Français à l’étranger : Vous vous êtes rendue en Thaïlande à la rencontre d’assurés de la CFE lors de ce premier semestre. Quel était le contexte de ce déplacement ?
Isabelle Frej : La genèse de cette mission effectuée avec notre directeur, notre directeur-adjoint ainsi que notre partenaire VYV – qui gère le tiers-payant hospitalier, l’assistance et le rapatriement – remonte à une invitation de l’ancien ambassadeur de France à Bangkok. Elle répondait aussi à de nombreux échanges avec les élus conseillers des Français de l’étranger de Thaïlande et des associations reconnues d’utilité publique telles que Français du monde-ADFE, l’Union des Français de l’étranger (UFE) ou encore Bangkok Accueil.
Nous tenions à dissiper les incompréhensions qui avaient pu naître à la suite du passage de la Thaïlande de notre barème de zone 2 en zone 3. Cette décision, votée à l’unanimité par les membres de notre conseil d’administration, a été notamment motivée par l’explosion des coûts de santé dans ce pays après la pandémie, et particulièrement par le coût des soins dits « de ville », prodigués en Thaïlande essentiellement dans des hôpitaux ou des centres médicaux. Il était donc important que nos assurés puissent avoir des informations précises sur les raisons de cette nouvelle disposition qui a eu pour conséquence de moindres remboursements de leurs soins.
Au-delà, nos adhérents étaient aussi en demande d’échanges, d’informations sur de possibles améliorations du système de tiers-payant hospitalier dans ce pays. Je rappelle d’ailleurs que ce système n’a rien d’obligatoire – le cas échéant il convient de solliciter notre partenaire VYV pour une demande de prise en charge – et qu’il n’est pas décliné dans tous les pays. Pour nous, ce fut aussi l’occasion de rappeler à nos adhérents le caractère « sécurité sociale » de la CFE, les avantages de son adhésion sans questionnaire médical et sans aucune restriction d’âge…
Lors de cette visite en Thaïlande, nous tenions aussi à expliquer l’importance d’être acteur de sa santé et de son budget en n’hésitant pas à faire des comparatifs, voire des devis pour évaluer les coûts lorsqu’un soin est programmé, à l’image d’une pose de prothèse de hanche par exemple. Il existe un réseau hospitalier très connu et par conséquent très fréquenté en Thaïlande, mais avec des coûts élevés et des restes à charge qui le sont également. Or ce pays est celui qui comprend le plus grand nombre d’établissements de soins conventionnés avec VYV et la CFE – une cinquantaine répartis dans vingt-sept villes – ce qui permet d’être vraiment pro-actif dans cette recherche de lieux de soins de qualité et adaptés à son budget.
Il en va de même en ce qui concerne les médicaments, qui peuvent être délivrés en pharmacie via une ordonnance de prolongation qui mentionnera bien la prescription, la posologie et la durée du traitement sans passer forcément systématiquement par la main du médecin qui vous remet cette prescription. Grâce à ces petites choses, in fine, l’assuré aura moins à avancer et moins de reste à charge. Ceci est profitable à l’assuré comme à la CFE.
La téléconsultation serait-elle un recours pour limiter ces dépenses ?
Cet acte, déjà remboursable par la CFE, peut être efficace si l’assuré est déjà connu de son médecin francophone. Nous sommes mobilisés sur cette réflexion au niveau de la direction de la CFE, bien que cela représente aussi un coût si l’on doit avoir recours à une plateforme payante.
La CFE couvre-elle beaucoup d’assurés en Thaïlande ?
Oui, nous comptons un grand nombre d’adhérents dans ce pays, avec quelque 5 400 personnes couvertes en assurance-maladie. Ce sont des contrats individuels pour 90% d’entre eux, c’est-à-dire non contractés par le biais d’une entreprise. Dans le détail, on peut également relever que 83% de nos adhérents en Thaïlande sont des hommes et 60% sont âgés de plus de soixante ans. D’autre part, il convient de souligner que 40% d’entre eux ont adhéré après la réforme de 2018 (qui avait notamment instauré des tarifs forfaitaires dépendant de l’âge du titulaire du contrat et de la composition de la famille, Ndlr). Autrement dit, 60% de nos adhérents en Thaïlande bénéficient de tarifs qui sont en deçà du barème actuel.
