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François Legras
27 janvier 2022

Salarié à l’étranger : à la naissance d’un litige, quelle loi appliquer ?

Bien souvent, les salariés pensent que le régime d’affiliation ou de non-affiliation à la sécurité sociale française peut influer sur la loi applicable à leur contrat de travail[1]. En réalité, cela n’a aucune incidence. Plus exactement, un employeur et un salarié peuvent s’accorder sur la loi applicable au contrat de travail durant une période de mobilité.

Un salarié peut être détaché (i.e. maintenu à la sécurité sociale française) tout en voyant son contrat de travail régit par la loi étrangère du lieu de sa mission, et, à l’inverse, un salarié expatrié (i.e. qui n’est pas affilié à la sécurité sociale française) peut voir ses relations contractuelles régies par le droit français.

Ceci étant, comme tout principe juridique, il existe quelques exceptions ou restrictions à cette liberté posées par le Règlement européen Rome I en cas de conflit de lois[2].

Si les relations contractuelles entrent dans le champ d’application du règlement Rome I

> Champ d’application du règlement

Le règlement Rome I est applicable à tout contrat conclu à partir du 17 décembre 2009 dans les cas suivants :

  • si l’employeur et le salarié ont la nationalité d’un État membre de l’Union européenne ;
  • si l’employeur ou le salarié sont ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ;
  • si le travail est exécuté au sein de l’Union européenne, et ce même si ni l’employeur ni le salarié ne sont ressortissants d’un État membre de l’Union européenne.

Ceci, étant précisé que les contrats de travail conclus au Danemark et au Royaume-Uni en sont exclus[3] et relèvent de l’ancienne convention de Rome[4], tout comme les contrats conclus avant le 17 décembre 2009[5].

> Le principe du choix de la loi applicable

L’employeur et le salarié peuvent choisir la loi applicable au contrat de travail international[6]. Elle peut être celle d’un pays qui n’appartient pas à l’Union européenne[7] : c’est le principe de la loi d’autonomie.

Ce choix peut être clairement indiqué dans le contrat de travail ou peut se déduire de ses termes[8], et peut concerner tout ou partie du contrat (pratique du dépeçage du contrat)[9].

> La loi applicable à défaut de choix

À défaut de choix, il convient d’appliquer :

  • la loi du pays où le salarié travaille habituellement (i.e. le pays dans lequel le travail est habituellement accompli) – attention, le détachement et l’expatriation sont considérés comme temporaires, ainsi, même lorsqu’un nouveau contrat est signé localement, la loi applicable resterait la loi française du contrat initial[10] ;
  • à défaut, la loi du pays à partir duquel le salarié travaille habituellement (hypothèse du routier, on retient le pays d’envoi)[11] ;
  • à défaut, la loi du pays d’embauche (établissement où a été effectué l’embauche, et non celui qui emploie effectivement le salarié)[12];
  • ou la loi du pays ayant des liens étroits, qui découle de la commune intention des parties[13].

> Les limites découlant des dispositions impératives et des lois de police

Quelle que soit la loi explicitement ou implicitement choisie, le contrat de travail reste soumis aux dispositions impératives de la loi qui aurait été applicable à défaut de choix[14].

Ces règles protectrices dites « objectivement applicables » le sont uniquement si elles sont plus favorables au salarié (ce qui est généralement le cas pour les salariés envoyés à l’étranger par des entreprises françaises, le Code du travail français offrant un « bon » niveau de protection)[15].

Il est important de préciser que c’est au salarié d’invoquer le caractère plus favorable de la loi française sur le point de droit particulier qu’il soulève. Il est donc fondamental de connaitre les droits découlant de la loi française même lorsque l’on est à l’étranger.

De surcroit, il existe des lois de police dont le respect est jugé capital par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics. Elles se voient respectées, peu important la loi applicable au contrat[16].

Si les relations contractuelles n’entrent pas dans le champ d’application du règlement Rome I

Lorsque la situation n’entre pas dans le champ d’application du règlement européen Rome I et qu’elle comporte un élément d’extranéité, le contrat est régi par la loi choisie par l’employeur et le salarié. Elle peut être la loi du lieu d’exécution du travail, de conclusion ou du domicile de l’une ou l’autre des parties.

Si les parties sont restées muettes, c’est la loi du pays d’accueil qui s’applique[17]. Si le salarié exerce ses fonctions dans plusieurs pays, c’est la loi du pays dans lequel il effectue ses fonctions principales qui s’impose[18].

Encore une fois, quelle que soit la loi appliquée, les conventions internationales et les lois impératives du pays d’exécution doivent être respectées.

Ainsi, avant d’envoyer un salarié à l’étranger, n’oubliez pas de vous renseigner, en fonction des nationalités en jeu, sur les règles impératives du pays d’accueil !

 

Eléonore Vanrechem & François Legras

[1] Cass. Soc., 16 mai 1990, n° 86-43.356

[2] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », JOUE L 177 du 4 juillet 2008

[3] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », considérants n° 45 et 46

[4] Convention de Rome, 19 juin 1980, JOCE L 66 du 9 octobre 1980, article 6

[5] Ibid

[6] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », articles 3 et 8

[7] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », article 2

[8] Cass. Soc., 19 janvier 2017, n° 15-20.095

[9] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », article 3

[10] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », article 8.2 et considérant 36 ; Cass. Soc., 9 octobre 2001, n° 00-41.452

[11] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », article 8.2

[12] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », article 8.3 ; CJUE, 15 décembre 2011, affaire 384-10

[13] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », article 8.4 ; CJUE, 12 septembre 2013, aff. C-64/12 ; Cass. Soc., 29 septembre 2010, n° 09-68.851

[14] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », article 8

[15] Cass. Soc., 28 janvier 2015, n° 13-14.315 ; 9 juillet 2015, n° 14-13.497

[16] Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I », articles 9.1 à 9.3

[17] Cass. Soc., 10 décembre 1996, n° 93-44.926

[18] Cass. Soc., 16 juin 1998, n° 97-41.583

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