« En choisissant le Louvre, l’émirat d’Abu Dhabi n’a pas voulu seulement nouer un partenariat avec le musée le plus visité et le plus connu dans le monde. Il a fait le choix d’un musée dont la vocation, depuis l’origine, est d’atteindre l’universel, c’est-à-dire l’essence de l’homme, à travers la contemplation des oeuvres d’art. » Ainsi s’exprimait l’ancien Président français Jacques Chirac le 6 mars 2007, jour de l’entrée en vigueur d’un accord intergouvernemental entre la France et les Émirats arabes unis.
Dans cet accord il est prévu que le pilotage du projet LAD -pour Louvre Abu Dhabi– soit confié à une agence créée par la France pour l’occasion : France Muséums. « L’agence a reçu pour mandat de fédérer les expertises et compétences du réseau muséal français pour les mettre au service du développement du programme scientifique et culturel du nouveau musée », explique Anne Eschapasse, nommée directrice déléguée de l’agence à Abu Dhabi en septembre 2022. France Muséums fédère ainsi près d’une vingtaine détablissements culturels français au premier rang desquels figurent le Louvre, le musée d’Orsay mais aussi le musée du quai Branly, le centre Pompidou, ou encore le château de Versailles.
De la construction à la « montée en compétences des équipes locales »
Dès 2007, l’agence accompagne le musée d’Abu Dhabi dans « toutes les phases préalables », à commencer par la construction du bâtiment, conçu par Jean Nouvel. Pour cela, « France Muséums déploie avec ses partenaires une palette d’expertises allant de la stratégie muséale à la constitution d’une collection de référence, de l’organisation des prêts d’œuvres à leur installation, de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage à la formation des personnels », précise l’agence sur son site. Car, si le LAD peut aujourd’hui s’enorgueillir d’une collection permanente étoffée, il ne peut compter à ses débuts que sur les prêts d’œuvres venant de ses partenaires français.
En 2011, France Muséums crée par ailleurs – en lien avec l’École du Louvre et la Sorbonne Abu Dhabi– le premier « master en histoire de l’art et des études de musée » qui doit permettre de « former le fleuron des professionnels des métiers des musées dans la région ». « Depuis l’inauguration du LAD en 2017, France Muséums accompagne également la montée en compétences des équipes locales, principalement émiraties », indique Anne Eschapasse. Création d’un catalogue d’exposition, enjeux du droit d’auteur, éclairage muséographique, responsabilité sociale et environnementale…le catalogue des formations est varié !
Un bureau à Paris, l’autre à Abu Dhabi
Pour mener à bien ses missions, l’agence dispose de deux bureaux : « l’un est à Paris et permet de faire l’interface avec les partenaires français. L’autre se trouve à Abu Dhabi et se compose d’une dizaine de personnes qui remplissent au quotidien des missions de conseil, d’assistance à maîtrise d’ouvrage, d’accompagnement sur les projets stratégiques. » Pour Anne Eschapasse, l’un des principaux enjeux consiste à « donner les bonnes clés de compréhension » d’un côté comme de l’autre. « Le Louvre Abu Dhabi est un musée émirien, il ne fonctionne pas de la même manière qu’un musée français. Lorsque nous accueillons par exemple des commissaires français pour une exposition nous devons leur donner les clés de lecture du contexte local. » Ces différences concernent aussi les visiteurs : « ici à Abu Dhabi, nous devons toucher un public différent, souvent moins habitué au monde muséal ».
Tous ces constats, France Muséums les a faits progressivement. « C’était un vrai apprentissage de terrain dans une région où il n’y a pas de tradition historique d’institution culturelle de cette envergure », explique-t-on à l’agence. Le fait que, dans les premières années, l’agence soit installée aux côtés des équipes émiriennes au sein des locaux du Department of Culture and Tourism -l’équivalent du ministère de la culture local- a facilité cet apprentissage mutuel. « À l’époque, l’île de Saadiyat était vierge. Les premiers déplacements sur le chantier du LAD ont dont été effectués en bateau », se souvient-on par ailleurs. Cette ère est définitivement révolue : après le Louvre Abu Dhabi et avec l’arrivée imminente d’un Guggenheim, du musée Zayed ou encore du lieu d’exposition teamLab Phenomena, l’île de Saadiyat espère bien devenir l’un des principaux sites muséaux au monde.
>> L’agence éclaboussée par des soupçons de trafic d’antiquités
Le 3 février 2023, la cour d’appel de Paris a confirmé la mise en examen de Jean-Luc Martinez, l’ancien président-directeur du Louvre, et d’un ex-directeur scientifique de France Muséums, Jean-François Charnier. Cette mise en examen date de juillet 2022 : le premier pour « blanchiment de l’origine de biens provenant d’un crime ou d’un délit et complicité d’escroquerie en bande organisée », le second pour « facilitation de la justification mensongère de l’origine de biens de l’auteur d’un crime ou d’un délit ».
Elles s’inscrivent dans le cadre d’une enquête menée par l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) et qui porte sur la vente de centaines d’antiquités issues de pillages dans des pays du Proche et du Moyen-Orient au cours de la dernière décennie. Parmi ces antiquités, figurent plusieurs pièces égyptiennes qui ont été achetées pour plusieurs dizaines de millions d’euros par le Louvre Abu Dhabi, selon le journal Le Monde. Jean-Luc Martinez et Jean-François Charnier sont soupçonnés d’avoir fermé les yeux sur les alertes concernant de probables faux certificats d’origine de ces objets. L’équipe actuelle de France Muséums précise au Journal des Français à l’étranger qu’elle ne souhaite pas commenter cette enquête en cours.