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Laetitia Dive
19 avril 2023

« Nous espérons dépasser la barre des 400 000 élèves dans le réseau à la rentrée 2023 » (MEAE)

« Cap 2030 » : où en est-on ? Le point avec Mathieu Peyraud, directeur de la culture, de l'enseignement, de la recherche et du réseau au ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Français à l’étranger: L’objectif du doublement du nombre d’élèves dans le réseau d’ici 2030 se poursuit : où en est-on ?

Matthieu Peyraud: Cinq ans après que l’objectif a été fixé, nous constatons que le développement de l’enseignement français à l’étranger se confirme, et cela malgré la crise sanitaire qui a eu un impact très lourd sur la vie des établissements. Non seulement nos écoles ont été soutenues et ont survécu à cette crise, mais en plus, le réseau a continué à croître. Nous comptons aujourd’hui 567 établissements, soit 72 de plus qu’il y a cinq ans, et le taux de croissance annuel du réseau s’établit aujourd’hui à 3%. Nous constatons un dynamisme particulièrement visible en Égypte, au Maroc et aux Émirats arabes unis. Dans une moindre mesure, la demande d’un enseignement français continue de croître également en Afrique subsaharienne : c’est le cas en Côte d’Ivoire ou au Sénégal.

390 000 élèves effectuaient leur rentrée dans l’un des établissements du réseau en septembre 2022. L’objectif de la rentrée 2023 est-il fixé ?

Matthieu Peyraud: Nous ne fixons pas d’objectif quantitatif global par année. Chacun des 567 établissements du réseau connaît sa propre croissance, ses avancées mais aussi ses difficultés, parfois liées au contexte international, qui viennent freiner son développement. Ces derniers mois, nous avons ainsi passé beaucoup de temps à épauler les établissements que nous avions en Russie, en Ukraine, au Mali, au Burkina Faso, en Haïti mais aussi en Chine où les restrictions liées à la crise sanitaire se sont poursuivies jusqu’à récemment. Sans fixer d’objectif, je peux simplement dire que nous espérons dépasser la barre des 400 000 élèves dans le réseau à la rentrée 2023.

Comment travaillez-vous aujourd’hui dans les pays en conflit, notamment en Ukraine ?

Matthieu Peyraud: L’État joue tout son rôle pour protéger l’établissement Anne de Kiev et lui permettre de survivre à un conflit dont on ne connaît pas la fin. Des mécanismes de solidarité ont été mis en place au sein du réseau afin de permettre aux 70 élèves restés sur place -sur les 450 inscrits avant le conflit- de poursuivre leur scolarité. L’enseignement doit régulièrement basculer en distanciel mais, lorsque les autorités ukrainiennes le permettent, les cours reprennent au sein de l’établissement, sachant qu’il dispose d’abris.

Qui sont aujourd’hui les principaux concurrents des établissements français à l’étranger ?

Matthieu Peyraud: Le marché de l’éducation internationale est dominé par les écoles anglo-saxonnes avec cinq millions d’élèves. Les Français vivant dans des pays anglophones sont d’ailleurs souvent tentés de mettre leurs enfants dans ces établissements. Or, on enseigne aussi très bien l’anglais dans les établissements du réseau français. Ensuite, les établissements privés locaux ont également un très bon niveau dans certains pays et peuvent grignoter des parts de marché : c’est le cas en Espagne notamment. Enfin, les écoles publiques sont également des concurrentes dans d’autres régions du monde.

Face à cette concurrence, quels atouts les établissements français peuvent mettre en avant pour faire venir davantage d’élèves ?

Matthieu Peyraud: Les élèves qui sortent des établissements du réseau ont un niveau en langues très supérieur à la moyenne nationale. Ils y étudient en français, apprennent aussi au moins l’anglais et la langue du pays de résidence : à la sortie, ils maîtrisent donc a minima trois langues, de manière approfondie s’ils ont en plus choisi de suivre une section internationale. La scolarisation dès la maternelle séduit aussi beaucoup de parents, il s’agit d’une spécificité française reconnue. Nos établissements favorisent par ailleurs l’inclusion, via des bourses scolaires -sachant que les lycées français sont toujours moins chers que ceux de la concurrence anglo-saxonne- mais aussi des dispositifs spécifiques pour les élèves atteints de handicap.

« L’éducation à la française » autour de la transmission des valeurs de la République, et la qualité de l’enseignement que nous proposons grâce à des professeurs formés en continu, sont également salués par les familles qui nous confient leurs enfants. Autre atout : la possibilité de réaliser ses études supérieures sur le territoire national pour les élèves français comme étrangers nous permet d’attirer un public varié. Enfin, notre réseau permet à des parents qui passent d’une expatriation à une autre de facilement retrouver une école pour leurs enfants, qui peuvent bénéficier d’une véritable continuité dans leur scolarité.

Le baccalauréat français international (BFI) a été lancé en 2022 : de quoi s’agit-il ? Comment ce dispositif peut-il rendre le réseau plus concurrentiel ?

