« Il est grand temps de regarder ces enfants comme une chance plutôt que comme une contrainte pour le réseau » : voilà ce qu’estimait Corinne Truffier, référente handicap de la Fédération des associations de parents d’élèves des établissements d’enseignement français à l’étranger (Fapee) lors du webinaire organisé le 16 mars 2023 par la plateforme Reflexes. La thématique ? « L’inclusion et le bien-être des élèves à besoins éducatifs particuliers ».
Un réseau « très inégalitaire en termes d’accompagnement »
En amont de ce rendez-vous auquel participaient différents acteurs de l’écosystème éducatif français à l’étranger, Reflexes avait lancé une consultation pour évaluer les besoins ressentis en la matière au sein du réseau. Premier constat : plus de la moitié des répondants sont des parents d’élèves, et près de 80% déclarent être confrontés à des « problématiques de besoins éducatifs particuliers ». Si 78% des répondants confirment qu’il existe des dispositifs de prise en charge de ces élèves dans leur établissement, seulement 40% en sont satisfaits. « Le réseau est très inégalitaire en termes d’accompagnement, certains établissements bénéficient d’avantages beaucoup plus conséquents que les autres », confirme Samantha Cazebonne, sénatrice des Français établis hors de France et qui est à l’origine de la plateforme Reflexes.
Pour pallier ces inégalités, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) a créé aux côtés de la Mission laïque française (MLF) une instance visant à améliorer le système scolaire et à favoriser l’inclusion : l’Observatoire pour les élèves à besoins éducatifs particuliers (Obep). Selon la référente égalité de l’AEFE, Raphaëlle Dutertre, il permet notamment « d’identifier les axes prioritaires de progrès », de « mutualiser les bonnes pratiques d’un établissement » ainsi que de « renforcer le dialogue entre tous les acteurs ». Elle rappelle également que si à la création de l’Obep seuls les élèves à besoins particuliers de nationalité française étaient concernés par l’encadrement du réseau, ce champ de préoccupation s’est élargi en 2021 à tous les élèves des établissements français à l’étranger, quelle que soit leur nationalité.
La formation de tous les acteurs
La création de cet observatoire a aussi donné lieu à la mise en place d’une formation à destination des personnels des établissements français à l’étranger. Elle leur permet d’avoir des clés pour accompagner au mieux un élève à besoins éducatifs particuliers : savoir l’encadrer et l’intégrer mais avant tout l’identifier. « Nous allons livrer ce parcours pour l’été 2023, se réjouit l’inspecteur pédagogique de l’AEFE, Alain Trintignac. Nous savons que la demande d’inscriptions pour cette formation sera au rendez-vous. »
Elle pourrait même excéder les attentes, selon Corinne Truffier : « Je pense qu’il faudra, en temps voulu, élargir cette formation aux parents d’élèves. Pendant très longtemps les parents ont été les moteurs des politiques inclusives. Ce sont eux qui allument la petite étincelle pour que les chefs d’établissements lancent de nouvelles initiatives. » Certaines familles pourraient néanmoins se montrer plus réticentes : « Les parents dont les enfants ne présentent pas de besoins éducatifs particuliers peuvent parfois constituer des freins à ces politiques », prévient la spécialiste.
Le défi du financement des AESH
Faire en sorte que l’ensemble des parents s’empare du sujet constitue néanmoins un enjeu crucial dans la mesure où, dans les établissements français de l’étranger, « les parents sont les employeurs », rappelle Dominique Collado, représentante de la MLF. Si près d’un tiers du financement des lycées français à l’étranger provient d’aides gouvernementales, ils fonctionnent en majorité grâce aux frais de scolarité payés par les familles chaque année. Et pour les familles qui nécessitent un aménagement pour leurs enfants à besoin éducatif particulier, notamment les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap), il a fallu attendre 2019 pour que l’État mette en place des aides pour payer ce type d’accompagnement. Initialement prévu pour les familles françaises boursières uniquement, le dispositif a été élargi en 2021 à toutes les familles françaises sans condition de bourse.
Le dispositif présente néanmoins des limites : la plupart des élèves n’étant pas Français, « le problème de la prise en charge persiste », selon la représentante MLF. Quant aux familles qui bénéficient des aides pour les AESH, elles se voient obligées de payer en avance, avant de demander un remboursement. « Le financement actuel n’est pas optimal, observe Samantha Cazebonne. On ne peut plus se permettre de ne pas rembourser immédiatement ces familles. » En 2022, le gouvernement a consacré 1,3 million d’euros aux Français de l’étranger pour les aides AESH. « L’ensemble du montant a été dépensé […] et on ne sait pas si ce sera suffisant en 2023 », note Raphaëlle Dutertre.
Détecter et accompagner les élèves
L’enjeu du financement concerne également les projets de recherche dans le domaine de l’inclusion. Le représentant de la MLF Samuel Cazenave évoque les fonds mobilisés par l’État pour le développement d’un outil numérique permettant de détecter les besoins des élèves, notamment ceux des élèves à besoins éducatifs particuliers. Encore au stade d’expérimentation, Lisa (Learning through iterative system for social and emotional achievement) est un projet de plateforme numérique qui a pour ambition de mieux « qualifier les profils des élèves à travers une grille de lecture et de compréhension ». Son déploiement est prévu sur cinq ans dans le réseau éducatif national et à l’étranger. Le développement de cet outil reposera sur une multitude de critères : le comportement, les émotions, la cognition mais aussi la santé, la nutrition, etc.
L’outil doit à terme permettre aux acteurs de l’éducation d’adapter leurs méthodes d’accompagnement ainsi que l’environnement de travail pour les élèves à besoins particuliers. « Lisa est basé sur des données probantes : l’environnement, mais aussi l’interprétation que les enfants en tirent ont un impact direct sur leur motivation à l’école », confirme Emmanuel Bernet, docteur en psychologie de l’éducation.