La désobéissance européenne prônée par Jean-Luc Mélenchon et ses alliés communistes, socialistes et écologistes nourrit à raison la controverse depuis la constitution de la NUPES en vue des élections législatives du mois de juin prochain. Il s’agit du rejet de la primauté du droit européen, pierre angulaire de toute la construction européenne. La primauté du droit européen sur le droit national a été consacrée par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) au début des années 1960 : s’il y a conflit entre le droit national et le droit européen, c’est le droit européen qui prévaut. Cela concerne l’ensemble du droit national, y compris constitutionnel, et les actes des pouvoirs législatifs, mais aussi exécutifs et judiciaires des Etats membres. C’est sur la base de la primauté du droit européen que l’œuvre juridique de l’Union s’est affirmée. C’est aussi de la primauté que sa pérennité dépend et avec elle nombre de droits et acquis entrés depuis des années, des décennies parfois, dans nos vies quotidiennes.
Le respect du droit européen repose sur une volonté commune. Cette volonté est solide, mais elle peut être ébranlée si un Etat, voire plusieurs, décidait par hostilité à l’Union européenne, par idéologie ou par protectionnisme de ne plus appliquer le droit. La Hongrie et la Pologne s’y essaient sur l’Etat de droit depuis ces dernières années, se heurtant à l’opposition des autres Etats membres. Si demain, en raison des choix d’un gouvernement dirigé par Jean-Luc Mélenchon, la France s’avisait à son tour de ne plus appliquer le droit européen, le risque d’un effondrement de l’ordre juridique européen deviendrait sérieux. La boîte de Pandore serait ouverte. Un Etat, puis un second et un troisième pourraient suivre, chacun y allant de sa liste d’opt out. Il ne faudrait pas longtemps pour que l’inapplication du droit devienne une redoutable réalité pour nous tous. Car le droit européen n’est pas désincarné. Par l’égalité de traitement qu’il consacre, il protège tous les citoyens, et en particulier ceux dont la vie s’inscrit entre plusieurs pays, comme les Français à l’étranger.
Durant mon parcours d’élu, je me suis battu des années durant pour obtenir l’application du droit. J’ai partagé des combats qui sont allés parfois jusque devant des tribunaux nationaux et la CJUE. Je pense par exemple à l’accès des étudiants étrangers aux prestations sociales non-contributives en Belgique, à la jurisprudence de Ruyter sur la CSG et la CRDS pour les contribuables non-résidents, à la reconnaissance des diplômes et des périodes de formation professionnelle, à l’accès aux soins chirurgicaux à l’étranger ou à la fiscalité discriminatoire sur les retraites complémentaires étrangères en Allemagne. Je suis intervenu auprès des autorités françaises. Je l’ai fait aussi auprès des autorités allemandes, autrichiennes ou belges. J’ai agi en toute indépendance pour combattre la discrimination fondée sur la nationalité, affrontant des logiques comptables, protectionnistes et bien souvent peu généreuses. Je l’ai fait aussi en confiance, sachant pouvoir trouver dans la primauté du droit européen l’atout essentiel pour aller chercher le succès. Et ce fut bien souvent le cas.
Instruit par cette expérience, je sais combien la déconstruction du droit européen ruinerait l’égalité de traitement, à commencer par celle bénéficiant aux Français à l’étranger. Le souverainisme n’est pas altruiste. C’est tout le droit européen de la sécurité sociale qui pourrait ainsi être menacé, en d’autres termes le droit de millions d’Européens vivant et travaillant dans un autre pays que le leur à la coordination des périodes d’assurances dans le calcul et la liquidation de leurs retraites et aussi pour l’accès aux prestations sociales. Le Brexit a montré combien la xénophobie peut habiller la législation dès lors que le droit européen s’efface. La réalité de nos vies à l’étranger, y compris même hors de l’Union par les législations dérivées de la citoyenneté européenne, comme la protection consulaire européenne, dépend du respect absolu de la primauté du droit européen. Il faut dire ce que nous risquerions individuellement de perdre comme Français à l’étranger si Jean-Luc Mélenchon, parvenu aux responsabilités, s’affranchissait du droit européen.
Jean-Luc Mélenchon imagine que, le verbe haut, il impressionnera la Commission européenne et les Etats membres. Et que chacun, intimidé, respectera la souveraineté de la France et la déconstruction du droit européen qui en découlera. Rien n’est plus faux. La Commission, comme elle l’a fait à l’encontre de la Pologne et de la Hongrie, engagera à raison les mesures en manquement, développera les lettres de mise en demeure et saisira la CJUE, laquelle condamnera la France à des amendes ou des astreintes par jour de non-application du droit. Il en ressortira une chose, outre la difficulté pour des millions de citoyens : le discrédit durable pour notre pays, la chute libre de son influence politique et de son leadership à l’échelle européenne. La France, Etat fondateur de l’Union européenne, ne mérite pas d’être renvoyé au niveau d’incurie et de duplicité des gouvernements du PiS et du Fidesz, de Kaczynski et d’Orban. Elle ne peut alimenter le risque et l’injustice. La désobéissance européenne serait une mesure funeste pour tous les Européens. Combattons-la !
Pierre-Yves Le Borgn’