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Laetitia Dive
19 octobre 2023

Une proposition de loi transpartisane pour « inscrire dans le marbre un certain nombre de droits pour les Français de l’étranger »

Dans une Assemblée nationale sans majorité absolue, certains députés du camp présidentiel et de l'opposition n'hésitent plus à s'allier pour présenter des textes transpartisans dont ils estiment que l'intérêt va au-delà des clivages politiques. C'est le cas d'Éléonore Caroit (Renaissance, 2e circonscription des Français établis hors de France) et de Karim Ben Cheikh (Nupes, 9e circonscription) : tous deux travaillent depuis bientôt un an à l'élaboration d'une proposition de loi dont ils espèrent faire un « texte de référence pour les Français de l'étranger ». Dans une interview exclusive accordée à « Français à l'étranger », ils expliquent leur démarche et évoquent les grandes lignes de cette proposition de loi qu'ils doivent déposer prochainement.

Français à l’étranger : Vous préparez ensemble une proposition de loi pour les Français de l’étranger. Quel est l’objectif de ce texte ?

Éléonore Caroit : On estime que plus de 3,5 millions de Français sont établis à l’étranger. Qu’ils résident en Europe ou à des milliers de kilomètres, qu’ils soient nés à l’étranger ou expatriés depuis peu de temps, leur citoyenneté française leur confère des droits et des devoirs. Or ces droits et ces devoirs émanent de sources différentes et les Français de l’étranger peinent parfois à les exercer. C’est afin de donner un cadre juridique lisible et cohérent que nous avons eu l’idée de cette loi. Cette proposition de loi a pour ambition de rappeler un certain nombre de principes, mais aussi de servir de texte de référence pour les Français de l’étranger, au cours des différentes périodes de leur vie. Enfin, les Français établis à l’étranger restent, pour la plupart, profondément attachés à la France. Je crois que nous avons tout à gagner à consolider et renforcer le lien qui unit la France et les Français de l’étranger.

Karim Ben Cheikh : Avant tout, il s’agit de donner des droits aux Français de l’étranger. Le droit français ne prévoit pas de base légale pour de nombreuses politiques publiques qui les concernent. Certaines prestations sont accordées aux non-résidents, les « bourses scolaires » ou les allocations sociales par exemple, mais elles ne sont prévues dans aucun texte législatif. Ce sont en réalité des enveloppes budgétaires dévolues gracieusement par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui par ailleurs est un ministère dont la surface budgétaire s’est fortement contractée ces 30 dernières années. Dans ces conditions, il est tout à fait naturel de vouloir inscrire dans le marbre un certain nombre de droits pour les Français de l’étranger. En plus de cette fragilité, la législation actuelle, pose un réel problème d’égalité et d’équité entre les Français selon leur pays de résidence et je rappelle que les Français de l’étranger sont souvent des contribuables en France. Afin de garantir ces droits dans l’état actuel des législations sociales, nous proposons un principe de « rattachement territorial », à l’instar du principe de « continuité territoriale » qui existe pour les Français d’Outre-mer. Cela permettra de reconnaître le lien entre la France et nos concitoyens français qui résident à l’étranger, et faire d’eux des Français à part entière.

Quelles sont les grandes lignes de cette proposition de loi ?

Karim Ben Cheikh : Le texte comporte cinq volets, chacun de ces volets thématiques traite des sujets de fonds, des problématiques du quotidien pour nos compatriotes. Pour chacun des thèmes choisis, nous avons eu le souci de proposer des politiques publiques dignes, équitables et de renforcer le lien entre la France et les Français de l’étranger.

Éléonore Caroit : Le premier volet pose le principe du « rattachement territorial », le second aborde les politiques sociales, le troisième la question de l’équité fiscale, le quatrième la question de l’accès à l’éducation et à la culture, et le dernier volet aborde la question du retour en France.

Dans quelle mesure ce dernier volet sur le retour en France est un enjeu essentiel à vos yeux ?

Éléonore Caroit : Je constate que le sujet du retour en France est systématiquement abordé au cours des permanences parlementaires que je propose dans les pays de ma circonscription. On entend par « retour » aussi bien ce terme au sens propre, qu’une première installation en France pour nos compatriotes nés à l’étranger. Beaucoup de Français de l’étranger se trouvent en effet confrontés à de véritables difficultés lorsque ce retour se concrétise. C’est le cas des jeunes qui ont grandi à l’étranger et souhaitent faire leurs études en France. Ils n’ont souvent pas la possibilité de se loger, car certains bailleurs n’acceptent pas les documents qui sont habituellement demandés pour une location lorsque ceux-ci sont émis à l’étranger (revenus, déclaration d’impôts, etc.). Dans le volet « retour en France » de la proposition de loi, nous proposons un accès facilité au logement pour ce public étudiant. L’idée est que l’État puisse se porter garant pendant une durée déterminée.

