« La France a largement sa place au Vietnam : nous avons ici un vrai rôle à jouer en ce qui concerne les enjeux climatiques pour lesquels nous avons un savoir-faire spécifique et reconnu ici. » Directeur de l’Agence française de développement (AFD) au Vietnam depuis 2021, Hervé Conan juge « important que la France accompagne un pays comme le Vietnam qui connaît une forte croissance, compte 100 millions d’habitants, et se trouve dans une région du monde où la transition écologique va être décisive pour le reste du monde. »
Le cœur d’activité de l’AFD n’a néanmoins pas toujours été lié à l’environnement. Créée en 1941 à Londres par le Général de Gaulle, l’agence a d’abord tenu le rôle de banque pour la France Libre. Elle s’appelait d’ailleurs à l’époque « Caisse centrale de la France Libre ». Quelques mois avant la Libération, début 1944, Pierre Mendès France, alors ministre des Finances, décide de la transformer en caisse de financement du développement économique et social de l’Outre-mer. Elle va ensuite changer de nom à plusieurs reprises pour finalement devenir en 1998 l’Agence française de développement. « Cette même année, son champ d’action a été élargi puisqu’elle est devenue l’opérateur de la mise en œuvre d’une partie des subventions du ministère des Affaires étrangères », précise Hervé Conan.
L’AFD, au Vietnam depuis 1994
Quid du Vietnam ? « L’agence a d’abord ouvert en 1993 au Laos et au Cambodge à la suite d’un déplacement de François Mitterrand, puis au Vietnam l’année suivante. Plus de cent projets ont été menés depuis. » À l’époque le Vietnam est un pays peu développé qui s’ouvre au reste du monde après plusieurs décennies de protectionnisme. « À son arrivée ici, l’agence a d’abord travaillé sur le développement des infrastructures et la modernisation des filières agricoles. » Mais le pays a de la ressource, tant en terme de matières premières que de main d’œuvre, et en quelques années, il devient l’un des plus grands producteurs de café et de poivre. « Après l’agriculture, l’AFD a ensuite contribué financièrement à des projets d’urbanisme, adaptant ses actions aux besoins évolutifs du pays », poursuit le directeur.
Depuis 2015 néanmoins, ce ne sont plus tant les besoins économiques du pays que les Accords de Paris qui guident l’action de l’AFD.« Avec ces Accords, le mandat de l’agence a évolué, passant de l’accompagnement du développement économique des pays en développement à celui de l’accompagnement à la mise en œuvre des engagements climatiques. » Or, le Vietnam est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique, notamment en raison de sa côte -longue de 3200 kilomètres- et du fleuve Mékong qui se trouve « presque au niveau de la mer ».
La lutte contre les inondations
« Le changement climatique est quelque chose de très concret pour les Vietnamiens, qui le vivent au quotidien de différentes façons : montée de l’eau de mer qui pose des difficultés pour les cultures, inondations au cours desquelles des quartiers entiers sont sous l’eau, etc. Quand on sait que le Mékong est le grenier du Vietnam pour les filières rizicole et aquacole, ces risques sont pris au sérieux, poursuit Hervé Conan. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas empêcher les inondations, mais nous pouvons faire en sorte de les limiter en intensité et dans le temps. »
Dans la province de Ninh Binh, au nord du pays, un barrage-écluse a ainsi été construit grâce aux financements de l’AFD pour « éviter que l’eau de la mer vienne saliniser des périmètres agricoles, tout en permettant d’organiser le trafic maritime ». Il a été inauguré en 2022. Le directeur de l’agence au Vietnam mentionne également le projet développé dans la province côtière de Cà Mau qui se trouve à l’extrémité sud du pays. « Ce projet vise à protéger le littoral en replantant des mangroves et en installant des brise-vagues pour éviter que la mer gagne du terrain sur les zones côtières. » Enfin, dans le centre du pays, à Hoi An, où l’érosion a eu raison d’un certain nombre de plages, l’agence travaille à reconstituer ces dernières en « redessinant le trait de côte avec des aménagements environnementaux. »
Objectif zéro émission nette de CO2 d’ici 2050
Hervé Conan raconte par ailleurs que le pays s’est engagé à atteindre l’objectif de zéro émission nette de CO2 d’ici 2050. « Pour atteindre cet objectif, le Vietnam souhaite notamment fermer ses centrales charbon. Nous l’accompagnons dans cette transition via des prêts souverains -octroyés à l’État- pour lui permettre de mettre en place de nouvelles infrastructures qui tiennent compte des enjeux climatiques. » Ces prêts dits « souverains » sont remboursés à l’AFD par l’État français si jamais le pays créditeur n’a pas les ressources pour le faire. « Nous proposons aussi des prêts non-souverains à des entités publiques mais qui ont les ressources pour nous rembourser, des compagnies d’électricité par exemple », précise-t-il.
Depuis 1994, ce sont ainsi 2,4 milliards d’euros qui ont été prêtés au Vietnam avec une moyenne de 100 à 200 millions d’euros par an, dans le cadre de 105 projets. Parmi eux, le directeur cite le métro d’Hanoï dont la construction de la deuxième ligne est co-financée par l’AFD, la banque européenne d’investissement (BEI) et la banque asiatique de développement. Toujours à Hanoï, l’agence travaille avec la municipalité pour renforcer l’interconnexion des transports. « Le métro seul ne pourra pas désenclaver tous les quartiers. Il faut donc le connecter avec les vélos, les Grab -entreprise de mototaxis présente au Vietnam-, les voitures, etc. Le but, c’est qu’une population croissante se serve des transports collectifs. » Pour y parvenir, une coopération décentralisée entre la région Ile-de-France et la municipalité de Hanoï a été mise en place. « C’est de l’aide à la décision. Les autorités vietnamiennes n’attendent pas de nous des solutions clé en main mais plutôt des conseils pour ensuite prendre les décisions par elles-mêmes. »
Un « savoir-faire » français reconnu au Vietnam
Car Hervé Conan l’affirme : « le Vietnam reconnaît à la France un vrai savoir-faire en matière de transport mais aussi de gestion de l’eau et d’énergie. » Il mentionne ainsi une autre coopération France/Vietnam, cette fois entre EDF et EVN, l’entreprise publique vietnamienne d’électricité. L’AFD accompagne d’ailleurs cette dernière dans un projet d’envergure : l’extension de deux centrales hydroélectriques, une dans le nord et l’autre dans le sud du pays. « L’hydroélectricité a été un atout important pour le développement économique du pays, mais aujourd’hui le Vietnam a construit toutes les centrales qu’il pouvait construire. Une nouvelle phase s’est donc ouverte : elle vise à étendre les barrages afin de prendre plus d’eau pour alimenter les nouvelles turbines. »
Toujours dans le cadre de sa transition écologique, le Vietnam souhaite aussi développer les énergies renouvelables et aller vers un verdissement de son mix énergétique. Seulement, le réseau qui transporte l’énergie du nord au sud du pays -et vice-versa- est pour l’heure « trop fragile ». « Nous travaillons donc avec EVN et sa filiale qui s’occupe de la transmission d’énergie pour renforcer ce réseau qui est un préalable au développement des énergies vertes dans le pays », indique le directeur, précisant que le potentiel solaire et éolien se concentre principalement dans le centre et le sud du pays.