La France a fêté en 2022 ses trois décennies de coopération avec les autorités cambodgiennes pour la restauration, la conservation et la valorisation des temples d’Angkor, situés dans le nord-ouest du Cambodge. Son rôle sur le site est prépondérant : elle copréside avec le Japon le comité international de coordination pour la sauvegarde et le développement du site historique d’Angkor depuis sa création il y a trente ans. À la tête de la mission du patrimoine mondial au ministère de la Culture français, Bruno Favel revient sur cette coopération qui fait aujourd’hui figure de modèle.
Français à l’étranger: Quand la mission du patrimoine mondial a-t-elle été créée ? Quel est son rôle ?
Bruno Favel: La mission du patrimoine mondial met en œuvre et suit la bonne exécution des obligations de l’Etat résultant de l’inscription des biens culturels sur la liste du patrimoine mondial par l’Unesco. Elle veille à la bonne mise en œuvre de la convention du 16 novembre 1972 (cette convention engage les États signataires à protéger les sites et les monuments dont la sauvegarde concerne l’humanité, ndlr). À ce titre, la mission du patrimoine mondial assure le suivi de la coopération avec le site d’Angkor, au Cambodge, inscrit au patrimoine mondial, une coopération mise en place en 1991, dans le cadre des accords de Paris.
Français à l’étranger: Pourriez-vous brosser l’historique de cette coopération avec le Cambodge ?
Bruno Favel: Des chercheurs français sont présents sur le site d’Angkor depuis cent cinquante ans. D’abord à travers l’École française d’extrême-orient qui opérait sur place entre le XIXe siècle et les années 70. Cette présence s’interrompt pendant la période des khmers rouges mais reprend en 1991, lors du retour du roi Norodom Sihanouk. La signature des accords de Paris cette même année reconnait le patrimoine comme un élément structurant de la reconstruction du pays et permet la reprise d’une coopération qui se poursuit jusqu’aujourd’hui.
Français à l’étranger: La France a joué un rôle particulièrement important à Angkor au début des années 90. Quel est-il ?
Bruno Favel: À partir de la conférence de Tokyo de 1993, la communauté internationale se mobilise pour prendre en charge la restauration, la conservation et la valorisation des temples d’Angkor, alors en péril. Elle est soutenue par plusieurs personnalités cambodgiennes : l’architecte Vann Molyvann, l’ancien ministre de la Culture Narang Nouth, Kérya Chau Sun, qui travaille toujours sur la valorisation d’Angkor, mais aussi Phoeurng Sackona, actuelle ministre cambodgienne de la Culture et des Beaux-Arts. Le ministère français de la Culture a fortement contribué à cet effort en favorisant la montée en compétences des équipes cambodgiennes. Grâce à l’École de Chaillot et au Centre régional de formation aux métiers du patrimoine, basé au Cambodge, près de 80 architectes ont été formés, cambodgiens mais aussi vietnamiens et laotiens.
Français à l’étranger: Outre le lien qui unit les deux pays, quelles sont les particularités du site d’Angkor qui ont amené la France à s’engager autant dans ces travaux ?
Bruno Favel: Ce site recouvre 400 km2 et a été construit entre le VIIe et le XIVe siècle, avec une apogée et un déclin. À son apogée, on y trouvait une ville bien entretenue avec des rues, des commerces, des voiries, des adductions d’eau, etc. Plusieurs religions, comme le bouddhisme et l’hindouisme, s’y sont succédé, ce qui le rend unique. Contrairement à ce qu’on entend souvent, ces temples n’ont jamais été totalement abandonnés : des cultes s’y sont toujours maintenus, en particulier le culte bouddhique.
Français à l’étranger: Quel rôle joue aujourd’hui la France sur le site d’Angkor ?
Bruno Favel: Outre son engagement sur le chantier, la France copréside le comité international de coordination (CIC) des temples d’Angkor avec le Japon. Au total, 25 pays sont aujourd’hui présents sur le site : la Corée du Sud, l’Inde, la Chine, l’Australie, l’Allemagne, etc. Chacun travaille sur un ou plusieurs monuments. La France s’est ainsi d’abord occupée du temple du Baphuon avant d’être chargée du Mebon occidental. Les membres du CIC doivent s’engager à la fois sur des financements et sur la mise à disposition d’experts chargés de conserver et restaurer un monument pendant plusieurs années.
Français à l’étranger: Qui fait aujourd’hui partie de l’équipe française présente sur place ?
Bruno Favel: L’équipe se compose d’un conducteur de chantier et d’un archéologue. Un architecte en chef des monuments historiques et un économiste du patrimoine se rendent par ailleurs régulièrement au Cambodge pour conseiller l’équipe. Il s’agit d’un travail conjoint entre l’autorité pour la protection du site et l’aménagement de la région d’Angkor (Apsara), le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le ministère de la Culture et l’ambassade de France de Phnom Penh. Nous espérons que ce chantier sera définitivement terminé fin 2023.
Français à l’étranger: Une fois le chantier du Mebon occidental achevé quelles seront les prochaines étapes ?
Bruno Favel: Nous continuerons bien entendu nos actions de formation. Nous souhaitons par ailleurs valoriser tout le travail réalisé depuis une décennie, notamment à travers un projet d’exposition dédié à la divinité Vishnou dont on a retrouvé la statue sur le site. Cette statue très abimée doit être restaurée avant de pouvoir concrétiser ce projet.
Français à l’étranger: Comment les Cambodgiens sont-ils formés par l’équipe française sur le chantier ?
Bruno Favel: Les professionnels apprennent beaucoup par la pratique, par les gestes, mais également par des cours qui sont donnés sur place. Un centre de formation existe au sein de l’Apsara. Nous avons par ailleurs créé en 2018 un module de formation à distance en khmer et en français sur la manière de conserver et restaurer un monument. Environ 530 professionnels français et cambodgiens sont intervenus.
Français à l’étranger: Ces chantiers permettent-ils d’alimenter régulièrement des expositions en France ?
Bruno Favel: Il y a eu plusieurs grandes expositions à Paris, notamment au Grand Palais et au musée Guimet qui ont permis aux Français et au monde entier de renouer avec les statues et sculptures des temples d’Angkor. Ces expositions ont eu le mérite de rendre plus visible et accessible la civilisation khmère.
Français à l’étranger: Quelles sont aujourd’hui les perspectives du Cambodge pour le site d’Angkor ?
Bruno Favel: Il y a au Cambodge des temples sur-fréquentés – comme celui d’Angkor Vat par exemple – et d’autres qui ne le sont absolument pas. Le but des autorités cambodgiennes est donc de trouver un équilibre. Quant à la conservation, le Cambodge est aujourd’hui présenté comme un modèle pour la préservation d’un site du patrimoine mondial de l’Unesco.
>> Le CIC a fêté ses 30 ans à Paris en juillet 2022
Le 21 juillet 2022, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères accueillait à Paris la « réunion de bilan des trente ans de présidence franco-japonaise du comité international de coordination (CIC) dédié au site universel d’Angkor ». À l’issue de cette réunion, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères indiquait dans un communiqué que pour sa quatrième décennie d’existence, ce comité travaillera « sur le renforcement de l’autonomie des institutions cambodgiennes en charge de la gestion du patrimoine, ainsi que sur l’élargissement des pays et institutions contributeurs ». Le communiqué précisait par ailleurs que « les enjeux liés au changement climatique, à la pénurie des ressources naturelles, la nécessité de réguler les flux touristiques et de répondre aux problèmes de pollution seront au cœur du développement futur du site d’Angkor ».