Français à l’étranger : Pouvez-vous rappeler ce qu’est Campus France et quelles sont ses principales missions ?
Donatienne Hissard : Campus France est une agence publique sous la double tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons quatre missions. Nous sommes d’abord une agence de promotion des études en France auprès des étudiants étrangers. Nous mettons ensuite en œuvre des programmes de bourses, principalement pour le gouvernement français mais aussi pour d’autres organisations : gouvernements étrangers, organisations internationales -comme l’Union européenne par exemple, ou pour les établissements et les organismes de recherche eux-mêmes. Notre troisième mission est de favoriser l’accueil des étudiants étrangers en France, et pas seulement des boursiers. Pour cela nous travaillons avec les établissements supérieurs et les autres administrations. Nous gérons également le Label Bienvenue en France, qui renseigne sur la qualité de l’accueil dans les établissements d’enseignement supérieur. Enfin, nous analysons les tendances de la mobilité internationale et sommes les référents sur ce sujet.
Environ 220 personnes travaillent à Paris, et nous travaillons avec 275 autres espaces et antennes Campus France déployés aujourd’hui dans 134 pays, qui dépendent en général des ambassades.
Le seuil des 400 000 étudiants étrangers accueillis a été franchi en 2022 : en quoi est-ce symbolique et quelles perspectives pour l’année 2023 ?
Nous visons les 500 000 étudiants étrangers en France pour 2027. Cet objectif a été fixé dans le cadre de la stratégie « Bienvenue en France » par le Premier ministre en 2018. Atteindre les 400 000 étudiants accueillis en France constituait donc un premier palier important, et cela a eu une résonance particulière après les années Covid qui ont connu une forte rétractation des mobilités étudiantes. La progression se poursuit par ailleurs : en 2023, nous avons enregistré le chiffre de 412 000 étudiants étrangers accueillis en France.
Quelle part de boursiers parmi eux ? Rappelez-nous d’ailleurs comment fonctionnent le système de bourses.
Les bourses du gouvernement français sont attribuées à environ 2% des étrangers qui viennent étudier en France. Parmi les étudiants étrangers, il y a aussi des étudiants qui résident en France depuis plus de deux ans en France et touchent donc une bourse sur critères sociaux du Crous. Il faut noter que la grande majorité des étudiants étrangers qui vient en France ne choisit donc pas notre pays après avoir obtenu une bourse mais bien pour la qualité de l’accueil et de l’enseignement qui est très internationalisé.
Les bourses du gouvernement français à destination des étudiants étrangers ne sont pas attribuées sur critères sociaux mais sur critères d’excellence. Les appels à projet sont lancés par les ambassades de France ou les Instituts français. Un jury sélectionne ensuite les dossiers en fonction des notes, du parcours ou des projets scientifiques car il existe des bourses spécifiques pour ces profils. Environ 11 000 bourses -d’études et de stages- sont ainsi attribuées chaque année.
Qui sont aujourd’hui vos principaux concurrents parmi les autres pays qui accueillent des étudiants étrangers ?
Les États-Unis arrivent premier, et de très loin : ils accueillent autour d’un million d’étudiants étrangers chaque année. Le Royaume-Uni est à la deuxième place, suivi de l’Australie, de l’Allemagne et du Canada. La France arrive donc en sixième position. Ce classement n’est pas figé car de nouveaux pays se démarquent aujourd’hui : la Chine, les Émirats arabes unis et la Turquie notamment. Enfin, l’Irlande a largement bénéficié du Brexit pour l’accueil d’étudiants en Erasmus car elle est désormais le seul pays de l’Union européenne à proposer un enseignement « English native ».
Dans le détail, quelles sont les nationalités les plus représentées parmi les étudiants qui viennent en France ?
Ce sont les Marocains qui sont les plus nombreux, suivi des Algériens. Viennent ensuite les Chinois bien que, depuis le Covid, la baisse soit significative. Les Italiens et les Sénégalais arrivent respectivement en quatrième et cinquième positions.
Souhaitez-vous davantage développer les partenariats avec certaines régions du monde pour accueillir davantage de leurs ressortissants ? Quelles actions sont menées pour y parvenir ?
