« Nous sommes tous plurilingues à différents degrés » estime Priscille Ahtoy, enseignante et chercheuse en sociolinguistique à l’université François Rabelais de Tours. Elle précise toutefois qu’en termes sociolinguistiques, une personne est considérée comme plurilingue « à partir du moment où elle a des notions dans une autre langue » : il s’agit d’une base partagée par la grande majorité de la population en France, et qui peut être développée par la pratique. « Évidemment, plus le degré est élevé, plus la personne montre des capacités développées » En 2022, près de 30% des 25-64 ans maîtrisaient au moins deux langues selon les données d’Eurostat, soit une augmentation de plus de 50% en dix ans.
Les effets cognitifs du plurilinguisme
Or, il s’avère que le plurilinguisme a un effet direct sur les capacités cognitives : « En sociolinguistique, on parle de ‘cerveau bilingue’. » Non seulement la maîtrise des langues étrangères permet d’améliorer la mémoire, mais elle requiert également une capacité appelée le « code switching » ou « alternance de code ». Il s’agit de la faculté d’alterner entre différentes langues ou dialectes selon le contexte social, une véritable « gymnastique » selon la sociolinguiste. Selon une étude canadienne publiée en 2010, les individus plurilingues seraient sujets à la maladie d’Alzheimer en moyenne cinq ans plus tard que les personnes dites « monolingues ».
« Parler une langue étrangère, c’est aussi apprendre une autre culture » explique Priscille Ahtoy. C’est la raison pour laquelle les individus plurilingues disposent d’une plus grande ouverture aux différentes cultures, mais aussi une meilleure tolérance à l’altérité. « Connaître plusieurs langues implique le développement d’un certain savoir-être interculturel. Les personnes plurilingues sont plus enclines à se mettre à la place des autres, à prendre en compte les différences, et ont moins tendance à catégoriser. »
« Apprendre une langue c’est comme apprendre à faire de la bicyclette »
Au niveau individuel, la chercheuse recommande également aux apprenants de trouver une véritable source de motivation. Elle différencie les motivations dites « intrinsèques » à savoir la volonté personnelle d’apprendre une langue – intérêt pour la culture d’un pays, nécessité pour entretenir des relations – de la motivation extrinsèque, poussée par un facteur extérieur. « Un jeune ne sera pas motivé de la même façon si l’apprentissage est contraint que s’il trouve une raison personnelle d’apprendre une langue étrangère. »
Elle précise également que l’apprentissage des langues constitue un patrimoine qui dure tout au long de la vie. « Apprendre une langue c’est comme apprendre à faire de la bicyclette. Quel que soit le nombre d’années, je ne pense pas qu’il soit possible de ‘perdre’ une langue » Mais comme toutes les disciplines, la pratique est essentielle à l’entretien d’une langue étrangère. « Ce sont néanmoins des mécanismes que l’on retrouve vite », rassure-t-elle.
La nécessité de promouvoir le plurilinguisme au niveau national
« Il est intéressant de voir que le plurilinguisme est enfin perçu comme un atout en France et hors de France, note la sociolinguiste, même si les moyens ne sont pas réellement mobilisés pour enseigner les langues en France » Le 27 octobre 2023, l’Élysée publiait son bilan sur la stratégie pour la langue française et le plurilinguisme : sur les dix points évoqués seulement un portait sur le multilinguisme, tandis que les autres concernaient principalement la promotion du français. Cette même observation est évoquée dans un rapport du ministère de la Culture, publié le 14 novembre 2022. Il soulignait « un décalage persistant entre la politique affichée […] et les moyens, rares, affectés au plurilinguisme qui rendent difficile la mise en œuvre de la feuille de route tracée par le Président de la République ».
Or, Priscilla Ahtoy estime que la valorisation du plurilinguisme notamment dans le réseau d’établissements français à l’étranger constitue un véritable « privilège ». « Il faut promouvoir la langue locale, insiste-t-elle. J’étais moi-même professeure dans un lycée français à l’Île Maurice, et le créole mauricien n’y était malheureusement pas enseigné. »