Ce premier semestre a également été marqué par une autre mission, au Brésil…
Effectivement. Il s’agissait également d’aller à la rencontre de nos assurés, mais aussi de présenter un nouveau produit spécifique à ce pays, IntegralExpatSanté, une couverture santé complète spécialement conçue pour les Français expatriés au Brésil. Cette nouvelle offre couvre les frais santé jusqu’à 100% des frais réels (assurance de base CFE + complémentaire). Elle comprend le tiers-payant hospitalier ainsi qu’un service service assistance et rapatriement. La condition d’accès suppose d’être âgé de moins de cinquante-neuf ans, sans questionnaire médical. Je rappelle que l’accès à la santé de qualité – le plus souvent dans des hôpitaux privés – est assez onéreux au Brésil. L’usage consiste souvent à souscrire ce qu’on appelle dans ce pays des « plans de santé » via des assurances privées qui n’offrent que des couvertures partielles, contrairement à notre offre qui est globale et qui couvre aussi bien au Brésil qu’en France. Plus largement, nous comptons d’ailleurs décupler notre énergie vers le continent sud-américain, comme en témoigne une offre consacrée à l’Argentine que nous devrions proposer dès l’année prochaine…
Pouvez-vous rappeler le principe de financement de la CFE ?
Nous sommes soumis à une nécessité d’autonomie financière, avec des missions de service public, mais qui ne sont absolument pas financées par l’État. Ainsi, au regard de la réglementation, la CFE doit veiller à l’équilibre de ses comptes mais ne peut compter sur les fonds publics pour remplir ces missions.
Quels objectifs prioritaires guident votre action depuis votre élection à la présidence de la CFE en avril 2022 ?
L’objectif final de mon mandat, comme celui de l’ensemble du conseil d’administration, c’est d’assurer la pérennité de la CFE en tant que caisse de sécurité sociale. C’est aussi de poursuivre la réforme de 2018 stoppée par la crise sanitaire. La CFE est une caisse hybride, avec des règles de sécurité sociale mais qui repose sur une adhésion volontaire et qui évolue dans un milieu concurrentiel. Nous devons veiller à ne pas creuser les déficits, mais ne pouvons augmenter de manière drastique le montant des cotisations par égard pour nos adhérents. Nous tenons à valoriser le principe de solidarité mais sommes aussi contraints de développer des parts de marché, ce qui est quelque peu antinomique. Les challenges sont donc multiples.
Un autre objectif de mon mandat consiste aussi à promouvoir une image plus moderne et plus réactive de la CFE en renforçant notre relation-client, qu’il s’agisse des délais de remboursement comme des réponses à apporter aux diverses questions posées par nos adhérents. Or je pense que nous sommes aujourd’hui en passe de gagner ces challenges. Les délais d’adhésion ou de radiation, en moins d’une semaine, sont aujourd’hui beaucoup plus raisonnables. Les marges de progression concernent les délais de remboursement qui méritent d’être encore optimisés mais nous sommes dans une démarche pro-active qui porte vraiment ses fruits.
Vous évoquez la concurrence, quelle forme prend-elle ?
Notre principale concurrence, contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser, ce ne sont pas forcément les assurances privées, mais plutôt les réglementations obligatoires des différents pays dans lesquels sont installés les Français de l’étranger. Un nombre croissant d’entre eux instaurent des régimes de sécurité sociale obligatoire pour tous les travailleurs salariés ou non salariés, ce qui est un évident progrès dans une logique humaniste, mais dans ces cas la CFE intervient seulement « après coup ». Autrement dit, le travailleur est tenu d’adhérer d’abord au régime local, puis seulement ensuite à la CFE. Nous devons donc réfléchir à notre stratégie face à ces situations nouvelles qui reposent sur une concurrence tout à fait légale,
Quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire sur l’activité de la CFE ?
La pandémie a provoqué le retour en France de nombreux salariés d’entreprises françaises présentes à l’étranger. Finalement ce n’est pas tant le nombre d’entreprises qui exercent à l’étranger qui a baissé, mais plutôt le nombre de salariés détachés par ces entreprises qui est moindre. Cette tendance était d’ailleurs présente avant la pandémie. Ce point est important car un autre de nos défis consiste à retrouver des parts de marché auprès des entreprises. Historiquement, la CFE a été créée pour accompagner les entreprises puis s’est étendue à tous les Français, qu’ils soient ou non salariés. Et l’équilibre financier de la CFE est largement soutenu par ces profils d’expatriés.
En ce qui concerne nos compatriotes installés durablement hors de nos frontières, ceux-ci sont restés dans leur pays de résidence lorsque leur centre d’intérêt est, et demeure à l’étranger. Souvent, ce sont aussi des personnes qui ont la nationalité du pays de résidence.
Quant aux projets d’expatriation dans ce contexte post-Covid, on observe toujours ce désir au niveau des familles, mais avec peut-être moins de risques. À ce titre, ce sont surtout les destinations européennes qui sont plébiscitées.
Quels ont été les éléments de satisfaction au titre de l’année 2023 ?
