Comment êtes-vous arrivé aux Philippines dans les années 80 ?
Grâce à mon métier de chasseur de têtes et spécialiste en gestion des ressources humaines. À cette époque, BOUYGUES et SAUDI OGER m’ont chargé de prospecter dans les pays asiatiques à la recherche de main-d’œuvre qualifiée pour leurs sous-traitants. Je me suis alors rendu au Pakistan, en Inde, en Thaïlande, puis finalement aux Philippines.
J’y ai rencontré l’un des plus anciens expatriés du pays, Roger Ferrari, un Suisse francophone. Il travaillait alors pour une société française associée à un grand groupe philippin. Je lui ai exposé ma situation, ainsi que mon ambition de créer une école de formation professionnelle dans les métiers du second œuvre. Il m’a présenté à plusieurs entreprises, mais n’étant pas encore entièrement convaincu, je suis retourné en France.
Quelques mois plus tard, Roger Ferrari est venu à Paris accompagné du Vice-Président de l’entreprise philippine, F. Colayco, pour laquelle il travaillait. Lors d’un déjeuner, le V.P. m’a dit : « Philippe, revenez la semaine prochaine aux Philippines, nous allons mettre en place ce ‘training center’ ». C’est ainsi qu’une école a été créée, formant du personnel technique déployé par milliers sur les chantiers de grandes entreprises françaises et internationales à l’étranger.
J’ai continué à voyager entre le Moyen-Orient, l’Europe et les Philippines pour le travail jusqu’en 1985, date à laquelle je me suis installé définitivement.
Était-ce facile de s’intégrer dans le pays ?
Oui, car les Philippins sont adorables et très chaleureux. Il règne une grande convivialité dans leurs interactions avec les étrangers. Le pays a été colonisé pendant près de trois siècles, ce qui a forgé des liens interculturels profonds.
J’ai d’ailleurs rencontré ma compagne aux Philippines, ce qui m’a grandement aidé à m’intégrer et à élargir mon réseau professionnel. Dans un pays où quelques grandes familles détiennent des monopoles, cela a été un atout majeur.
Bien que les Philippins maîtrisent généralement l’anglais, mon plus grand regret est de ne pas parler le tagalog, la langue nationale, car cela aurait certainement facilité mon intégration.
Vous avez créé EuroAsia, une entreprise qui recrute des Philippins pour des chantiers à travers le monde. Pouvez-vous nous raconter comment l’entreprise est née, ses succès et ses difficultés ?
J’ai fondé EUROASIA INC. en 1986 pour être indépendant. J’ai rapidement eu des contrats avec des clients européens opérant au Moyen-Orient. Le travail était similaire à celui que j’exerçais depuis mon arrivée.
Dans les années 1990, le marché a évolué : les pays du Moyen-Orient préféraient désormais embaucher directement, ce qui a engendré des dérives que je refusais de suivre. Je tenais à conserver mon éthique !
Nos services n’étaient plus adaptés au marché de masse mais se concentraient sur des marchés spécialisés.
C’est ce qui vous a amené à créer Asiatype et à vous tourner vers l’édition ?
C’était l’apparition des ordinateurs personnels et la saisie était largement externalisée. J’ai donc suivi cette tendance. Asiatype / Datagrafix est spécialisé dans la mise en page de manuels scolaires, mais aussi d’autres types de publications, comme les mangas, par exemple, et ce pour des éditeurs du monde entier.
Vous vous êtes beaucoup investi dans plusieurs structures commerciales françaises. C’est important pour vous de travailler au rayonnement de la France et des affaires aux Philippines ?
Absolument. Il est crucial de contribuer au rayonnement de la France ! Souvent, c’est à travers la culture que les affaires se font, et la France est reconnue pour sa richesse culturelle. Nous devons œuvrer à ce rayonnement car nous évoluons dans un monde extrêmement concurrentiel. Si nous ne collaborons pas pour nous faire connaître, nous aurons du mal à exister.
C’est cette concurrence qui vous a poussé à vous investir autant ?
