Il y a loin de la coupe aux lèvres. Signé en 2019, après plus de vingt années de négociations complexes, le traité prévoit rien moins que la création de la plus grande zone de libre-échange de la planète entre les vingt-sept pays de l’Union européenne d’une part et le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay et désormais aussi la Bolivie d’autre part. Mais il n’a toujours pas été finalisé, notamment en raison de réticences apparues côté UE quant aux politiques environnementales du Brésil durant le mandat de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro. La donne a changé avec le retour au pouvoir en janvier de Lula. Mais même si le dialogue entre Mercosur et Union européenne s’était intensifié ces dernières semaines, cet optimisme a pris un coup quand Emmanuel Macron a réitéré début décembre à Dubaï son opposition à l’accord en l’état, estimant qu’il « ne prenait pas en compte la biodiversité et le climat ». Son homologue brésilien avait alors fustigé le « protectionnisme » de la France.
Complémentarités positives
Nombreux sont ceux, en tout cas, qui jugent au contraire, cet accord essentiel, comme Pascal Lamy. Lui aussi présent à la COP28, l’ancien commissaire européen au Commerce et directeur général de l’OMC, avait plaidé depuis Dubaï en faveur d’une signature de l’accord. Selon lui, le texte ancre la légitimité du nord à poser des conditionnalités vertes dans un traité commercial. « L’accord est en chantier depuis de nombreuses années, ce qui s’explique par son ampleur et ses ambitions, analyse de son côté Philippe Lecourtier, président de la Chambre de commerce du Brésil en France. Les deux groupes devraient en tirer un grand profit car il met en relief leurs complémentarités positives. Il reste cependant à régler ou à contourner certains points très sensibles (environnement, produits agricoles, etc.) et à créer un climat politique de confiance et de cohésion entre tous les pays qui sont concernés. » A l’inverse, la perspective d’un tel accord suscite l’inquiétude des éleveurs français, déjà en crise, face à un bulldozer comme le Brésil et ses quatre millions de petits producteurs. Les exportations de viande du pays vers l’Europe ont encore progressé de 15% en 2023, même sans l’accord qui prévoit de faciliter ces importations sud-américaines grâce à une réduction des taxes et des droits de douane.
Un traité jamais ratifié ?
Bref, il reste encore à faire, admet M. Lecourtier : « Il faudra en outre mettre en place un système de facilitations et de contrôles pour sa mise en œuvre, afin d’éviter des asymétries et de permettre des souplesses dans l’exécution des engagements respectifs. Cela dit, une alliance économique entre l’Europe et l’Amérique du Sud est nécessaire si les deux zones veulent continuer à peser dans les échanges internationaux au cours de ce siècle. » Les pays du Mercosur se sont déjà donné à nouveau rendez-vous après l’investiture du nouveau président argentin, l’ultra-libéral Javier Milei, pour prendre une décision définitive. Le Paraguay, qui assure depuis décembre la présidence tournante du Mercosur, menace déjà de se tourner vers d’autres blocs régionaux si les négociations s’éternisent. En juillet 2022, le bloc sud-américain avait signé un accord de libre-échange comparable avec Singapour, considéré comme la porte d’entrée vers l’Asie. En coulisse, des membres du gouvernement brésilien craignent déjà que le traité ne soit jamais ratifié et que cela ruine les efforts du pays pour s’afficher en leader de premier plan sur la scène internationale.