Français à l’étranger : Vous êtes directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire depuis le 1er septembre 2023. Pourriez-vous présenter votre parcours ?
Pauline Carmona : J’ai une longue carrière au Quai d’Orsay que j’ai rejoint en 1997. J’ai alterné entre des postes en administration centrale et à l’étranger. J’ai notamment occupé deux postes au sein du réseau consulaire : celui de consule générale adjointe à Hong-Kong et de consule générale à San Francisco. Avant d’être nommée à la DFAE, j’ai aussi travaillé pendant trois ans à Matignon en tant que conseillère diplomatique de Jean Castex puis d’Élisabeth Borne.
Depuis plusieurs jours, le gouvernement français organise le rapatriement des Français d’Israël. Dans quelle mesure la DFAE y participe ?
Cette mission relève d’abord du centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay : lorsqu’une crise de cette envergure éclate, c’est toujours ce centre qui prend la main, en lien avec nos consulats et nos ambassades. À la DFAE, nous intervenons en soutien : d’abord, un grand nombre des personnels de notre direction a répondu aux appels à volontariat pour venir prêter main forte au centre de crise. Nous sommes par ailleurs disponibles en permanence pour intervenir sur certaines problématiques précises : un état civil à vérifier avant une évacuation, un(e) conjoint(e) étranger(e) d’un(e) ressortissant(e) français(e) qui souhaite être évacué en même temps que sa famille, etc. Aujourd’hui plus de 62 000 Français sont inscrits au consulat de Tel-Aviv et 25 000 à Jérusalem. Ce deuxième chiffre englobe les ressortissants en Israël et dans les Territoires palestiniens. Ces chiffres sont néanmoins bien en deçà de la réalité car l’inscription au registre consulaire est volontaire. Pour les évacuations, il faut par ailleurs tenir compte des nombreux Français de passage en Israël, pays dans lequel beaucoup de nos concitoyens ont des liens, et où il y a beaucoup de binationaux
Le projet de loi de finances est en cours de discussion au Parlement. Quel est le budget prévu par le gouvernement pour les Français de l’étranger et le réseau consulaire ?
La mission budgétaire 151 -intitulée « Français à l’étranger et affaires consulaires »- prévoit en projet de loi de finances pour 2024 un budget de 160 millions d’euros, hors dépenses de personnel. S’y ajoutent 4,4 millions d’euros transférés par le ministère de l’Intérieur pour les élections européennes [qui auront lieu en juin 2024, ndlr]. Cette somme supplémentaire porte le budget total à 165 millions d’euros, soit une hausse inédite de 24 millions d’euros par rapport à 2023. Elle intervient dans un contexte général de réarmement de la diplomatie française en matière de moyens et d’effectifs.
Comment sera réparti ce budget ?
Sur ces 165 millions d’euros, 118 millions d’euros vont être consacrés aux aides à la scolarité, à savoir les bourses scolaires attribuées aux élèves français scolarisés dans le réseau d’enseignement français à l’étranger. Plus de 16 millions d’euros seront ensuite réservés aux aides sociales. Chaque année, la France choisit en effet de consacrer un budget pour aider ses ressortissants en difficulté (vieillesse, grande précarité, situation de handicap, etc). Les organismes locaux d’entraide et de solidarité (Oles) vont aussi être subventionnés : ces associations de droit local mènent des actions de bienfaisance et permettent d’apporter des aides ponctuelles aux Français de l’étranger, en complément de ce qui est proposé par les consulats. Cette année encore, une partie du budget sera par ailleurs allouée au tissu associatif (Stafe) sous la forme de subventions que les différentes associations peuvent demander. En 2023, 198 demandes ont été validées. Le reste du budget sera consacré à l’organisation des élections et aux chantiers de modernisation.
En matière de modernisation justement, trois axes de travail ont été identifiés par le gouvernement en juin dernier pour les Français de l’étranger. Parmi eux, l’expérimentation de dématérialisation du renouvellement des passeports pour les Français vivant au Portugal et au Canada. Où en êtes-vous ?