Karim Ben Cheikh : Le retour en France constitue souvent un moment difficile, surtout quand il ne s’inscrit pas dans le cadre d’un parcours professionnel déjà prévu et encadré par l’employeur. Parfois, ce retour peut être précipité, par exemple lors d’évacuations, comme ce que nous avons connu cet été depuis le Soudan, le Niger ou même Israël. C’est au moment du retour qu’un Français de l’étranger s’aperçoit que même lorsqu’il revient s’installer sur le territoire, il ne bénéficie pas des mêmes droits et garanties qu’un compatriote resté en France. Je peux citer un exemple : celui de l’accès à la sécurité sociale. Aujourd’hui, il existe un délai de carence de trois mois pour qu’un(e) Français(e) qui revient vivre sur le territoire sans activité professionnelle soit de nouveau affilié(e) à la sécurité sociale. Bien souvent, témoignages à l’appui, cette inscription à la Sécurité sociale prend plus de trois mois et devient un parcours du combattant, à l’instar de l’inscription des enfants à l’école lorsqu’on ne dispose pas encore d’une adresse définitive en France. Toutes ces petites galères qui génèrent un sentiment d’injustice et de frustration peuvent se résoudre à travers des aménagements législatifs simples. Cela ne fera que bénéficier à notre communauté nationale.

Vous êtes l’un et l’autre députés de circonscriptions « lointaines ». Le texte que vous préparez va-t-il s’adresser à tous les Français de l’étranger, y compris ceux qui vivent en Europe ?

Karim Ben Cheikh : Tout d’abord permettez-moi de dire que Rabat, Alger ou Tunis sont à peine à trois heures d’avion de Paris, ou deux heures d’avion de Marseille. Dakar, Abidjan ou Niamey ne sont pas beaucoup plus lointaines, donc cet éloignement qu’il soit physique ou même affectif est tout à fait relatif. Notre proposition de loi s’adresse à tous les Français de l’étranger, en Europe comme dans le reste du monde. Chacun en verra les effets à partir du moment où il est inscrit au registre des Français établis hors de France. À travers votre question vous soulevez néanmoins un point important : les Français qui résident dans l’Union européenne et même ceux du Royaume-Uni bénéficient de davantage de droits du fait des dispositifs législatifs européens notamment sur les questions fiscales et celles de rattachement à la Sécurité sociale. Notre texte permet à certains égards de mettre tous nos concitoyens résidant à l’étranger à un niveau d’égalité, il générera de nouveaux droits pour les résidents français dans l’Union européenne mais aussi ceux qui résident en dehors de l’Union européenne.

Éléonore Caroit : Notre initiative n’a de sens que si elle bénéficie aux Français de l’étranger dans leur ensemble. Sur le plan administratif, fiscal et social, il est vrai qu’il existe un certain nombre de différences entre un Français qui réside au sein de l’Union européenne et un autre qui vit hors Europe. On peut citer l’exemple bien connu de la CSG-CRDS (contributions prélevées sur le revenu par l’État français, ndlr) sur les revenus de patrimoine, qui ne reste aujourd’hui due que par les Français qui vivent au-delà des frontières européennes. Notre texte propose des pistes pour une harmonisation de ces situations.

Pourquoi avoir décidé de préparer ce texte de manière transpartisane ?

Karim Ben Cheikh : Cela fait déjà près d’un an que nous travaillons sur ce texte. Au-delà de nos affiliations politiques, le fait que nous représentons les Français de l’étranger dans deux circonscriptions dans lesquelles se pose un grand nombre de questions sociales et fiscales pour nos concitoyens nous rapproche. Et nous nous sommes rendus compte en hémicycle que nous défendions nombre de sujets avec des approches sensiblement communes. Il nous faut aujourd’hui créer une majorité autour de ces idées au sein de la représentation nationale et dès lors, et ce n’est pas inédit dans cette législature, ce travail entre une députée de la majorité et un député de l’opposition doit permettre d’amener le plus grand nombre de nos collègues à se pencher le temps d’un débat législatif sur la situation de nos compatriotes à l’étranger dont ils ignorent souvent les spécificités. Du reste, c’est un travail collégial qui va bien au-delà de l’Assemblée puisque les élus de l’Assemblée des Français de l’étranger, nos homologues du Sénat, ou le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères y sont associés.

Éléonore Caroit : Je pense que cette compréhension commune des enjeux des Français de l’étranger tient aussi au fait que nous sommes tous les deux des Français de l’étranger et des binationaux. Sur le plan technique, nous sommes assez complémentaires : Karim a été consul général pendant quatre ans et je suis avocate. Nous connaissons bien les besoins des Français établis hors de France car nous avons passé la majeure partie de nos vies à l’étranger et avons été confrontés aux mêmes problématiques que les Français que nous représentons aujourd’hui. Tout ce que va contenir le texte est directement inspiré des remontées de terrain. Si je siège avec la majorité et Karim avec l’opposition et que nous avons des visions différentes sur de nombreux sujets, nous défendons l’un et l’autre nos concitoyens qui vivent hors de France. Il est essentiel d’avancer unis sur ce terrain. Les clivages politiques peuvent être dépassés dans l’intérêt des Français établis à l’étranger. Nous profitons d’être en ce moment à Paris dans le cadre de l’examen du budget au Parlement pour finaliser la proposition de loi. Nous verrons ensuite quel est le moment le plus opportun pour la déposer. Nous souhaitons bien entendu associer à cette démarche tous nos collègues parlementaires et les élus des Français de l’étranger qui le souhaitent, et travailler de concert avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

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