, décuplé par la crise du Covid qui a eu pour effet d’éviter la promiscuité. Par conséquent, les gens qui franchissent la frontière monégasque au quotidien sont avant tout ceux vivent à proximité de la Principauté. Au plus loin cela concerne des salariés qui vivent sur la bassin niçois Nice.

(FAE) : Cette problématique de la mobilité renvoie donc à la transformation des modes de travail ?

(N. V-G. ) : Absolument, d’ailleurs il serait intéressant d’étudier cette mobilité transfrontalière de manière plus étendue. Sur des métiers, notamment tertiaires, où l’on recherche des profils parfois très qualifiés et multilingues – comptables, experts-comptables, ingénieurs, ou encore professionnels de la pétrochimie qui sont très recherchés à Monaco…– les recrutements sont parfois difficiles et la solution peut venir de candidats plus éloignés, y compris de la région parisienne. Nos équipes de conseillers spécialisés dans la mobilité internationale et membres du réseau Eures peuvent alors apporter leur appui afin de satisfaire ces besoins de recrutements très spécifiques.

(FAE) : En Italie, existe-t-il une agence nationale de l’emploi qui serait l’équivalent de Pôle emploi ?

(N. V-G. ) : Oui, il s’agit de l’ANPAL (Agenzia Nazionale Politiche Attive del Lavoro), avec laquelle nous développons des collaborations actives dans le cadre du réseau des Service publics de l’emploi européens. Toutefois, on ne peut pas vraiment comparer les deux opérateurs car Pôle emploi accompagne les demandeurs d’emploi, gère les indemnisations et les besoins de recrutement des entreprises. De son côté, l’Anpal ne gère ni les indemnisations ni les besoins de recrutement des entreprises. En Italie, ce dernier point est surtout du ressort des chambres de commerce. L’ANPAL, rattachée au gouvernement italien, a un rôle très institutionnel et ne possède pas, comme en France, un réseau d’agences qui maille au plus près le territoire national.

Ces différences organisationnelles ont une conséquence dans la perspective d’une mise en œuvre opérationnelle d’actions conjointes. Par exemple, si nous voulons construire un projet commun en Ligurie, en Toscane ou encore en Sardaigne, nos interlocuteurs seront des acteurs régionaux. Autrement dit, c’est un peu l’équivalent de nos conseils régionaux qui, en Italie, sont investis du pouvoir décisionnel sur le sujet de l’emploi. Plus loin dans ce circuit, ces services régionaux travaillent avec des services déconcentrés qui, pour le coup, sont un peu l’équivalent des agences locales Pôle emploi et de nos services territorialisés.

(FAE) : Ces modes de gouvernance à trois niveaux semblent compliqués…

(N. V-G. ) : L’Italie reste un pays très décentralisé, et toutes les régions n’ont pas forcément les mêmes stratégies ni les mêmes organisations. Par exemple, ce qui prévaut en Toscane tend plus à se rapprocher du modèle français, contrairement à la Ligurie ou la Sardaigne, où la gouvernance du réseau est différente. En conséquence, si les choses fonctionnent bien localement, il est plus complexe d’harmoniser les choses entre les territoires.

Concrètement, dans une optique de mise en place d’un réseau de l’emploi franco-italien, côté français, Pôle emploi est naturellement le « chef d’orchestre » de l’ensemble des sujets, avec si besoin le concours d’autres acteurs (missions locales, Cap emploi, la Région Sud, etc). En revanche, côté italien, les interlocuteurs seront multiples au sein même de la Toscane, de la Ligurie, de la Sardaigne pour des raisons de légitimité qui diffèrent.

(FAE) : Le modèle français, plus « vertical », aurait donc ses vertus…

(N. V-G. ) : Notre organisation, avec moins d’interlocuteurs, permet d’intervenir efficacement sur de nombreux sujets. D’ailleurs, les problématiques nationales dans le domaine de l’emploi se traduisent par des adaptations territoriales. Par exemple, en ce qui concerne la mise en œuvre sur des axes opérationnels stratégiques impulsés par l’Union européenne sur des thèmes comme le développement des métiers de demain, la transformation digitale, etc., la force de nos réseaux locaux, c’est de pouvoir mettre en place des micro-actions en fonction des réalités locales. Une entreprise qui recrute dans la « blue economy » en Bretagne n’a pas forcément les mêmes attentes qu’une autre située en Paca.

En d’autres termes, nous répondons aux besoins en tenant compte des spécificités économiques et sociales des territoires.

(FAE) : Pôle emploi Paca est très impliqué dans le projet MA.R.E. Pouvez-vous nous en rappeler les grands objectifs ?

(N. V-G. ) : C’est un projet stratégique européen axé sur les filières vertes et bleues, qui, au-delà de ses aspects opérationnels, va nous donner un cadre de travail pour conduire des études ciblées sur certains publics, sur certains métiers ou sur certaines filières, notamment à des fins de retransmission auprès des pouvoirs publics, nationaux ou européens.

Il s’agit aussi de définir des profils professionnels conjoints via des parcours de formation et de développement de compétences – avec une définition commune des compétences en question – en fonction de tels ou tels métiers particulièrement recherchés sur notre zone de coopération. Cette réflexion s’inscrit dans un contexte de la transformation des métiers, de l’impact grandissant de la digitalisation et du nécessaire développement des compétences transverses.

Ces types de réseaux pour l’emploi sont déjà matures dans d’autres territoires transfrontaliers. Nous avons régulièrement des échanges avec nos partenaires pour l’emploi en Italie, mais le projet MA.R.E vise à institutionnaliser ce réseau franco-italien. Il devrait favoriser les habitudes de travail en commun, les échanges de pratiques et fluidifier l’orientation des demandeurs d’emploi et l’accompagnement des entreprises. Il s’agit vraiment de faciliter toutes les démarches de mobilité transfrontalière et ainsi de contribuer aux enjeux européens de développement économique et social de l’espace méditerranéen franco-italien.

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