Ce premier chantier est prioritaire pour le ministère et la date de sa mise en œuvre a été fixée au 1er mars 2024. L’expérimentation concernera alors seulement les Français majeurs et leur permettra de ne pas avoir à se déplacer dans un consulat pour renouveler leur passeport. La mise en place de cette expérimentation a fait l’objet d’un long travail en amont. Un travail réglementaire d’abord, en lien avec le ministère de l’Intérieur et la Cnil pour la partie liée à la conservation et au transfert des données, et avec Bercy pour ce qui concerne le paiement du passeport. Un décret est en cours d’examen au conseil d’État. Et pour le volet technique, la direction intermininstérielle du numérique supervise le travail de notre direction du numérique pour fiabiliser la démarche et vérifier que la bonne personne se trouve derrière chaque demande. Ce dispositif étant totalement nouveau, il a fallu prendre du temps pour établir son cadre réglementaire. Cette expérimentation va par ailleurs être évaluée, avec l’objectif, si elle s’avère positive, d’étendre le dispositif à d’autres pays.
La poursuite du déploiement de France Consulaire constitue un second axe de travail. Quelle proportion de Français vivant à l’étranger a aujourd’hui accès à ce service téléphonique d’information ?
Le 10 octobre 2023, la Belgique a été intégrée au dispositif. L’Allemagne va suivre fin octobre et le Royaume-Uni en novembre. Aussi, fin 2023, toute l’Europe sera couverte et, à l’échelle mondiale, 48% de nos concitoyens vivant à l’étranger y auront accès. Le but, à terme, est de pouvoir couvrir toutes les zones géographiques en tenant compte du décalage horaire et donc d’avoir des téléconseillers disponibles sur une plage horaire plus large. Ces derniers vont en effet devoir répondre à un nombre d’appels qui ne cesse de croître à mesure que le dispositif s’étend : 13 622 appels ont été traités au cours des 21 jours ouvrés du mois de septembre, soit une moyenne de près de 650 appels par jour. Je précise par ailleurs que ce service est gratuit puisque les usagers appellent en local. Cela fonctionne très bien, avec un taux de satisfaction usager de 90%.
L’État souhaite aussi mieux accompagner les Français de l’étranger lors de leur retour en France. De quelle manière ?
Cet objectif a été identifié dans le cadre d’une réflexion menée par le gouvernement sur les « moments de vie ». Parmi ces moments, il y en a un qui s’intitule « Je pars, je vis et je reviens de l’étranger ». Le retour de l’étranger peut en effet s’avérer complexe car les Français se retrouvent avec un grand nombre de démarches à effectuer -inscription à l’école, à la sécurité sociale, signalement de son retour aux impôts, etc.- auprès d’administrations très variées. Nous réfléchissons donc à une organisation qui permette d’accompagner au mieux les Français qui rentrent et à les orienter de façon à ce que leurs démarches soient les plus simples possible.
Disposez-vous d’un bilan pour l’utilisation de l’application Troov, lancée en avril 2022, qui vise à fluidifier la prise de rendez-vous dans les consulats ?
L’application est aujourd’hui déployée dans la quasi totalité du réseau consulaire. Elle permet à l’usager de prendre rendez-vous au consulat ou de s’inscrire sur une liste de notifications pour être informé de l’ouverture de nouveaux créneaux. Chaque consulat s’organise localement pour proposer ces créneaux. En février 2023, le million de rendez-vous pris via cette plateforme a été atteint, ce qui prouve que cela fonctionne.
Quels sont les autres grands objectifs de votre direction pour 2024 ?
La mise en oeuvre du rapport Hermelin constitue pour nous un autre grand chantier. Ce rapport a été remis à la ministre de l’Europe et des affaires étrangères et au ministre de l’Intérieur en avril 2023. Il formule 40 recommandations pour que notre politique de visas contribue à l’attractivité de la France. L’exécutif souhaite que nous prenions en compte ces préconisations et cela va beaucoup nous occuper tout au long de l’année 2024.
Vous allez participer pour la première fois à une session plénière de l’Assemblée des Français de l’étranger entre le 23 et le 27 octobre 2023. Qu’en attendez-vous ?
Lors de chaque session plénière, les différentes commissions de l’AFE mènent des travaux qui nous sont ensuite très utiles et cela va être le cas cette fois encore lors de cette 39e session. De manière générale, nous encourageons beaucoup les élus à nous faire remonter leurs propositions. Les membres de l’AFE ont par ailleurs une vision du terrain qui vient compléter notre connaissance de la communauté française à l’étranger. Ils contribuent aux réflexions sur tous les sujets qui concernent les Français de l’étranger. Lors de cette session, je vais avoir l’occasion de rencontrer ceux avec qui je n’ai pas encore échangé, et je clôturerai la session le vendredi après-midi.