Outre les nombreux points cités précédemment, nous avons vu nos comptes certifiés sans réserve pour la deuxième année consécutive. Si le cœur de métier de la CFE reste très fragile, cette amélioration de nos résultats financiers, qui ne sont plus dans le rouge, est une source de reconnaissance du travail accompli, au même titre que les délais de traitement des dossiers qui continuent de s’améliorer. Je retiens également la rencontre avec M. Olivier Becht, ancien ministre délégué chargé du Commerce extérieur, de l’Attractivité et des Français de l’étranger, en mai 2023. Cette visite, la première d’un ministre dans les locaux de notre siège de Rubelles (77), est le signe d’un intérêt nouveau envers la CFE.
La reprise des relations avec l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) – avec qui nous avons pu revenir sur les les défis qui sont les nôtres, sur nos missions de service public non financées par l’État… – a également été très fructueuse. Par ailleurs, cette année 2023 a illustré la volonté de notre conseil d’administration de renouer avec le monde de l’entreprise comme en témoignent nos différentes rencontres et nos échanges avec les conseillers du Commerce extérieur et leur directrice.
L’ensemble de nos missions, au plus près de nos adhérents, fait partie des autres moments forts. Nous avons évoqué la Thaïlande et le Brésil, mais en 2023 ces missions nous ont conduit au Maroc – premier pays en termes d’adhérents – ainsi qu’aux États-Unis, à Londres ou encore à Dubaï qui est un marché très porteur, tout comme à Singapour par exemple.
Comment envisagez-vous l’avenir à court terme ?
La pérennité de la caisse est au cœur de nos préoccupations. Cela passe notamment par le fait de rappeler à nos responsables politiques l’importance de la mission de sécurité sociale assurée par la CFE. À cet effet, en décembre 2023, nous avons signé avec l’ensemble des membres du conseil d’administration un courrier à destination des députés et sénateurs représentant les Français établis hors de France dans le but de susciter une réflexion commune sur l’avenir et la pérennité de la CFE. Nous sommes aussi attentifs à l’initiative de l’AFE qui souhaite organiser prochainement les assises de la protection sociale, et espérons bien sûr l’instauration d’un ministère des Français de l’étranger.
La communication est aussi un axe de développement important. C’est le cas en interne avec nos lettres adressées aux adhérents après chaque conseil d’administration, mais également avec nos participations à des webinaires, ou encore la poursuite de nos échanges avec les chambres de commerce, les conseillers du Commerce extérieur et d’autres acteurs de l’expatriation.
J’aimerais aussi souligner le travail que nous mettons en œuvre au niveau de notre environnement digital, à l’instar de la refonte des espaces personnels, un gros travail qui va aboutir dans six mois. Ceci correspond à une forte demande et cette tendance doit être prise en compte car si tout le monde n’est pas toujours très à l’aise avec le numérique, l’efficacité de ces outils est aujourd’hui incontournable.
Et puis j’aimerais que le réflexe d’adhésion à la CFE concerne le plus grand nombre, notamment parmi les plus jeunes, et que l’on n’adhère pas seulement à la CFE « en fin de parcours » d’expatriation. Notre caisse est bien sûr ouverte à tous, sans condition d’âge, mais le principe de solidarité s’en trouverait renforcé avec une meilleure mutualisation du risque.
Pour finir, pourquoi est-il toujours si opportun d’adhérer à la CFE ?
Tout d’abord, nous avons des offres très variées et adaptées à son âge, la composition de sa famille, le pays où l’on réside… Par exemple, si l’on vit dans un pays qui bénéficie d’un excellent système de protection sociale, nous avons par exemple une offre qui ne vous couvrira que lors de vos séjours en France. La CFE, c’est aussi l’énorme avantage de conserver sa carte Vitale. C’est aussi la certitude que nos prix ne vont pas exploser d’une année sur l’autre. L’assuré reste ainsi dans l’univers de la sécurité sociale et non dans celui de l’assurance qui, elle, peut majorer votre contrat de 20% un mois avant son échéance, et ceci plusieurs années de suite… C’est encore la certitude qu’en cas de grave maladie votre couverture santé perdurera. Tout cela participe vraiment des valeurs de la sécurité sociale.
Comment aussi ne pas souligner l’importance de la continuité des droits. Par exemple, si je commence une grossesse en France, je peux la poursuivre avec mes droits ouverts à l’étranger, ainsi qu’à mon retour de l’étranger grâce à cette continuité des droits. La CFE, c’est aussi la possibilité de cotiser pour sa retraite, un point important, surtout si vous résidez dans plusieurs pays successifs, ce qui est le cas de nombreuses personnes. Ainsi, si vous adhérez au risque vieillesse, vous cotisez pour votre retraite comme si vous continuiez à travailler en France. Rappelons-le, la CFE est le seul organisme à proposer cette possibilité.
Pour en savoir plus :
- https://www.cfe.fr/
- Les détails de la réforme de 2018 : https://www.cfe.fr/-/actualite-test#