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Laetitia Dive
24 avril 2023

« Notre rôle de promotion de la culture française doit s'entendre au sens large, au-delà de l'artistique » (Institut français)

À la tête de l'Institut français depuis juin 2021, Eva Nguyen Binh évoque les priorités de l'institution pour les années à venir. Parmi elles, la refonte des relations avec les pays africains et la promotion du débat d'idées afin d'offrir, partout où l'Institut est présent, un espace « de libre circulation des idées et des savoirs ».

Français à l’étranger : L’Institut français existe depuis 1922, les Alliances françaises depuis 1883. Pourriez-vous nous expliquer la différence entre ces entités ?

Eva Nguyen Binh : L’Institut français est une institution du gouvernement français qui vise à promouvoir la culture française à l’étranger, et la coopération culturelle entre la France et les pays étrangers. Il existe une centaine d’Instituts français à l’étranger et un à Paris qui les accompagne dans leurs actions. L’Institut français travaille par ailleurs en étroite collaboration avec les Alliances françaises qui poursuivent les mêmes objectifs et contribuent à la politique culturelle extérieure française. Mais contrairement aux Instituts français, les Alliances sont des associations de droit local. Sur les 800 présentes à travers le monde, environ la moitié est subventionnée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

L’année 2022 a été marquée par la Présidence française de l’Union européenne pendant les six premiers mois de l’année. Comment l’Institut français y a contribué ?

Eva Nguyen Binh : L’année 2022 est la première année pleine de reprise post-Covid. Cette reprise nous a permis de mettre en place un certain nombre de projets artistiques et de débats d’idées dans nos différents « postes » (Instituts français, Alliances françaises, ambassades). Nous avons, entre autres, développé des formats « décryptages » dans le cadre de l’initiative « Café Europa ». Son but ? Faire dialoguer journalistes et citoyens autour de thématiques telles que la liberté de la presse ou l’avenir des médias dans le but de faire face à la montée en puissance des techniques de désinformation. Ces événements ont eu une résonnance particulièrement forte alors que la guerre en Ukraine venait d’éclater, notamment en Pologne, en Roumanie, etc. Malgré un contexte difficile, la quasi-totalité des instituts français de ces pays a souhaité aller au bout de l’initiative, estimant qu’elle était plus essentielle que jamais.

Lutter contre la désinformation fait partie des missions qui vous sont confiées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères ?

Eva Nguyen Binh : Notre rôle de promotion de la culture française doit s’entendre au sens large, au-delà de l’artistique, et le débat d’idées prend en effet de plus en plus de place chez nous. Depuis les Printemps arabes en 2011, nous avons compris qu’une situation peut exploser lorsque les citoyens n’ont aucun espace où s’exprimer. Nous souhaitons offrir cet espace de libre circulation des idées et des savoirs. Cela ne passe pas que par les débats : nous proposons aussi par exemple des programmes permettant de soutenir des entrepreneurs dont l’activité a un impact social. Aujourd’hui, la grande force de l’Institut français réside dans les liens qu’il a su nouer avec les sociétés civiles et le réseau de partenaires qu’il a pu se créer partout dans le monde. Tous ces partenaires ne partagent pas nos idées, mais c’est là tout l’intérêt du débat.

Le sentiment anti-français gagne du terrain en Afrique et l’Institut français en a fait les frais en 2022…

Eva Nguyen Binh : La France a en effet été visée à travers les dégâts causés dans les Instituts français de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso. Tous ces événements ont accéléré la prise de conscience généralisée qu’il faut refonder urgemment nos relations avec ces pays. Le président de la République avait déjà prononcé un discours en ce sens en 2017 à Ouagadougou et, depuis, plusieurs actions culturelles et diplomatiques ont été menées : la saison Africa 2020 -qui s’est finalement tenue en 2021 pour cause de Covid-, ou le nouveau sommet Afrique-France en octobre de la même année. Nous devons poursuivre sur cette voie en 2023 : les Africains veulent des partenariats d’égal à égal et davantage de considération. Pour mettre cela en œuvre sur le terrain de manière systématique, nous avons par exemple réuni mi-mars tous nos conseillers culturels, des directeurs d’Instituts et d’Alliances du continent africain pour travailler sur le sujet pendant deux jours. Tous sont conscients qu’il faut innover pour créer les bases d’une nouvelle relation.

Sur le terrain justement, quelles initiatives ont été mises en place pour renforcer les liens avec la population du continent africain ?

