Français à l’étranger (F.A.E.): Excellence, pourriez-vous vous présenter ?
Ali Bin Fetais Al-Marri (A.A): Je suis avant tout un homme de droit et de lettres. J’ai eu l’immense honneur d’être envoyé par l’État du Qatar en France dans les années 1990 pour « faire mon droit », comme disent les français. Alors jeune citoyen d’un État institutionnellement neuf et porteur d’espoir, lui aussi fruit d’une riche histoire civilisationnelle, mes études parisiennes de doctorat à la Sorbonne m’ont marqué à jamais.
Ayant lié des amitiés sincères à Paris et y ayant forgé une grande partie de mon réseau et de mon mécanisme intellectuel au sens philosophique du terme, il m’est difficile d’observer, et encore plus de supporter, l’anesthésie des rêves chez les plus jeunes. L’annihilation des espoirs, des ambitions et de la fierté, chose totalement impossible en France, est la voie la plus destructrice que je connaisse. Elle constitue le véritable esclavage. Les hommes, depuis toujours, ne se sont-ils pas élevés par la force des arts et des lettres ? C’est dans ce constat que prennent corps mes engagements les plus sincères, aussi bien en tant qu’homme d’État, que praticien du droit ou que professeur d’université.
De la place du Panthéon, en haut de la montagne Sainte-Geneviève, lieu noble de savoir, au palais de l’Élysée, rue du Faubourg-Saint-Honoré, lieu stratégique de pouvoir, je n’oublie jamais la citation de Voltaire : « La morale est la même chez toutes les nations civilisées, tandis que les usages les plus consacrés chez un peuple paraissent aux autres ou extravagants ou haïssables. Les rites établis divisent aujourd’hui le genre humain, et la morale le réunit. » La plume acérée et sans concession de Voltaire me semble rappeler utilement que l’esprit des Lumières, loin d’être dépassé ou même éculé, demeure une clé réelle pour résoudre les maux du siècle. Mes propres déambulations parisiennes, physiques et intellectuelles, ont toujours pris la forme de phases d’observation des Français et de leur littérature, et m’ont appris à cultiver un très grand sens critique.
F.A.E: Pourriez-vous nous donner votre vision stratégique concernant la francophonie au Qatar ?
A.A: Le Qatar présente depuis toujours une sensibilité spéciale vis-à-vis de la France. Architectes, chercheurs, entrepreneurs et artistes français sont heureux d’avoir la possibilité d’exprimer leurs talents au Qatar. Et la réciproque est vraie ! L’intérêt des Qatariens pour la langue et la culture françaises est considérable. La diplomatie bilatérale a ses propres raisons, bien entendu, mais je crois que la France devrait prêter plus d’attention aux égards que lui montrent le Qatar et sa population… Rendez-vous compte, il existe dans le pays deux lycées français. Je préside l’un d’eux, le Lycée Voltaire. Malgré cela, jusqu’en 2021, aucune possibilité de faire des études supérieures en langue française n’était offerte aux bacheliers du système français.
Cette lacune est désormais comblée puisque, avec les équipes de l’Université de Lusail que je préside également, nous avons implanté l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au Qatar. Les étudiants nationaux et résidents du Qatar ont aujourd’hui l’opportunité de faire des études de droit exigeantes et prometteuses en langue française sans quitter le pays. Et ce n’est que le début, car d’autres établissements français parmi les plus prestigieux vont s’associer à l’Université de Lusail dans les prochains mois.
F.A.E: Quel peut être le rôle du Qatar dans cet accompagnement des francophones ambitieux ?
A.A: Tout d’abord, je voudrais leur dire qu’ils ont tout à fait raison d’exiger le meilleur. Il y a près de 300 millions de francophones dans le monde aujourd’hui, et les anticipations les plus folles estiment que le français pourrait être la langue la plus parlée dans le futur. Ainsi, la compétition ne cesse de croître et les enjeux de la formation sont actuellement démultipliés.
Le Qatar présente bien évidemment de nombreux atouts face à une telle demande. Pays politiquement stable où les pouvoirs publics investissent lourdement dans le savoir, il doit être en toute logique une destination phare pour la jeunesse française. Il ne fait aucun doute qu’une éducation « à la française » dans un pays très avancé économiquement et technologiquement offre les meilleures garanties de succès et d’épanouissement.