Français à l’étranger : Pourriez-vous nous raconter l’histoire de votre association ?
Andreea Dumitrache : L’association « The 3 Million » a été fondée en 2016 par un groupe d’amis expatriés – notamment un Français, Nicolas Hatton – très inquiets pour leurs droits en tant qu’immigrés européens sur le sol britannique après le référendum sur le Brexit. Sept ans plus tard, nous sommes la plus grande organisation à représenter les citoyens de l’UE au Royaume-Uni. Il s’agit d’une association créée par des immigrés pour des immigrés afin d’œuvrer auprès du gouvernement britannique pour que les citoyens européens conservent l’essentiel de leurs droits malgré la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. En 2016, le gouvernement estimait la population d’expatriés européens à trois millions sur son territoire, d’où notre nom. Selon le dernier recensement réalisé en 2021, ce chiffre atteindrait plutôt les 3,6 millions. Cela reste une estimation, car beaucoup de gens ont quitté le pays après le Brexit.
Post-Brexit, quelles sont les principales difficultés auxquelles sont confrontés les expatriés européens qui arrivent sur le territoire britannique ?
AD : Les nouveaux arrivants européens qui viennent travailler au Royaume-Uni ont souvent des visas de travailleurs qualifiés, ou de la famille avec un statut de résident permanent. Le problème concerne en réalité plutôt les personnes déjà sur place, parce qu’elles doivent prouver que leur statut est conforme via un nouveau système entièrement digitalisé. Or, le Royaume-Uni présente la plus grande diaspora d’expatriés européens: plus de sept millions de demandes ont été déposées dans le cadre du EU settlement scheme, un nouveau programme d’immigration mis en place en 2021 et qui permet aux ressortissants des pays membres de l’UE de demander une autorisation de rester sur le territoire. Pour une première validation, cela peut prendre entre 12 et 18 mois. Selon les dernières données du ministère de l’Intérieur britannique, 181 000 personnes sont ainsi en attente.
Quelles sont les principales caractéristiques de ce programme d’immigration ?
AD : D’abord, il s’agit du premier programme d’immigration avec une administration intégralement numérique. Avant, les expatriés recevaient une carte de résident physique, qui coûtait très cher à produire. La nouvelle approche est différente : les personnes ayant obtenu une autorisation de séjour, même indéfinie, ne disposent d’aucune preuve tangible. Elles doivent en revanche formuler une demande auprès du ministère de l’Intérieur à chaque fois qu’elles ont besoin de prouver leur statut: pour un recrutement, la location d’un logement, l’accès à des allocations, etc. Le ministère fournit alors un code temporaire pour accéder à ce statut. Notre association considère que ce nouveau système constitue une violation de l’accord de retrait. Ce dernier stipule en effet que les citoyens de l’UE doivent bénéficier d’un document, physique ou numérique, attestant de leur statut. Or, pour l’heure, les résidents n’ont pas la main sur leurs attestations et ne sont par ailleurs pas à l’abri des failles techniques. Plusieurs citoyens européens en ont fait les frais.
Dans ce nouveau contexte, comment l’association agit-elle pour aider les résidents étrangers au Royaume-Uni ?
AD : Nous avons organisé des campagnes de communication, encouragé les gens à écrire au parlement anglais pour leur faire part de leurs difficultés et engager des débats avec le gouvernement. Nous ne sommes pas seulement là pour pointer les problèmes : nous venons à chaque fois avec nos propositions. Pour la carte de résident, nous avons par exemple proposé un système de QR code similaire à celui qui existait pour les attestations Covid et qui pourrait éventuellement être imprimé. Cette technologie a été souvent éprouvée, elle est efficace et facile d’utilisation.
Quels ont été les retours de l’administration britannique à ce sujet ?
AD : Malgré plusieurs échanges, le gouvernement insiste sur le fait que la numérisation intégrale des services d’immigration est désormais la meilleure option. Or nous recevons de plus en plus d’éléments qui montrent que ce système est à l’origine de discriminations de toutes sortes, notamment en ce qui concerne l’immobilier. Des études et sondages menés auprès des propriétaires ont prouvé leur réticence à louer aux ressortissants européens en raison de la difficulté des démarches de vérification du droit à la location. Nous continuons donc à mobiliser particuliers, représentants de communautés et organisations pour les encourager à faire entendre leur voix. Nous avons bon espoir que cela finisse par aboutir car nous sommes convaincus qu’une autre alternative à ce système existe.