Matthieu Peyraud: Ce projet est porté par le ministère de l’Éducation nationale et favorise l’éducation bilingue. Les élèves qui préparent cet examen suivent des cours spécifiques dans une langue autre que le français, en plus de la préparation des épreuves classiques du baccalauréat. Il s’agit à la fois de cours de langue (anglais, arabe, chinois, espagnol, etc.) et de cours de disciplines thématiques (sciences, histoire, etc.) donnés dans la langue choisie. Le bachelier qui obtient son BFI américain a ainsi un niveau de français comparable au bachelier français, et un niveau d’anglais équivalent à celui de ceux qui terminent le secondaire aux États-Unis. Les élèves titulaires d’un BFI peuvent d’ailleurs faire reconnaître leur diplôme par le système d’enseignement partenaire, car ces filières sont fondées sur des accords de reconnaissance avec les différents pays. Les premiers candidats au BFI sortiront diplômés en 2024.

L’Éducation nationale a aujourd’hui du mal à recruter et fidéliser les enseignants. Dans quelle mesure le réseau de l’AEFE en pâtit ?

Matthieu Peyraud: Le réseau est très attractif : les professeurs souhaitant être détachés sont nombreux, sachant que les conditions de détachement se sont améliorées récemment, avec une prise en charge des frais liés au changement de résidence. Néanmoins, la pénurie d’enseignants en France oblige le ministère de l’Éducation nationale à arbitrer entre les besoins sur le territoire national et les demandes de détachement. Ces décisions sont prises de manière déconcentrée, au niveau des académies, certaines étant plus déficitaires que d’autres. Mais à partir du moment où le réseau se développe, il pourrait sembler logique que le nombre de professeurs détachés augmente, afin d’assurer ce développement Pour l’heure, le réseau de l’AEFE dispose chaque année d’environ 5500 professeurs détachés.

L’inflation sévit partout dans le monde et pénalise lourdement les professeurs recrutés localement. Comment l’État agit-il ou compte-t-il agir pour soulager ces travailleurs d’un point de vue financier ?

Matthieu Peyraud: Une série de décisions a été prise dans les établissements en gestion directe -où l’AEFE est l’employeur- pour augmenter les rémunérations au cas par cas, en fonction du coût de la vie dans chaque pays. Dans les établissements conventionnés ou partenaires -où l’employeur est le comité de gestion- des arbitrages mettant en perspective l’augmentation du coût de la vie et les finances de l’établissement ont également eu lieu, permettant dans un certain nombre de cas d’augmenter les salaires. Nous sommes par ailleurs particulièrement attentifs aux pays qui connaissent une hyperinflation : l’ajustement entre les frais d’écolage, la rémunération des personnels et les charges fixes de l’établissement y est permanent. Le cas le plus délicat est celui du Liban. Dans ce pays, notre priorité est de conserver les enseignants et un certain nombre de mesures ont été prises en ce sens, par exemple par les établissements de la Mission laïque française notamment.

Dans quelle mesure l’ouverture récente des instituts régionaux de formation va changer la donne pour la formation des professeurs ?

Matthieu Peyraud: Chaque institut dispose d’un plan régional de formation qui est bâti avec une académie partenaire en France. Cette académie envoie des formateurs aux côtés de ceux de l’AEFE pour assurer, au sein de l’institut, les formations des enseignants -détachés ou locaux- mais aussi des personnels administratifs. Un projet de formation initiale doit par ailleurs être développé pour les personnels locaux dans tous ces instituts. L’idée est de proposer le même niveau de formation qu’en France, avec un petit plus : la dimension interculturelle qui est intégrée à la formation.

L’homologation d’établissements suscite des réticences : certains craignent que celle-ci soit accordée trop facilement à des établissements privés. Que leur répondez-vous ?

Matthieu Peyraud: Le processus d’homologation est très exigeant, il s’agit d’un vrai passage d’examen pour l’établissement. La conformité d’un établissement y est évaluée en fonction de plusieurs critères : programme scolaire, objectifs pédagogiques, politique linguistique, formation initiale et continue des enseignants, locaux adaptés, règles d’organisation telles qu’elles sont appliquées dans les établissements publics français. Seule l’Éducation nationale peut accorder cette homologation au terme d’un contrôle exigeant et d’une visite sur place. L’homologation n’est par ailleurs pas accordée de manière définitive : elle fait l’objet d’un suivi attentif, avec un renouvellement tous les cinq ans. 17 nouvelles homologations ont ainsi été octroyées en 2022, à des établissements qui ont ainsi rejoint le réseau.

Que rôle ont les parents dans la promotion et l’animation du réseau ?

Matthieu Peyraud: Dans les établissements français à l’étranger, les parents d’élèves sont davantage attendus et entendus qu’en France. Ils sont présents dans les instances de gouvernance, la vie de l’établissement, etc. Les fédérations de parents sont par ailleurs représentées au conseil d’administration de l’AEFE : la loi du 28 février 2022 impose d’ailleurs le doublement de cette représentation dans la gouvernance de l’agence.

Un conseil d’orientation interministériel a été créé sous le quinquennat précédent. Quel est son rôle et qui y prend part ?

Matthieu Peyraud: Lorsqu’il se réunit, ce conseil permet de faire le point sur l’état du réseau et de préparer les décisions stratégiques futures favorisant son développement. Il permet un échange entre le ministère de l’Éducation nationale et celui de l’Europe et des affaires étrangères, en lien avec l’AEFE. Dans son format élargi, ce conseil permet aussi de réunir l’ensemble de l’écosystème de l’enseignement français à l’étranger : la Mission laïque française, les groupes comme Odyssey ou IEG, les établissements en gestion parentale, les anciens élèves, les organisations syndicales qui représentent les personnels, etc. Les parlementaires qui représentent les Français établis hors de France et l’Assemblée des Français de l’étranger sont également associés à ces échanges.

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