Actualités internationales
« Tout événement d’ordre international peut avoir un impact sur le travail du Cleiss »
Boom des traductions de documents de l’ukrainien vers le français, reprise des rencontres bilatérales avec la fin de la pandémie, réflexion autour d’« un nouvel accord européen durable et équitable » sur le télétravail : en 2022, l’actualité internationale a encore une fois influencé fortement les activités du Cleiss. Entretien avec Armelle Beunardeau, sa directrice.
Français à l’étranger: Pourriez-vous rappeler ce qu’est le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (Cleiss), et quelle est sa mission principale ?
Armelle Beunardeau: Le Cleiss est un établissement public qui a plus de soixante ans d’existence. Il a comme cœur de mission d’être l’organisme de liaison pour la sécurité sociale et permettre la bonne coordination entre la France et les pays avec lesquels nous avons signé des accords. Ces accords sont de deux types : les règlements européens, qui concernent 32 pays dont tous ceux de l’Union européenne, et les accords signés avec 40 pays tiers, qui prennent la forme de règlements ou de conventions. Le Cleiss produit par ailleurs chaque année un rapport statistique sur toutes les prestations de sécurité sociale que la France exporte dans le cadre de ces différents textes.
Vous avez également une mission d’information auprès de différents publics : qui sont-ils ?
Armelle Beunardeau: Nous informons les particuliers qui partent à l’étranger ou en reviennent, les employeurs, les institutions. Ces informations circulent essentiellement via notre site internet. Des permanences téléphoniques sont par ailleurs tenues par demi-journée tous les jours de la semaine. Les appels que nous recevons émanent principalement de particuliers. Enfin, le Cleiss assure une mission de traduction dans une quarantaine de langues pour l’ensemble des organismes de sécurité sociale et les ministères dont ils dépendent. Nous traduisons plusieurs dizaines de milliers de documents chaque année. Ces traductions sont externalisées à 50%, lorsque certaines langues ne sont pas maîtrisées en interne. Il s’agit de différentes sortes de documents : état civil, documents juridiques, etc.
Dans votre rapport d’activité 2022 vous parlez d’un rebond du nombre de traductions qui s’explique essentiellement par la guerre en Ukraine. Le contexte géopolitique influe-t-il sur votre activité ?
Armelle Beunardeau: Oui, les traductions de l’ukrainien vers le français se sont multipliées en 2022 car il a fallu attribuer des numéros de sécurité sociale à tous les réfugiés qui arrivaient en France. Nous avons également constaté une demande assez forte de traductions de documents d’état civil depuis le russe. Sachant que nous traduisons essentiellement de la langue étrangère vers le français, mais que les 5% de thèmes que nous réalisons (du français vers la langue étrangère) sont en grande majorité destinés aux travailleurs détachés – souvent issus des pays de l’Est – afin qu’ils puissent disposer des consignes de sécurité dans leur langue maternelle.
Outre la guerre en Ukraine, dans quelle mesure le contexte géopolitique influence-t-il vos activités ?
Armelle Beunardeau: Tout événement d’ordre international peut avoir un impact sur le travail du Cleiss, de la guerre en Ukraine à la rupture du contrat sur les sous-marins avec l’Australie. Car à chaque fois, cela va entraîner le départ ou l’arrivée de Français et cela va se répercuter sur le nombre prestations que nous exportons. Nous suivons donc attentivement ces actualités.
L’année 2022 amorçant un « retour à la normale » après plusieurs années de Covid, vos équipes ont-elles pu retrouver leur rythme d’avant-crise ?
Armelle Beunardeau: En 2020 et 2021, nous avons en effet dû mettre de côté certaines de nos missions, à commencer par les rencontres bilatérales que nous organisions ici ou à l’étranger pour rencontrer nos homologues. Bien que ces relations aient été maintenues par visioconférence pour traiter de problèmes ponctuels, cela a affecté notre travail sur les enjeux plus importants : impossible de renégocier une convention ou d’en préparer une nouvelle. Nous reprenons aujourd’hui ces travaux de fond et avons reçu en juin 2022 une délégation indienne, puis deux délégations africaines ces derniers mois.
