« Plein notre assiette » : c’est de la campagne lancée à l’automne 2022 par l’association Restaurant Canada pour remettre sur pied le secteur des services alimentaires, durement touché par la pandémie, qui pointe du doigt l’importante pénurie de main-d’œuvre. Statistiques Canada a même relevé, en octobre 2022, que 8.5% des postes étaient vacants dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Et si le nombre d’offres a baissé de 169 770 en juin à 123 620 quatre mois plus tard, sur le terrain les candidatures se font toujours rares.
C’est le constat d’Olivier Perret, chef exécutif de Renoir au Sofitel Montréal Le Carré Doré. Depuis plus de trois mois, un poste de sous-chef est ouvert dans sa brigade mais ne trouve pas preneur. « Nous travaillons dans un restaurant gastronomique d’inspiration française. Pour réaliser les plats à la carte, il faut un bagage technique si on veut maintenir un service haut de gamme. Mais les jeunes qui sortent des écoles hôtelières ici n’ont que des bases minimum. » Un problème qu’il est allé porter à l’attention de Christopher Weissberg, député français de la circonscription d’Amérique du Nord, en lui demandant d’essayer de trouver des solutions pour « arriver à faire rentrer plus de PVTistes et de gens qualifiés au Québec, plus rapidement ».
Car la longueur de l’obtention de permis de travail, entre trois et six mois, est mise en cause. Les professionnels du Québec comptent aussi et surtout sur une mise à jour administrative qui a placé certains métiers de bouche et du secteur de l’hôtellerie sur la liste des emplois prioritaires à l’immigration. « Elle simplifie les démarches en réduisant les délais de délivrance car l’employeur n’a pas besoin de prouver qu’il a cherché localement un citoyen canadien ou résident permanent pour occuper ce poste », précise Me Alexandre Henaut, avocat au barreau du Québec.
Surenchère salariale
À la tête d’Ô Petit Paris, une boulangerie fondée en 2020 qui a gagné le prix de la meilleure baguette de Montréal, Maxime Mottier ajoute : « On est obligé de se tourner vers nos compatriotes car on ne trouve pas de personnel. En près de deux ans, je n’ai jamais reçu le CV de quelqu’un qui avait étudié ici. » Ses boulangers français sont rémunérés entre 20 à 24 dollars de l’heure, en majorité sous permis fermé de deux ans, comme celui dit de « Jeunes Professionnels » pour éviter un turnover trop important.
Une volatilité qui profite aussi à la surenchère salariale, « plus 5 dollars de l’heure », constate Julien Reignier, le patron de Point G, fabricant de macarons depuis quinze ans au Québec. Pour garder sur le long terme ses précieux pâtissiers, notamment « les Français expérimentés qui ont une aptitude à diriger de petites équipes et à transmettre leur savoir-faire », il accompagne ceux qu’il embauche dans la recherche d’un logement et dans leur demande de résidence permanente. « J’assume les frais de leur immigration. Il faut compter entre 5000 et 6000 dollars en passant par une organisation fiable qui va rassurer l’employé. »
Depuis dix ans qu’il tient le bistrot Batifole Gourmand à Toronto, capitale de l’Ontario, Pascal Geoffroy se félicite d’avoir des effectifs qui restent longtemps, « au minimum cinq ans ». En plus de conditions de travail améliorées comme deux semaines de vacances supplémentaires, il sait que cette fidélité tient aussi à l’aide qu’il a pu fournir à certains membres de sa brigade dans l’acquisition de titres de travail, notamment via le programme Mobilité francophone. Utilisé pour encourager l’immigration hors du Québec, ce permis, contre 230 dollars, « dispense les employeurs de l’étude d’impact sur le marché du travail habituellement obligatoire pour embaucher un travailleur étranger », peut-on lire sur le site du gouvernement du pays de l’Erable. « Les ressortissants étrangers sont admissibles, quel que soit le pays ou le groupe d’âge, en autant qu’ils parlent le français couramment. » Un sésame pour embaucher des ressortissants de l’Hexagone !