Exactement. Lorsque je suis arrivé dans les années 80, il y avait environ 700 expatriés français. Il n’existait pas encore de chambre de commerce française. Nous avions la mission économique, un service de l’ambassade qui, entre autres, aidait les PME à s’implanter, ainsi que la chambre européenne. Il était évident qu’il y avait un besoin de réunir les Français. C’est ainsi qu’est né en 1988 le Club des hommes d’affaires français, qui, grâce au soutien de l’Union des Chambres de Commerce Françaises à l’étranger, est devenue la première chambre de commerce nationale aux Philippines. Par la suite, les Allemands et les Anglais ont créé la leur.
Au départ, nous étions trois hommes d’affaires et un représentant de l’AFP. En trois ans, nous totalisions 110 membres ! J’en fut le président de 1988 à 1995, un peu de fait car j’étais le seul résident permanent des trois. Après moi, ce sont mes amis Jacques Branellec, (JEWELMER), LP Heussaff (SOS) et Roger Ferrari (ALSTOM) qui m’ont succédé à la présidence. J’ai été réélu en 2004, où j’ai repris la présidence jusqu’en 2007. Depuis le Club est présidé par de jeunes talents.
Le Club/CCI a pour objectif d’informer les entreprises françaises sur l’économie du pays, d’échanger des idées et des expériences, de s’entraider. Nous organisons des événements avec des officiels philippins pour nous faire connaître et nous intégrer. L’un de nos plus grands succès a été l’événement du Beaujolais Nouveau, avec 1500 invités en collaboration étroite avec l’ambassade.
Il est important de distinguer ce rôle de celui des Conseillers du Commerce Extérieur de la France. Ces derniers sont nommés par le Premier Ministre pour effectuer quatre missions : conseiller l’État français, soutenir les PME en complément de la CCI, travailler à l’attractivité de la France et promouvoir les VIE. Nous sommes 4500 dans le monde. Notre groupe de 22 CCE aux Philippines se réunit tous les mois, souvent en présence de l’ambassadeur, pour faire le point sur les actualités et communiquer nos attentes. J’ai eu l’honneur de présider ce comité pendant trois mandats.
Vous êtes aussi à l’origine du lycée français de Manille. Était-il important pour vous qu’il y ait une école française dans le pays ?
Oui, cette école représentait à la fois un beau projet et une passion. Nous savions qu’avec le développement du pays, les expatriés des entreprises internationales auraient besoin d’une école et d’un enseignement à la hauteur de leurs attentes. Il était donc essentiel d’offrir aux expatriés la possibilité de scolariser leurs enfants selon leurs attentes. A. Chancerelle (L’Oréal) LP. Heussaff (SOS) et moi-même étions présents au bon moment. L’idée est venue des ambassadeurs français et allemand de l’époque (1992), qui ont proposé de réunir, à l’image de l’Europe, les deux écoles. Nous fûmes une poignée de Français et d’Allemands en charge du projet. Nous avons collecté des fonds auprès de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger, constitué une trésorerie grâce à la confiance des parents d’élèves qui ont payé l’année à l’avance, et acheté un terrain pour construire le campus accueillant les 2 écoles. En 30 ans, nous sommes passés de 40 à 700 élèves !
Quels conseils donneriez-vous à un Français souhaitant s’installer aux Philippines ?
Je lui conseillerais de s’adapter et surtout de ne pas chercher à imposer sa façon de faire. Arriver en affichant une attitude de “je-sais-tout” est la pire chose à faire. Nous n’avons rien à leur apprendre. Il est également crucial de choisir judicieusement ses partenaires, d’établir des contacts à l’avance avec les acteurs locaux, le chef de la M.E. la chambre de commerce, les CCE, pour comprendre les secteurs d’activité dans lesquels on souhaite s’insérer et de bien préparer sa venue, notamment sur le plan financier, car rien ne se fera rapidement ou miraculeusement. Cela implique également de prévoir une couverture sociale. En résumé, je conseille de faire preuve de Patience, de Persévérance et de Passion. La passion, tant pour le pays que pour ce que vous entreprenez. Les Philippines ne sont pas un pays facile, il est donc essentiel de s’informer et de visiter le pays avant de s’installer.