Nous avons en effet des régions-cibles prioritaires avec, en tête de liste, l’Indo-Pacifique car l’Asie est le premier pourvoyeur d’étudiants en mobilité. Si pendant longtemps les efforts se sont concentrés sur la Chine, la coopération avec Pékin s’avère plus difficile depuis la pandémie et c’est aussi pour cela que nous souhaitons davantage nous tourner vers des pays comme l’Inde ou l’Indonésie. Nous essayons donc de mieux faire connaître notre système aux étudiants de ces pays. Notre deuxième région-cible prioritaire est l’Afrique, du Maghreb jusqu’à l’Afrique du Sud, sachant que la France est déjà le premier pays d’accueil des étudiants d’Afrique subsaharienne dans le monde. Le continent est par ailleurs le « réservoir de la jeunesse mondiale » et il est important sur le plan stratégique d’être présents dans ces pays. Enfin, notre dernier bassin d’expansion est l’Europe, notre espace naturel de coopération via Erasmus + mais aussi de nouvelles actions appelées les « alliances européennes », un nouveau modèle de coopération universitaire qui est en train d’être inventé en Europe. Avec ce modèle, les étudiants bougent, mais également les professeurs et les personnels. Il y a par ailleurs des expérimentations en cours pour délivrer des diplômes uniques dans le cadre de ces alliances.
Pour nous développer dans ces trois régions, des actions de promotion sont menées sur place dans des salons, sur les réseaux sociaux et dans les médias locaux. Nous soutenons par ailleurs la coopération institutionnelle entre les établissements français et ceux de ces pays, via l’organisation de nombreuses rencontres.
Alors que l’image de la France est écornée en Afrique de l’Ouest, Campus France modifie-t-elle sa stratégie de coopération ?
Le climat actuel doit nous inciter à prêter attention à certains points particuliers dans le cadre de notre coopération. Nous devons surtout éviter de créer de la déception lorsque des candidats issus de cette région ne sont pas retenus pour venir faire leurs études en France. Nous traversons en effet une situation particulière car les chiffres nous montrent que les ressortissants d’Afrique de l’Ouest continuent à se tourner massivement vers la France pour leurs études et, en parallèle, le discours anti-français prend de l’ampleur, alimenté par certaines puissances étrangères. Dans ce contexte, les étudiants déçus pourraient se montrer davantage réceptifs à ce discours et c’est ce que nous souhaitons absolument éviter. Nous essayons donc de mieux travailler sur l’orientation de ces étudiants afin que ce qu’ils demandent soit adapté à leur profil et qu’ils aient plus de chance de l’obtenir. Par exemple, l’Espace Campus France a développé au Sénégal un simulateur qui leur permet de tester la viabilité de leur projet.
L’autre enjeu c’est d’éviter que des intermédiaires locaux ne profitent de la crédulité de certains jeunes pour leur promettre des visas qu’ils n’auront pas moyennant des sommes conséquentes. Enfin, nous devons faire en sorte qu’un plus grand nombre d’alumni de la France puisse disposer de visas de circulation : c’est un sujet sur lequel nous essayons de sensibiliser notamment le ministère de l’Intérieur. J’ajoute enfin que nous essayons depuis plusieurs années de travailler davantage en Afrique non-francophone où des pays comme le Nigeria, le Zimbabwe et le Ghana représentent le gros des étudiants africains en mobilité. Nous avons ainsi une augmentation de 112% du nombre d’étudiants nigérians en France sur les cinq dernières années.
Dans quelle mesure le contexte géopolitique actuel (guerre en Ukraine, affrontements en Israël) joue-t-il sur les mobilités ?
Nous avons beaucoup travaillé tout au long de l’année écoulée sur l’accueil des étudiants ukrainiens. Les établissements supérieurs français ont fait preuve d’une grande solidarité et le nombre de ces étudiants est passé d’à peine quelques centaines à 3315 l’an dernier. Nous avons par ailleurs mis en place une ligne d’urgence pour ces étudiants qui cherchaient à poursuivre leurs projets d’études à l’étranger et créé une plateforme de mise en relation entre les établissements et les étudiants ukrainiens. Nous avons enfin, grâce à un financement du Quai d’Orsay, pu mettre en place des formations intensives de Français langue étrangère (FLE) pour environ 300 étudiants ukrainiens qui ont pu ensuite aborder plus facilement la rentrée universitaire de septembre. Nous avons par ailleurs continué à accueillir des étudiants russes mais qui viennent de manière individuelle, les accords institutionnels ayant été stoppés. La baisse existe mais elle est très légère : 3,6% d’étudiants russes en moins sur un an, 5246 étudiants en 2022-2023.
