Pourriez-vous raconter la genèse de votre entreprise Yopit Pago ?
J’ai depuis 2011 une entreprise d’accessoires de mode qui m’a amené à beaucoup voyager en Chine pour rencontrer mes fournisseurs. Dès 2015, j’ai commencé à y voir les codes QR se développer pour les paiements. Cela m’a semblé tout de suite intéressant de développer ce type de solution en Argentine, pays où je vis depuis 2009 avec ma femme qui est sino-argentine. Dans ces deux pays, les gens paient énormément en espèces et utilisent peu leur carte bancaire. Convaincu que cela pourrait fonctionner, j’ai donc créé Yopit Pago en 2017, la première application de paiement avec code QR du pays. A l’époque, la fintech (technologies financières) était très peu développée alors qu’aujourd’hui, il existe une chambre de commerce dédiée qui compte environ 200 membres. Le secteur a donc très rapidement progressé.
A quoi servait cette application et existe-t-elle toujours ?
Cette première application permettait d’envoyer de l’argent d’un téléphone à l’autre mais il n’était pas possible de transférer de l’argent directement depuis son compte bancaire vers l’application. Il fallait donc, dans tous les cas, utiliser sa carte bancaire pour déposer de l’argent sur cette appli. Nous avons donc poursuivi le développement et sommes parvenus en août 2018 à effectuer le premier envoi d’argent directement depuis un compte bancaire. Cela nous a permis de nous développer auprès des commerçants qui ont commencé à utiliser notre système. Mais en 2019, la plateforme de paiement argentine Mercado Pago a lancé sa propre solution QR et investi énormément d’argent pour obtenir le monopole en proposant notamment de grosses réductions aux commerçants pour les convaincre d’adopter leur dispositif. Cette concurrence nous a contraint à pivoter et, plutôt que de nous adresser aux utilisateurs finaux, nous avons mis notre savoir-faire au service d’entreprises qui voulaient disposer de leurs propres solutions de paiement sans passer par Mercado Pago. Après le Covid, j’ai finalement vendu l’entreprise à un groupe qui souhaitait avoir sa propre application. Je suis toujours associé minoritaire mais n’ai plus d’activité opérationnelle.
Quels sont les avantages de l’Argentine pour entreprendre ? Et les inconvénients ?
L’horizon économique incertain de l’Argentine pousse ses habitants à entreprendre malgré tout, y compris lorsqu’ils sont salariés. Il y a une logique qui consiste à se dire « il faut foncer, on verra bien si ça marche ». Aussi, quand on parle d’un projet entrepreneurial à un Argentin, il est généralement très enthousiaste. Cette mentalité fait qu’il est facile de démarrer un business dans le pays, plus qu’en France où la méfiance est assez présente. Cela devient en revanche plus complexe dès lors que l’activité prend de l’ampleur et qu’un petit business se transforme en PME. Quand on est étranger, il est par ailleurs difficile de comprendre la relation au travail des Argentins. J’ai notamment le sentiment que le travail s’organise ici davantage en fonction de la famille, plus qu’en France. Il faut enfin s’adapter à une inflation difficilement imaginable quand on vient d’un autre pays : entre le matin et l’après-midi, certains prix peuvent augmenter et il faut vivre avec cela. La situation est particulièrement complexe aujourd’hui avec une inflation très forte (+211,4% en 2023 contre 4,9% en France).
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite créer son entreprise en Argentine ?
Malgré la situation économique, je trouve qu’il y a beaucoup d’opportunités ici à condition de venir avec l’esprit ouvert. Il ne faut pas tomber dans le piège de se dire qu’on va rapidement trouver sa place sous prétexte que l’Argentine -surtout Buenos Aires- ressemble à l’Europe par bien des aspects. En réalité, le fonctionnement administratif, les relations humaines mais aussi le rapport à l’entreprise sont très différents. Il faut donc se laisser le temps de comprendre et faire preuve de patience lorsque les démarches administratives tardent. Cela peut par exemple être très long d’obtenir sa carte de résident.
Est-ce un pays où les entrepreneurs français sont solidaires entre eux ?
Plusieurs structures nous permettent de nous retrouver régulièrement. La Chambre de commerce France Argentine organise chaque mois le « Café du Commerce » pour les entrepreneurs français, ceux qui sont expatriés mais aussi des Argentins qui ont un lien avec la France. La French Tech Buenos Aires, qui a été créée en 2018, permet par ailleurs aux entrepreneurs français de la tech de se connecter entre eux voire de collaborer. Je suis dans l’équipe dirigeante depuis le début.