Eva Nguyen Binh : Nous avons lancé en 2022 des forums régionaux de dialogue: les forums « Notre futur – dialogues Afrique-Europe ». Deux ont eu lieu en 2022 : le premier à Johannesburg (Afrique du Sud) en octobre et le second à Yaoundé (Cameroun) en décembre. Ces forums sont destinés à la société civile et plus particulièrement à la jeunesse. Y participent des intervenants du pays hôte, des autres États de la région, et de France. L’objectif est de mieux se connaître, de réfléchir ensemble aux défis communs et d’apporter des solutions concrètes. Ils sont à chaque fois organisés avec des partenaires locaux (universités, associations, etc.). L’Algérie, Maurice et la Côte d’Ivoire accueillent les trois éditions de 2023.

De quelles autres nouveautés pouvez-vous nous parler pour 2023 ?

Eva Nguyen Binh : Le soutien aux entreprises du secteur créatif et culturel constitue pour nous un nouvel enjeu avec le lancement du programme ICC Immersion début 2023 (après une phase de candidatures en 2022, ndlr). Ce programme, qui bénéficie de financements « France 2030 », est destiné aux entreprises françaises du secteur culturel qui souhaitent s’internationaliser ou qui ont commencé à le faire, mais tâtonnent encore un peu. Pour l’heure, le projet est déployé dans quatre pays pilotes : la Corée du Sud, le Royaume-Uni, le Canada et Israël. Ces quatre pays ont été identifiés avec Business France avec qui nous travaillons pour ce projet, ce qui est une nouveauté pour nous. Les professionnels des secteurs ciblés et les ambassades nous ont également accompagné. Toujours en lien avec Business France, nous sélectionnons également les entreprises qui participent au programme, avec l’accompagnement du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et celui de la culture.

En quoi consiste ce programme ?

Eva Nguyen Binh : Le programme se déroule en trois phases. D’abord, les entreprises sélectionnées bénéficient d’une formation à distance sur le marché où elles souhaitent s’implanter avec notamment des modules juridiques, ensuite un déplacement dans le pays avec un programme établi spécifiquement pour les entreprises, et enfin -si les entreprises le souhaitent- un accompagnement individualisé à leur retour. Un déplacement en Corée du Sud a d’ores et déjà eu lieu : une cohorte de quinze entreprises issues de domaines variés (jeux vidéo, design, solutions numériques pour des musées, etc.) a pu rencontrer sur place de nombreux partenaires, découvrir l’écosystème local, obtenir des clés pour rentrer sur le marché coréen. Il s’agissait d’un événement ad hoc, mais il est aussi possible d’inscrire ce déplacement dans le cadre d’un événement existant. Une autre cohorte doit effectuer un voyage similaire au Royaume-Uni en mai, et nous allons par ailleurs annoncer au printemps les pays qui seront inclus dans le programme à l’issue de cette première année pilote.

La transition énergétique et l’égalité entre les femmes et les hommes figurent parmi les priorités de votre mandat : quelles actions sont menées en ce sens ?

Eva Nguyen Binh : Des feuilles de route sur chacun de ces sujets ont été établies à l’automne 2022, nous sommes en train de les mettre en œuvre. Nous allons par exemple faire venir en novembre 2023 des spécialistes culturels de différents pays pour échanger avec nos institutions et nos artistes autour de l’urgence climatique dans le monde de la culture. L’idée est de trouver ensemble des solutions. Aujourd’hui, des clauses climatiques sont par ailleurs fixées pour tous les projets des Instituts et des Alliances françaises. Pour l’heure, le niveau de sensibilisation et d’action est encore très hétérogène selon les postes, et dépendant des initiatives individuelles. Nous souhaitons faire avancer tout le réseau en la matière, quelle que soit l’implication actuelle de chacun.

L’Institut français chapeaute plusieurs résidences d’artistes à travers le monde : ce format a-t-il du succès ?

Eva Nguyen Binh : Nous constatons un regain d’intérêt très fort post-Covid de la part des artistes pour les résidences. Nous avons d’ailleurs à l’Institut Français un programme -« la Fabrique des résidences »- qui permet d’accompagner nos postes dans la création et la gestion des résidences, y compris sur le plan budgétaire. Celles qui existent déjà connaissent un vrai succès. Chaque résidence a sa spécificité. Créée en 2021 aux États-Unis, la Villa Albertine propose des formats courts, flexibles. Elle est présente dans dix villes américaines et donc n’est pas attachée à un lieu précis. À l’inverse la Villa Kujoyama -qui a fêté ses 30 ans en 2022- est une résidence de recherche très implantée dans l’écosystème de Kyoto. Certains artistes souhaitent passer d’une résidence à l’autre pour profiter des richesses de chacune.

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