Quelles autres évolutions découlent de ces années de pandémie ?
Armelle Beunardeau: La pandémie nous a incités à travailler davantage autour des enjeux de dématérialisation avec nos partenaires étrangers. À l’échelle de l’Europe, cette dématérialisation est portée par la Commission européenne avec la modernisation du système européen d’échange électronique d’informations sur la sécurité sociale. Mais lorsque nous négocions par exemple avec un pays d’Amérique du Sud le fait de pouvoir dématérialiser les demandes de pension, le processus est plus lent car il faut évaluer tout un tas d’aspects et voir ce qui est possible techniquement, mais aussi sur le plan administratif et juridique, en matière de protection des données notamment. Ce processus ne sera d’ailleurs probablement pas le même dans le pays voisin qui travaille avec d’autres outils et dispose d’une autre législation : il faut donc négocier de manière bilatérale, et cela prend du temps.
Les dynamiques de mobilité internationale ont également changé avec la pandémie. Quelles évolutions avez-vous constaté ?
Armelle Beunardeau: Nous avons d’abord vu s’effondrer brutalement le nombre de détachements intra-européens – divisé par trois en 2020 – alors qu’avant le Covid le nombre de travailleurs détachés était en constante augmentation. Une autre de nos études montre qu’avec le retour de Français dans l’Hexagone, un certain nombre de prestations exportées à l’étranger ont diminué.
Avec le boom du télétravail, les règles ont-elles évolué pour les travailleurs frontaliers, normalement assujettis à la sécurité sociale du pays de travail ?
Armelle Beunardeau: Le télétravail étant devenu la norme dans la plupart des entreprises, il a en effet fallu se poser collectivement la question au niveau européen et réfléchir aux quotas de temps de travail que la personne pouvait passer dans le pays où elle réside, tout en bénéficiant toujours de la protection sociale du pays où elle travaille. Les discussions sont en cours. L’objectif est de trouver un nouvel accord européen durable et équitable, qui ne déstabilise pas le cœur même de la protection sociale européenne. Il faut par ailleurs veiller à ce que deux personnes qui travaillent au même poste dans la même entreprise bénéficient des mêmes règles, même si elles ne résident pas du même côté de la frontière.
En 2021 vous avez signé avec l’État une nouvelle convention d’objectifs et de gestion (COG) qui court jusqu’en 2024. Que prévoit-elle et où en êtes-vous dans son application ?
Armelle Beunardeau: Cette convention prévoyait notamment que certaines missions d’instruction des dossiers soient transférés à la branche recouvrement du régime général, ce qui a été fait. A contrario, nos missions statistiques ont été renforcées, menant à l’embauche d’un statisticien. Il est également prévu que le Cleiss se recentre sur ses missions de formation et d’information : nous assurions déjà des formations auprès des agents des organismes de sécurité sociale, mais notre catalogue va continuer à s’enrichir de façon à ce que ces derniers maîtrisent mieux les concepts de la coordination de la sécurité sociale à l’international et que le Cleiss ait, à terme, moins besoin de répondre aux particuliers. Nous avons enfin bien avancé sur la diversification de l’offre linguistique, avec une offre de thèmes élargie.
Tout cela a-t-il conduit à des évolutions au sein de vos effectifs ?
Armelle Beunardeau: Oui, trois personnes qui étaient en charge d’instruire les dossiers ont été transférées à l’Urssaf Ile-de-France. En matière d’embauche, le but est de renforcer l’expertise avec, donc, l’arrivée de ce statisticien, mais aussi de juristes. Le Cleiss étant maîtrise d’ouvrage déléguée sur le système européen d’échange électronique d’informations sur la sécurité sociale, nous essayons aussi de renforcer notre équipe informatique. Aujourd’hui nous sommes un peu moins de 80, et le plafond d’emploi se situe juste au-dessus.
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