Concernant Israël et les territoires palestiniens, le nombre de mobilités a toujours été faible avec moins d’une centaine d’étudiants. Mais de manière générale, nous essayons d’agir avec humanité et discernement dans ce type de situation, sachant que des moyens supplémentaires nous sont souvent alloués. Les bourses des étudiants ressortissants de pays en crise sont par exemple toujours prolongées.
Quels types établissements accueillent aujourd’hui le plus d’étudiants étrangers ? Dans quelles régions de l’Hexagone ?
64% des étudiants étrangers choisissent d’intégrer une université publique, 14% une école de commerce et 7% une école d’ingénieurs. Si la préférence va à l’université, c’est parce qu’il s’agit du modèle dominant dans le monde tandis que le système des grandes écoles qui existe en France est souvent méconnu. Nous constatons néanmoins que ce sont les écoles de commerce qui connaissent la croissance la plus importante : 80% en cinq ans. Ces établissements ont souvent une politique dynamique de promotion à l’étranger, et ils proposent un nombre croissant de cursus en anglais.
Ces étudiants étrangers se retrouvent majoritairement (35%) en région parisienne. Nous essayons néanmoins de les encourager à aller davantage vers d’autres villes universitaires. Nous distribuons ainsi de fiches d’information sur ces autres villes et nous menons, en partenariat avec les municipalités, des actions de promotion : des séjours de découverte pour les boursiers par exemple.
Quels cursus viennent-ils y suivre en majorité ?
Il y a à peu près autant d’étudiants qui viennent suivre une licence qu’un master. Nous sommes par ailleurs un grand pays d’accueil de doctorants étrangers : le quatrième dans le monde. Cela s’explique par la qualité de nos formations doctorales, par la performance de la recherche française et par le fait que suivre un doctorat reste très modique en France – 370 euros par an – ce qui est largement inférieur par rapport à d’autres pays.
Savez-vous quelle proportion d’étudiants étrangers restent travailler en France après leurs études ?
Nous manquons aujourd’hui d’outils de suivi à cet égard. Le seul dont nous disposons à ce jour est la conversion des titres de séjour. Selon le ministère de l’Intérieur, 60% des ressortissants étrangers ayant eu un visa étudiant n’ont plus ce titre de séjour au bout de cinq ans. Les 40% restants concernent incluent donc ceux qui ont converti leur visa étudiant en un titre de séjour professionnel ou familial. Ces chiffres sont néanmoins sujets à caution car ils ne portent que sur les étudiants qui sont soumis à l’obtention d’un titre de séjour, donc pas les ressortissants communautaires. Or, les Européens constituent le premier contingent d’étudiants étrangers : 103 000 sur les 400 000. Afin de mieux connaître le parcours des étrangers ayant obtenu un diplôme français, nous allons donc réaliser une enquête en 2024.
Quel rôle jouent les alumni dans la promotion de la marque France ?
Ils constituent un relais d’opinion extrêmement efficace dans leurs pays respectifs. L’an passé, nous avons mené une enquête sur l’impact économique des étudiants étrangers pour la France. Nous avons interrogé un certain nombre d’entre eux afin de savoir si, à l’issue de leurs études, ils souhaitaient travailler ou voyager dans l’Hexagone, acheter des produits français, etc. Entre 85 et 98% d’entre eux ont répondu oui. La plupart d’entre eux ont par ailleurs fait venir leurs familles en France, ils en parlent en bien et ils incitent donc d’autres étudiants à venir. Afin de valoriser ces profils qui sont nos meilleurs ambassadeurs, nous avons organisé pour la première fois en 2023 la journée mondiale des alumni de la France. Une deuxième édition aura lieu en 2024.