« Je ne pense pas que c’est par le protectionnisme qu’on va arriver à la décarbonation, c’est par la coopération. » Invité à s’exprimer lors des Universités d’été de l’internationalisation des entreprises (UEIE) le 7 juillet 2023 à Marseille, le directeur général adjoint de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) Jean-Marie Paugam a indirectement répondu à Arnaud Montebourg.
La veille, l’ancien ministre de l’Économie avait assuré lors du même événement que le développement du protectionnisme était une bonne chose, évoquant aussi la mort de l’OMC. « Il y a une tendance en France à annoncer un peu vite la mort de l’OMC », note Jean-Marie Paugam, parlant de l’organisation comme d’un « code de la route des politiques commerciales ». « En tant que pays, vous pouvez aller où vous voulez mais il y a quand même un certain nombre de règles à respecter : [il faut] dire ce que vous faites, les partenaires commerciaux doivent être traités de la même manières et il faut respecter des engagements », les droits de douane notamment.
95% du commerce mondial respecte les principes de l’OMC
Selon le directeur général adjoint, l’OMC est donc toujours bien vivante. « Comme pour le code de la route, ça n’est pas parce qu’il n’y a pas un policier derrière chaque feu rouge que les gens ne s’arrêtent pas au feu rouge. Tout le monde voit l’intérêt qu’il y a à respecter ces principes : 95% du commerce mondial les respecte. D’ailleurs ces principes s’appliquent encore à une très grande partie du commerce mondial. » Il explique ainsi qu’en l’absence d’accords de libre-échange entre certains pays, l’OMC est aujourd’hui encore l’infrastructure juridique qui régit le commerce entre l’Europe et les États-Unis, les États-Unis et la Chine mais aussi la Chine et l’Europe. « Cela représente une grande partie du commerce mondial. »
Jean-Marie Paugam évoque néanmoins « deux grandes difficultés » auxquelles l’organisation est aujourd’hui confrontée. D’abord, les règles « ne sont pas à jour » dans un certain nombre de secteurs, le commerce électronique notamment- Et elles sont « difficiles à moderniser » dans un contexte où les pays du Nord et ceux du Sud ont des intérêts divergents. Ensuite, l’OMC était dotée jusqu’en 2019 d’un système d’arbitrage dit « contraignant » qui a été supprimé, les États-Unis estimant que ce système empiétait sur leur souveraineté. Il permettait jusqu’alors aux acteurs d’un conflit commercial non-résolu dans le cadre d’un premier arbitrage de faire appel. « Il y a aujourd’hui des discussions pour voir comment nous pouvons restaurer cet organe. » Car pour l’heure, si un pays décide de faire appel, il s’agit d’un « appel dans le vide qui bloque toute la procédure. » Selon le directeur général adjoint, la plupart des États décident néanmoins de s’en tenir au premier degré de recherche de solutions, c’est à dire à l’arbitrage. 95% des conflits sont ainsi résolus aujourd’hui.
Une journée du commerce lors de la Cop 28
Le directeur général adjoint évoque un autre virage que l’OMC n’a pas su aborder pendant longtemps : celui de l’écologie. Or, « en parallèle, l’économie réelle a avancé sur le sujet. C’est le cas des grandes puissances, l’Europe en premier lieu avec son Green Deal, et les États-Unis avec leur Inflation reduction act. Tout le monde avance mais sans cadre régulateur global. Cela devient un problème et nous commençons donc à en parler. » Car Jean-Marie Paugam en est convaincu : « Commerce et climat sont non seulement compatibles », mais cette compatibilité est surtout nécessaire pour maintenir l’économie mondiale en bonne santé. « Si on ne conjugue pas commerce et climat (…) l’économie mondiale risque d’être impactée dans la mesure où une fragmentation de cette économie va engendrer une perte de revenus. On l’a vu avec le Brexit : quand on sort d’une situation de libre-échange, on perd des revenus. Ce sera la même chose à l’échelle globale. »
Le directeur général adjoint de l’OMC note par ailleurs que dans un monde commercialement fragmenté, les objectifs climatiques ne pourront jamais être atteints. Il invoque le principe des avantages comparatifs : « Si vous inventez en France un procédé, vous allez l’amortir sur le marché français ? Non, ce qui va permettre sa montée en puissance et des économies d’échelle c’est le marché mondial. » Selon lui, réinventer des procédés dans chaque industrie nationale entraînerait par ailleurs une forte augmentation des émissions. Pour « mobiliser le commerce au service du climat », Jean-Marie Paugam explique que l’OMC a beaucoup œuvré ces derniers temps pour se rapprocher de la Cop. « Les Émirats arabes unis [qui organisent la Cop 28 fin 2023] viennent d’annoncer qu’il y aurait une journée « Commerce, finances, transition énergétique » avec des événements de très haut niveau. » L’OMC y sera présente, aux côtés de CCI France International.