« J’ai quitté Paris pour écrire » raconte Jennifer Richard. En 2019, la romancière s’installe à Berlin (Allemagne) avec son conjoint. « Il m’était impossible de vivre à Paris avec seulement mes revenus d’auteur, et je travaillais en tant que documentaliste pour des émissions de télévision en parallèle de l’écriture » explique l’autrice. Un mode de vie stressant, à « caler des séances d’écriture entre deux émissions » qu’elle choisit finalement de quitter après avoir obtenu la bourse Stendhal de l’Institut français pour un projet de roman.
« J’avais besoin de faire des recherches en Allemagne et en allemand, j’ai donc postulé pour la bourse de l’Institut français. Au départ, cela devait être pour une durée de trois mois. » Séduite par le cadre de vie, la mixité sociale et la nature au cœur de la ville, l’autrice ne repartira pas. Elle publie par la suite son roman Le Diable parle toutes les langues, deuxième volet de son « triptyque sur l’impérialisme » et la colonisation – avec Il est à toi ce beau pays et Notre Royaume n’est pas de ce monde – consacré au personnage de Basile Zaharoff, marchand d’arme du XIXe siècle.
De la science-fiction à l’histoire
Cet attrait pour l’histoire, elle le développe au cours de ses études de droit, un cursus qui ne lui plaît pas du tout, dans l’ensemble à l’exception des cours l’histoire. « J’étais particulièrement intéressée par la Première Guerre mondiale et ses enjeux : qui va à la guerre, pourquoi, qui s’en sort, qui a plus d’argent en 1914 qu’en 1918. » Cet intérêt la pousse, après une période dédiée à la science-fiction et au fantastique avec des titres comme Bleu Poussière et Requiem pour une étoile, à écrire Il est à toi ce beau pays qui paraît en 2018. Ce roman, parti d’un « petit encart sur le Pygmée Ota Benga dans le Guide du Routard », marque le départ de son « cycle historique » ou l’imagination foisonnante de l’écrivaine laisse place à un travail de recherche méticuleux.
Elle écrit ses trois romans en « collant le plus possible à la réalité historique », s’appuie sur des événements et des personnages réels et rajoute « la sauce » : dialogues, interprétation des conséquences etc. « Mon objectif avec ces trois romans sur l’impérialisme était de montrer que la colonisation principalement de l’Afrique centrale, la ségrégation aux États-Unis et l’accélération de l’industrialisation sont survenues en même temps, et selon mon interprétation, ce n’est pas un hasard. » Son expérience de documentaliste pour les émissions de télévision lui est alors précieuse : « Je sais où chercher la presse de l’époque, les photos pour décrire des scènes. » Elle parvient ainsi à décrire la splendeur des palais de Zanzibar depuis son appartement berlinois, en compagnie de son chat. « J’adore voyager, mais pas pour travailler. Mais je vais m’y mettre, j’ai un projet de livre dont l’intrigue se déroule en Guadeloupe et je m’y déplacerai. Ce sera pour dans quelques années. »
« Je pense qu’il faudrait décentraliser la culture »
Malgré sa « nature casanière », l’identité de Jennifer Richard est marquée par le voyage. Sa mère est guadeloupéenne, son père normand. Elle naît aux États-Unis et commence sa vie aux Outre-mer, à Tahiti puis à Wallis et Futuna. Elle découvre la France métropolitaine pour la première fois à sept ans. « J’ai découvert la France par l’extérieur si on peut dire. Pour moi la France c’était Wallis, Tahiti puis plus tard Mayotte, la Guadeloupe, la Nouvelle-Calédonie, etc. » C’est pourquoi elle estime que la centralisation du monde littéraire francophone, réduit à « un minuscule quartier de la rive gauche parisienne » constitue une difficulté pour les auteurs francophones du monde. « Je pense qu’il faudrait créer des pôles d’éditions et décentraliser la culture, et je suis confiante que cela va arriver dans les prochaines années. » Cela passe notamment par la création de prix littéraires francophones hors de France, tels que le Prix Ivoire, décerné en Côte d’Ivoire dont l’autrice est lauréate en 2023 dans la catégorie « Littérature africaine d’expression francophone » pour son roman Notre Royaume n’est pas de ce monde. « Tous les salons du livre, tous les prix qui ne sont pas décernés en France Hexagonale sont des initiatives extraordinaires. Il y a énormément d’initiatives françaises à l’étranger, par le biais de l’Institut français, ce qu’il faut féliciter aussi. »
Concernant ses projets actuels, l’écrivaine a décidé de se relancer dans la science-fiction. « Je me lasse rapidement, confie-t-elle. Je change de registre quand j’ai besoin de me régénérer. » Si elle choisit de « refermer ce cycle historique » pour revenir à la « fiction pure », c’est aussi pour se renouveler en tant qu’artiste : « Je déteste être catégorisée comme figure de lutte contre le racisme ou la colonisation, c’est une catégorie qui est trop étriquée pour moi. » Son prochain projet, dont la sortie est prévue pour août 2024, sera un « parallèle la liquidation de l’humanité par le numérique et la liquidation judiciaire d’une entreprise, le tout porté par une histoire d’amour ».
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